La Cour de cassation a connu le 25 septembre l’effervescence des grands jours à l’occasion de la divulgation de son arrêt no 3439 concernant l’affaire de la catastrophe écologique liée au naufrage du navire Erika en décembre 1999. La chambre criminelle de la Cour, réunie en formation plénière, a rendu une décision « approuvant la cour d’appel de Paris d’avoir retenu sa compétence pour statuer tant sur l’action publique que sur l’action civile dans l’affaire de la catastrophe écologique dite du pétrolier Erika ayant fait naufrage dans la zone économique française en 1999 ». Sur l’action publique, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par les prévenus, le groupe Total, la société de classification Rina, l’armateur Savarese et le gestionnaire Pallara. Elle a fondé sa décision en posant pour principe que « plusieurs dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer portant sur la protection et la préservation du milieu marin justifient l’exercice par la France de sa compétence juridictionnelle pour sanctionner un rejet involontaire d’hydrocarbures dans sa zone économique exclusive par un navire étranger entraînant un dommage grave dans sa mer territoriale et sur son littoral ». Sur l’action civile, la Cour a décidé que l’ensemble des « intervenants à l’acte de transport poursuivis devant le juge pénal et ayant commis une faute de témérité pouvaient voir leur responsabilité recherchée pour l’ensemble des catégories de dommages retenus par la cour d’appel, sur le fondement de la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures dont le juge répressif pouvait faire application ». Sur ce point, la Cour a insisté sur la situation de l’affréteur Total qui, selon elle, a commis une telle faute et bénéficié, à tort, d’une immunité de responsabilité. Par rapport aux pourvois des parties civiles, le groupe est donc condamné à réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus d’ores et déjà condamnés par la cour d’appel. Avec cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas suivi les recommandations de l’avocat général. Au printemps 2012, ce dernier a recommandé une annulation de toute la procédure menée devant les tribunaux français au motif que la justice hexagonale n’était pas compétente étant donné que l’Erika a sombré en zone économique exclusive, c’est-à-dire hors des eaux territoriales françaises.
La notion de « préjudice écologique »
Pour Delphine Batho, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, et Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des Transports, « il y aura un avant et un après procès de l’Erika ». La reconnaissance du principe pollueur/payeur dans le droit maritime international, la confirmation de la responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs de la chaîne du transport maritime notamment d’hydrocarbures, la consécration de la réparation au plan civil d’un « préjudice écologique » sont des avancées majeures en matière de protection de l’environnement, souligne le communiqué commun aux deux ministres. Ceux-ci ont aussi précisé que la notion de « préjudice écologique », dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt, devrait être intégrée à terme dans le dispositif législatif français. Une mission confiée à un comité de juristes spécialistes devrait être mise sur pied afin d’y réfléchir. De son côté, Armateurs de France a tenu à rappeler: « Si l’arrêt est important d’un point de vue juridique, notamment par la reconnaissance qu’il accorde aux victimes de la catastrophe, il n’a pas de conséquence pratique puisque les indemnités ont déjà été versées et que la flotte mondiale, profondément rajeunie ces dernières années, n’a jamais été aussi sûre. Moins polluant, le transport maritime est aujourd’hui l’un des modes de transport le plus propre et le plus respectueux de l’environnement. » Treize ans après la catastrophe de l’Erika, les paquets législatifs Erika I, II et III ont considérablement renforcé les compétences de l’État du port et le contrôle des règles de sécurité et de prévention de la pollution à bord des navires. De même, les plafonds d’indemnisation du Fipol (Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) ont été relevés avec l’accord des armateurs pour répondre à la prise en compte du préjudice écologique. Ils témoignent de la réactivité des acteurs du transport maritime pour accroître la sécurité des navires et protéger l’environnement.