Signé en 1982 à Paris par les États côtiers européens, le mémorandum d’entente sur le contrôle des navires par l’État du port (Paris MoU) estime que sa liste « tricolore » est aujourd’hui la référence mondiale des classements des États d’immatriculation. La plus récente, celle portant sur les années 2009-2011, permet tout à la fois de se réjouir et de s’interroger. Ainsi le communiqué du secrétariat souligne-t-il que les Îles Faroe, le Vanuatu et l’Iran ont quitté la zone grise pour rejoindre la liste blanche, celles des registres d’immatriculation dont les navires sont les plus sûrs. Cette liste compte 43 registres, un de plus que pour la période 2008-2010 durant laquelle le Panama l’a rejoint. En d’autres termes, l’immense majorité des flottes immatriculées sous registre de libre immatriculation est maintenant « irréprochable »: le Panama, le Liberia, Barbardes, les Îles Caïman, Antigua & Barbuda, etc., y sont.
Après des années passées dans le haut de la liste blanche, l’Allemagne accède à la première place talonnée par la Suède avec un « excess factor » (EF) de − 1,91 pour la première et de − 1,90 pour la seconde. Habitué à la première place depuis les années 2006-2008, le registre des Bahamas chute lourdement à la 14e place avec un EF de − 1,50. Classé à la première place pour les années 2005-2007, puis à la 2e pour la période 2006-2008, le(s) registre(s) français s’est (se sont) depuis progressivement éloigné(s) du podium. Pour 2009-2011, il occupe la 6e place (EF: − 1,70) et fait figure de nain avec 337 inspections menées sur ses navires, coincé entre le Royaume-Uni (5e place, 1 905 inspections, EF 1,73) et Hong Kong (7e place, 1 489 inspections, EF − 1,69).
Stable dans la médiocrité, celle de la liste grise, le registre des États-Unis d’Amérique occupe, avec un EF de 0,07, la 2e moins mauvaise place de la liste grise, derrière le Kazakhstan. Celui-ci a ainsi quitté la liste blanche de la période 2008-2010. La Confédération helvétique est le second État développé à se complaire dans la grisaille, derrière la Thaïlande. La Suisse a quitté le fond du classement de la liste blanche (35 sur 41) pour la période 2006-2008.
Saint-Vincent et Grenadines ont quitté la liste noire pour la grise alors que la Dominique et le Honduras ont suivi le chemin inverse. Les registres dont les navires sont à hauts risques sont le Togo (EF de 4,01), la Bolivie (4,03) et la Libye (5,24). La liste noire compte 17 États.
Plus de ciblage et moins de gestion comptable
Depuis 1982, chaque État membre du Paris MoU devait visiter 25 % des navires faisant escale dans ses ports. Cela a donné lieu à quelques pratiques déviantes: inspections de navires dont on savait qu’ils étaient probablement sans problème (navires récents, par exemple, exploités par des compagnies de premier rang), nombre inspections insuffisant à la suite de dysfonctionnements dans la gestion des ressources humaines (la France au début des années 2000). Le secrétariat du Paris MoU souligne que ce principe simple a constitué une « surcharge de travail pour les compagnies et les autorités portuaires ».
À la suite de plusieurs mois de réflexion et de modifications des normes de l’OMI, le principe de base du Port State Control mis en place depuis le 1er janvier 2011 repose sur la qualité du navire, de son exploitant et de la société de classification. En outre, les navires classés à « faible risque » bénéficient d’un long intervalle entre deux inspections (jusqu’à 3 ans) alors que les unités à fort risque doivent être inspectées tous les six mois. La détermination du risque « navire » a pour origine la banque de données Thetis hébergée et gérée par l’Agence européenne de sécurité maritime.
Le nombre de visites que doit effectuer chaque État du port est fixé annuellement en fonction de son nombre d’escales réalisées par le passé. C’est à partir de là que 2011 s’est mal terminée, notamment pour la Belgique, la France ou les Pays-Bas ainsi que le montre l’illustration ci-contre, issue du rapport du Paris Mou. La Belgique avait un objectif de 1 401 inspections. Elle n’en a réalisé que 971, soit 69 % de ce qui était demandé. L’objectif français était de 1 520, la réalisation de 1 225, soit un taux de 80,6 %. Pour les Pays-Bas, les chiffres sont 1 913, 1 583 et 82,75 %. Sensiblement moins bien, donc, que l’Allemagne avec ses 98,5 % ou que le Canada (102 %), mais bien mieux que la Suède (49 %). Le zèle bulgare reste inexpliqué avec 159,5 %, tout comme le roumain (151 %). Si la crise financière que traverse l’Europe a pour conséquence une réduction de la pression exercée sur les navires sous-normes à Anvers et Rotterdam, il conviendrait d’ouvrir le débat.
