Chronique d’une piraterie annoncée

Article réservé aux abonnés

Le pillage des ressources halieutiques et le déversement de déchets hautement toxiques sur les côtes somaliennes ont appauvri les pêcheurs. Ils se sont tournés vers la piraterie pour trouver d’autres sources de revenus. Depuis 2005, la communauté internationale dispose d’un rapport rédigé par le Programme des Nations unies sur l’environnement (PNUE) sur les conséquences du tsunami de décembre 2004 sur les littoraux de l’océan Indien (After the tsunami Rapide Environmental Assessment, dont l’avant-propos a été rédigé par le directeur exécutif du PNUE). En page 134, on lit: « De plus, la Somalie est un des nombreux pays en voie de développement qui a reçu plusieurs déchets illégaux nucléaires et toxiques le long de ses côtes. Depuis le début des années 1980 et durant la guerre civile, parmi les déchets dangereux qui ont été jetés le long de la cote somalienne, figurent des matières radioactives, des métaux lourds, des déchets industriels, hospitaliers, chimiques et du tannage des cuirs […]. La majorité de ces déchets ont simplement été déchargés sur les plages dans des conteneurs ou dans des fûts plus ou moins volumineux et étanches sans aucune prise en compte des effets possibles sur la population ou l’environnement. »

De source officielle française

Interrogée il y a quelques mois sur son éventuelle connaissance d’un trafic de déchets en direction de la Somalie, une source officielle française a déclaré au JMM: « La journaliste Ilaria Alpi et son cameraman ont été assassinés par des inconnus le 20 mars 1994 à Mogadiscio. Cette journaliste de télévision a levé un scandale sur un trafic international de déchets toxiques, suivant une piste indiquant des transports clandestins entre l’Italie et la Somalie. Sur la plage de Bosaso, ville de la côte Nord de la Somalie, elle assiste au déchargement de fûts métalliques qui, à l’évidence – vu les combinaisons de protection que portent les hommes à la manœuvre –, contiennent des produits dangereux. La scène a été filmée. Ilaria Alpi s’apprêtait à rendre publiques les informations explosives qu’elle détenait, lorsque sur la route de retour à l’hôtel avec son cameraman, un véhicule leur barre le passage et fait feu. La journaliste et son cameraman meurent. Le double assassinat n’a jamais été élucidé. Comme, en plus, tous les documents rassemblés par la journaliste ont disparu dans l’opération, le scandale n’a pu apparaître au grand jour.

Après sa mort, certains Somaliens bien informés ont vu dans cette exécution un lien avec les investigations menées par la reporter sur l’implication de militaires italiens dans ce scandale. Ces derniers auraient vendu des armes à des chefs de guerre somaliens. Des années plus tard, on découvre que la journaliste avait vu juste. Non seulement un trafic d’armes a lieu, mais en plus un trafic de déchets toxiques fait rage. Les navires de la société italienne Shifco, que mentionne Ilaria dans son dernier entretien, fournissent en armes les miliciens du président somalien de l’époque, Ali Mahdi. En échange, ce dernier accepte d’enfouir les déchets le long de la côte somalienne. La police italienne arrivera à infiltrer un agent au sein de ce commerce mafieux de 1997 à 2000. Cependant, la justice italienne n’ira pas jusqu’au procès du réseau de la Shifco. Différents acteurs s’interrogent sur l’origine de cette inaction… » Par ailleurs, « un documentaire réalisé par le journaliste français Paul Moreira, intitulé Toxic Somalia, a été diffusé sur Arte en mai et juin 2011. Dans Toxic Somalia, Paul Moreira s’intéresse à la Shifco, aux ramifications internationales apparemment bien protégées, et à un réseau plus restreint constitué d’escrocs et d’aventuriers, plutôt maladroits, pris la main dans le sac et condamnés pour des faits autres que le trafic de déchets. La justice italienne n’ira pas jusqu’au procès du réseau de la Shifco sur lesquels les policiers ont enquêté de 1997 à 2000 avant finalement de renoncer en raison de la mise en danger d’un agent « infiltré ». Mais les journalistes italiens, qui ont grandement participé au documentaire de Paul Moreira, en viennent à trouver étrange que l’État italien se dessaisisse aussi facilement chaque fois que la question des déchets industriels est mise sur le tapis. Dans le cas de la Shifco, la piste envoie à la fois vers la Ndrangheta calabraise et les États-Unis.

« Le problème des déchets en Italie paraît tellement insoluble que le fait d’aller déverser des déchets toxiques en Afrique semble arranger tout le monde », constate Paul Moreira.

Les « Pieds Nickelés » du trafic de déchets

Enfin les institutions internationales connaissaient l’existence d’un trafic de déchets en Somalie, estime notre source. « En septembre 1992, alors que les troupes américaines n’ont pas encore débarqué à Mogadiscio, le Programme des Nations unies pour l’environnement est informé que des déchets toxiques arrivent en Somalie. En fait, le trafic remonte aux années 1980, avant la chute du régime du président Syad Barré, le 31 janvier 1991, mais celui-ci a pris de l’ampleur avec la nécessité par les milices de tous bords de trouver des financements pour leurs armes et munitions. Dans Toxic Somalia, le principal accusé somalien est le président autoproclamé en 1991, Ali Mahdi Mohammed, qui signe le premier contrat avec le réseau, présenté comme les « Pieds Nickelés » du trafic de déchets, mais aussi celui de la Shifco. « Vous nous donnez les trous, nous fournissons les armes », dit un ex-trafiquant dans le documentaire. En 1997, le PNUE se rend sur le terrain mais l’affaire en reste là. En 2005, après l’arrivée des fûts sur les plages somaliennes, Greenpeace Italie enquête et révèle le nom des sociétés italiennes impliquées dans le trafic. Les eurodéputés écologistes présentent le rapport au Parlement européen et à la presse. Le groupe de surveillance de l’embargo sur les armes en Somalie, qui a débuté ses investigations dès 2002, fait le lien dans son rapport de 2006 entre les déchets toxiques et les armes.

Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies s’est saisi également de l’affaire: l’association Somacent présente un rapport devant ce conseil, le 8 juin 2010.

Somalie: la famine fortement réduite

Le système d’alerte rapide des Nations unies sur la famine et l’unité d’analyse sur la sécurité alimentaire et la nutrition ont signalé le 18 novembre que les régions somaliennes de Bay, de Bakool et du Bas-Shabelle ne sont plus considérées en situation de famine. « Toutefois, la situation reste critique pour des millions de personnes, alors que ces zones continuent d’être confrontées à une grave crise humanitaire. Les progrès sont fragiles et doivent être maintenus », a déclaré Valérie Amos, secrétaire générale adjointe des Nations unies pour les affaires humanitaires. La famine persiste dans des parties de la région du Moyen-Shabelle et dans des zones accueillant des déplacés internes à Mogadiscio et le long du corridor d’Afgooye, a précisé le coordonnateur humanitaire pour la Somalie, Mark Bowden. Selon ce dernier, si les activités humanitaires sont interrompues ou réduites dans le sud de la Somalie, de nombreuses zones seront à nouveau en situation de famine. Il a ajouté que l’assistance humanitaire couvre environ la moitié des besoins de la population et qu’elle devait être augmentée.

Politique & réglementation

Règlementation

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15