Dans le rapport Study of U.S. Inland Containerized Cargo Moving Through Canadian and Mexican Seaports, la FMC (Federal Maritime Commission) confirme que les ports de Seattle-Tacoma, Oakland et Portland sont particulièrement vulnérables à la concurrence des ports canadiens.
Elle avance que la cause principale de cette faiblesse est la taxe d’entretien du chenal (TEC ou Harbour Maintenance Tax) que paient tous les navires en utilisant un port américain (voir encadré). Selon la FMC, cette taxe confère un avantage déloyal au Canada.
Le port de Prince Rupert, en Colombie-Britannique, est également montré du doigt. Elle lui reproche de ne pas faire partie de la Container Security Initiative (CSI), une mesure américaine destinée à recueillir de l’information sur les conteneurs et leur destinataire avant qu’ils ne quittent leur port de chargement. Le rapport rappelle cependant que ni le Canada ni le Mexique ne violent la législation américaine, ni un quelconque traité passé avec les États-Unis.
La taxe d’entretien du chenal (TEC)
Le rapport de la FMC a suscité de vives réactions, tant au Canada qu’aux États-Unis. Deux des cinq commissaires de cette agence d’État (formée de trois démocrates et de deux républicains) ont exprimé leur dissidence en refusant de signer ce rapport. La républicaine Rebecca Dye estime qu’il est trop dur envers le Canada.
Le commissaire républicain Michael A. Khouri démolit la thèse de l’impact de la taxe sur le détournement de marchandises. La FMC a calculé que Washington a perdu 3,2 M$ en 2010 en taxe impayée en raison des conteneurs américains qui empruntent les ports canadiens. En revanche, la même année, les conteneurs canadiens qui empruntent des ports américains ont payé 7,5 M$. Si la taxe d’entretien des chenaux a un impact aussi grand, pourquoi les Canadiens utilisent-ils les ports américains, se demande Michael A. Khouri.
La Federal Maritime Commission conclut que la TEC a un impact sur le détournement du cargo vers le Canada ou le Mexique, mais indique aussi que d’autres facteurs influencent le choix d’un port, dont le coût total pour l’importateur, la réduction du risque, les temps de transit, les taxes (dont la TEC) et les tarifs ferroviaires.
Les ports canadiens n’imposent pas de taxe d’entretien du chenal contrairement aux ports américains. Les deux ports canadiens visés par ces attaques, les ports de Vancouver et de Prince Rupert, ont des chenaux plus profonds qui n’ont pas besoin d’être dragués constamment, à la différence de leurs vis-à-vis américains.
Mesures de sécurité
Du côté canadien, les réactions à ce rapport sont très négatives. Le directeur du Port de Vancouver, Robin Silvester, soutient qu’il n’y a pas plus sécuritaire que les ports canadiens puisque les conteneurs déchargés au Canada passent par un détecteur de radiations. Ils sont inspectés à nouveau à leur entrée aux États-Unis. Selon lui, il n’y a pas autant de contrôles lorsque les conteneurs sont débarqués directement dans un port américain.
Le 15 août, le port de Prince Rupert a rejeté en bloc les accusations de la FMC, estimant appliquer les mesures de sécurité les plus strictes. Inauguré en 2007, le terminal à conteneur de Prince Rupert est un concurrent qui inquiète les ports américains de la côte ouest.
Selon Yann Alix, délégué général de la fondation SEFACIL au Havre, c’est l’un des ports où le temps de transit est parmi les plus courts, notamment pour rallier Chicago. Son terminal Fairview intègre un embranchement ferroviaire à même le quai, ce qui réduit les temps de transit et les surcoûts de manutention. Il est aussi un exemple en matière de sécurité. S’il n’est pas certifié CSI, c’est simplement parce que ce terminal n’existait pas quand le programme a été mis en place en 2001. La commissaire Rebbeca Dye abonde dans le même sens. Selon elle, le port est un acteur clé dans l’application de l’initiative canado-américaine, à savoir le programme de coopération visant à instaurer un périmètre de sécurité nord-américain par-delà les frontières.
D’autre part, le Canada est très sensible à la question de la sécurité, car son accès à l’immense marché des États-Unis en dépend.
Concurrence canado-américaine
En moyenne, 2,5 % des conteneurs destinés au marché intérieur américain passent par des ports canadiens. En 2011, 162 000 EVP américains sont arrivés par Montréal, 150 000 EVP via Vancouver, 140 000 EVP via Prince Rupert, et 26 000 EVP via Halifax. Si l’on soustrait le volume de conteneurs canadiens importé via les ports des États-Unis, le déficit américain ne représente plus que 1,3 %.
Selon Yann Alix, les États-Unis se sont toujours plaints de la concurrence canadienne. Dès les balbutiements du transport par conteneurs, les ports du nord-est contestaient déjà les services offerts dans le port de Montréal. Selon lui, c’est parce que les ports canadiens présentent des solutions modales intégrées souvent plus performantes que les ports américains. Cela peut notamment s’expliquer par des temps de transit plus courts, un contexte réglementaire plus simple et des services ferroviaires qui se sont totalement réformés depuis le milieu des années 1990. Les États-Unis souffrent aussi d’un crucial manque d’investissement dans leurs infrastructures de transport de marchandises, dit-il. « Sur certaines destinations intérieures comme le midwest, les solutions de transport via les ports canadiens apparaissent tout simplement plus attractives. Les distorsions réglementaires de concurrences n’altèrent que très modestement les réalités d’une véritable compétition portuaire ouverte. Enfin, n’oublions pas la géographie puisque Prince Rupert et Vancouver demeureront toujours les premiers ports touchés par les navires traversant le Pacifique », conclut Yann Alix.
Campagne électorale américaine
La Federal Maritime Commission a ouvert une enquête après que les deux sénatrices de l’état de Washington se soient plaintes, en novembre 2011, des pratiques commerciales des ports canadiens. Les deux sénatrices démocrates demandent que la TEC soit imposée aux conteneurs transitant au Canada lorsqu’ils traversent la frontière par voie terrestre.
Il faut comprendre que l’une d’entre elles, Patty Murray, fait campagne pour sa réélection en novembre. En période électorale, désigner l’étranger comme la source des problèmes économiques peut s’avérer une stratégie payante.
Si les deux commissaires dissidents s’entendent pour conclure que le rapport ne fournit pas un point de vue indépendant, il pourrait tout de même y avoir un impact sur l’opinion des législateurs qui ont de l’influence au Congrès américain. Le rapport pourrait donc, en fin de compte, affecter négativement les relations canado-américaines.
La taxe d’entretien du chenal (TEC)
La TEC est imposée depuis 1986. Elle sert à payer le United States Army Corps of Engineers (Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis) pour ses activités portuaires, ainsi que l’entretien des chenaux dans les ports et dans la voie maritime du Saint-Laurent (environ 650 M$ annuels). Cette taxe s’élève à 0,04 % de la valeur des marchandises manutentionnées. À cette époque déjà, un sénateur de l’état de Washington s’inquiétait du possible impact de cette taxe sur la concurrence avec les ports canadiens. À plusieurs reprises depuis 1986, des représentants américains ont essayé d’exempter les ports américains qui sont à proximité des frontières canadiennes, mais toutes ces tentatives ont échoué. Selon les calculs de la FMC, les ports de Seattle et Tacoma reçoivent un peu plus d’un cent de services sur chaque dollar perçu.