Le TGI de Paris et la cour d’appel ont tous deux estimé que la loi française no 83-583 du 5 juillet 1983 est la seule applicable au naufrage du pétrolier Erika transportant du fioul lourd chargé à Dunkerque par le groupe Total. Le navire maltais a coulé le 12 décembre 1999. Si la cour d’appel a confirmé les peines prononcées à l’égard notamment de la SA Total, elle a considéré que celle-ci bénéficie de la convention CLC qui interdit d’aller chercher la responsabilité de tout autre agent économique hormis l’armateur, sauf en cas d’actes téméraires commis avec la conscience qu’il en résulterait probablement un dommage important. En conséquence, Total SA ne peut se voir réclamée des dommages et intérêts, y compris pour le préjudice écologique « pur ».
L’avocat général de la Cour de cassation estime que seule la convention Marpol (annexe 1) est applicable car le rejet a été généré par un navire étranger dans la ZEE française qui, comme son nom l’indique, est un espace économique et non pas de souveraineté.
Dès le début de sa plaidoirie, il souligne que le SG mer a refusé de donner son analyse juridique du dossier car l’État est partie prenante. L’OMI a également refusé prétextant qu’elle n’a pas vocation à intervenir dans une affaire purement nationale ainsi que le ministère (français) de la Justice. Autre observation: pour sanctionner il faut un texte applicable au moment du fait générateur.
Enfin, il n’y a pas de risque d’envoyer un signal d’encouragement aux pollueurs car la loi de juillet 1983 a été modifiée pour pallier les insuffisances constatées. Sur le fond, l’avocat général a rappelé que, selon l’article 55 de la Constitution, une convention internationale ratifiée prime sur une loi nationale.
L’article 8 non conforme à Marpol volontairement
L’article 7 de la loi de 1983 réprime les rejets volontaires de navires étrangers. Le commandant de l’Erika n’a pas volontairement rejeté sa cargaison ou des eaux sales. L’article 8 précise, lui, que sont punissables l’imprudence, la négligence ou l’inobservation des règles qui a provoqué un accident d’un navire français ou étranger, lequel accident a entraîné une « pollution des eaux territoriales, intérieures ou des voies navigables ». Il n’y a aucune référence à la ZEE. En outre, c’est la matérialisation d’une pollution dans les eaux françaises qui déclenche la répression et non pas le « simple » rejet. « Quelle est donc cette loi qui s’applique ou non selon la direction des vents ou des courants? », s’interroge l’avocat général. Car un rejet en ZEE Atlantique peut fort bien ne pas provoquer de pollution dans les eaux territoriales par vent d’Est, par exemple. L’article 8 « n’est en rien conforme à la convention Marpol » ni à la convention des Nations unies sur le droit de la mer, et le législateur en avait pleinement conscience, à en juger par les travaux législatifs préparatoires. Il a souhaité se garantir le pouvoir d’agir en toute circonstance, « malheureuse idée, moralement gênante ».
Préjudice écologique indemnisable?
Pour l’avocat général, seule la convention Marpol (moins sévère) est donc applicable. Il a par la suite chercher à démontrer qu’aucun arrêt de la Cour de cassation ne permet d’imaginer le contraire. Il n’y a donc aucune compétence française dans ce cas d’espèce. « Je comprends le choc après douze ans de procédure, mais le droit reste le droit et a toute sa place à la Cour de cassation », a-t-il souligné. Rappelant une nouvelle fois qu’il n’y a aucun risque de faire jurisprudence car la loi a été modifiée.
Si le préjudice écologique a été certain, est-il indemnisable? s’est interrogé l’avocat général. « Je ne comprends pas la distinction entre rejet et pollution », a expliqué un avocat des parties civiles. Des explications seront probablement données le 25 septembre, lors du rendu du délibéré. Moins de trois mois avant le 13e anniversaire du naufrage.