L’écologie industrielle? Les Chinois lancent des « mines urbaines » pour récupérer minerais, matériaux à partir des déchets. Japonais et Coréens sont devenus des spécialistes des éco-parcs industriels: zéro émission de carbone. À Rotterdam, un pipeline permet d’échanger de la vapeur entre usines voisines. Point commun à la surface du globe, c’est dans les ports qu’émerge cette révolution écologique à grande échelle parce qu’industrielle. C’est ce qu’a révélé la conférence mondiale des villes-ports, du 18 au 21 juin à Saint-Nazaire et Nantes. « Après s’être posé les questions de leurs fronts de mer, puis des bonnes relations des ports avec leurs voisins citoyens, les villes portuaires se retrouvent aujourd’hui face aux questions de leur performance économique et donc, immédiatement ensuite, environnementale. C’est là que réside sans doute le vrai potentiel des villes portuaires, leur capacité à devenir d’importants lieux d’abord de stabilisation économique, puis de création d’emplois », explique Bruno Delessale, un des directeurs de l’Association internationale des villes portuaires.
Un des « pères » de l’écologie industrielle, Suren Erckman, de l’Université de Lausanne, a rappelé que les ports sont sans doute les mieux placés pour opérer cette grande réconciliation entre économie et écologie: « Ils hébergent des activités variées. L’économie mondiale va continuer d’en faire des zones d’activités multifonctionnelles. Ainsi, ils offrent un très fort potentiel pour créer de nouvelles relations économiques. Pour utiliser l’eau, les produits chimiques, la vapeur, le sable, les déchets divers de façon plus efficace. Avec l’idée par exemple que ce qui n’est plus utile pour l’un peut l’être pour l’autre à proximité. »
La « symbiose durable » des Chinois
Une vision qui n’est plus du tout théorique. Nicolas Mat, de l’École des Mines d’Alès, signale l’efficacité d’une application immédiate quelle que soit la taille du port: « Les problèmes de gestion des déchets, de flux de matières premières, d’énergie, d’eau, touchent tous les ports. Quand ils s’en préoccupent, même les plus petits réalisent des économies et gagnent rapidement de la compétitivité. » Il a recensé pour l’Ademe une quarantaine d’initiatives d’écologie industrielle portuaire, à travers le monde. L’imagination ne manque pas quant aux angles d’attaques. En Amérique du Nord, on récupère des sédiments de dragage pour les incorporer dans des granulats pour travaux publics. En Asie, on se concentre sur l’efficacité énergétique, par exemple, autour des terminaux gaziers. Au point d’en faire le cœur de la stratégie portuaire. Le port d’Ulsan, en Corée, a mesuré le retour ultrarapide sur ce type d’investissements: de un mois à 18 mois.
En Chine, l’enjeu est devenu national et central. « Le PNB de la Chine dépend des ressources naturelles. La Chine ne peut améliorer ses performances qu’en fonction de l’environnement », affirme Lei Shi de l’Université de Tsinghua. L’ouverture du pays sur le monde a transformé les ports en zones industrielles et parcs de haute technologie. 25 villes-ports rassemblent les plus importants d’entre eux. Ils doivent recycler leurs ressources naturelles. C’est le principe même de la « loi de l’économie circulaire », loi de recyclage général s’imposant aussi bien aux entreprises qu’aux collectivités locales. Les Chinois se disent à la recherche d’une « symbiose durable ». L’organisation très centralisée des échanges de déchets, sur un de ces ports, donne lieu à de gigantesques graphiques. Mais il en est de même pour le partage des infrastructures. Mais l’utilisation en cascade de l’énergie et de l’eau obéit à des schémas beaucoup plus décentralisés. « Certains facteurs d’influence deviennent primordiaux comme les conséquences sur la gouvernance en cluster, sur le gouvernement en chaîne, sur la gestion de l’innovation, l’action régulatrice des politiques. Le gouvernement doit être un catalyseur, créant les compromis nécessaires. En définitive, pour la Chine, les parcs éco-industriels ne doivent plus rester des niches stratégiques de développement mais devenir le modèle dominant », explique Lei Shi.
Les places portuaires instigatrices de nouvelles coopérations
L’Europe n’est pas forcément en reste. Kate Royston, consultante spécialisée en écologie industrielle, donne les exemples de Rotterdam, son pipeline de flux résiduels de chaleur, ses projets de réseaux de distribution de CO2, d’hydrogène ou d’air comprimé, des Zeeland Seaports dont la chaleur et le CO2 captés sont directement réutilisés, à proximité, par des horticulteurs. À Amsterdam, des rejets du port servent à chauffer des résidences. Guy Konings, de chez Stedin, créateur du pipeline de chaleur dans le port de Rotterdam, estime que le besoin est général et important, un peu partout, de nouveaux réseaux de transport d’énergie.
Point commun à tous ces projets, ils demandent de nouvelles et larges coopérations entre des acteurs qui n’en ont pas l’habitude. En dehors des contextes réglementaires (comme le statut légal défavorable des déchets en Europe), c’est un des points clés de progrès dans lesquels les associations d’acteurs portuaires ne sont pas forcément les moins bien placés.