La répartition statistique des navires inspectés peut également surprendre. Pour l’ensemble des États membres du Paris MoU, presque 9 % des 19 058 inspections ont concerné des navires à haut risque, 72 % à risque moyen, 2,40 % à risque faible et presque 17 % sur des profils « indéterminés ». Cinq États sur 27 se distinguent sensiblement de cette répartition moyenne en ce qui concerne les navires à haut risque: en Bulgarie, Croatie, Grèce, Roumanie et Russie (Baltique, mers d’Azov et de Barents uniquement), ils ont représenté entre 21,5 % et 30 % du total des inspections.
Les navires à profil inconnu ont représenté au Canada, à Malte et aux Pays-Bas, entre 28 % et 36 % des inspections réalisées. Pour les navires à risques faibles, les écarts sont moindres. Ils varient de 4,5 % à 5,2 % au Canada, en Norvège et en Suède. Ces différences ne sont pas expliquées.
ABS, DnV et China Classification Society: le tiercé gagnant
Depuis 1999, le Paris MoU s’intéresse également aux sociétés de classification lorsqu’elles agissent d’ordre et pour compte des États d’immatriculation. Sur la période 2009-2011, les trois plus « sérieuses » sont l’American Bureau of Shipping (EF de − 1,97), le Det Norske Veritas (EF de − 1,89) et la China Classification Society (EF de − 1,87). Le Loyd’s Register, le Germanischer Lloyd, le Registero Italiano Navale et le Bureau Veritas suivent dans la foulée avec un EF compris entre − 1,87 et − 1,80. Ne sont classées que les sociétés dont les navires ont fait l’objet d’au moins 60 inspections afin d’obtenir un échantillon statistique significatif.
À l’autre bout de la liste, les organismes reconnus les moins performants sont l’International Register of Shipping (USA, EF de 2,07), le Register of Shipping (Albanie, EF de 3,55) et le Phœnix Register of Shipping (Grèce, EF de 3,90).
Juillet 1982: régionalisme exacerbé?
Le 26 janvier 1982, quatorze États européens ont signé, à Paris, en français et en anglais, le mémorandum d’entente sur le contrôle des navires par l’État du port. Il est entré en vigueur le 1er juillet. Pour la première fois quatorze États, dont la Grande-Bretagne, ont déclaré urbi et orbi que dorénavant ils vérifieraient eux-mêmes si les navires immatriculés par d’autres États respectent bien les conventions internationales. Plus encore, ils ont exigé que les navires étrangers respectent des conventions internationales que l’État d’immatriculation n’a même pas ratifiées. Ce qui peut se traduire comme un abandon de souveraineté des États d’immatriculation. Trente ans tard, existe-t-il un seul juriste qui qualifierait cela de régionalisme exacerbé, marquant un basculement majeur au bénéfice du « pouvoir » écologiste?
Inspections, déficiences et détentions
En 2011 ont été menées 19 058 inspections sur un total de 15 268 navires. Il n’est pas possible de comparer ces chiffres avec ceux des années précédentes car le nouveau principe de ciblage a été mis en œuvre au 1er janvier 2011. Le nombre de déficiences constatées s’est élevé à 50 738. Ce qui a donné lieu à 688 détentions à quai. Le ratio « détention/inspection » est donc de 3,61 %. Par catégorie, les navires qui ont présenté le ratio le plus élevé sont les cargos polyvalents avec 6,02 % et les « autres non dénommés » (5,97 %). Avec 4,42 %, les navires à passagers (hors rouliers mixtes) présentent également un taux supérieur à la moyenne. Le 45e comité du Paris MoU a ainsi décidé en mai 2012 de mener, en 2013, un programme de vérification « harmonisé » de l’exploitation des navires à passagers. D’une durée de douze mois, ce programme portera plus précisément sur le bon respect des obligations en matière d’exercices de sécurité. L’effet Costa-Concordia, peut-être.
En 2014 sera menée une campagne « d’inspections ciblées » sur le respect des heures de travail et de repos. Il n’est jamais trop tard pour s’intéresser à la problématique des caboteurs de moins de 100 m armés à équipage réduit pour lesquels les recommandations de plusieurs BEA mer sont restées sans suite, si l’on en croit Jean-Pierre Mannic, ancien directeur du BEA mer français (voir JMM du 6 juillet).