Les marins peuvent désormais invoquer la notion de faute inexcusable

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La victime ou ses ayants droit doi(ven)t alors établir la preu­ve de la faute inexcusable et son lien de causalité avec l’accident. À cet égard, et depuis un arrêt du 31 octobre 2002, la Cour de cassation n’exige plus que la faute soit la cause exclusive ou essentielle, il suffit qu’elle soit néanmoins une cause nécessaire. La difficulté résidait dans le fait que certains travailleurs, plus précisément ceux du monde maritime, étaient, à la lettre des textes, exclus de cette possibilité. Une décision récemment rendue par le Conseil constitutionnel est venue rétablir l’équilibre jusqu’alors rompu. Revenons sur les éléments contextuels propres au traitement de la faute inexcusable de l’employeur/armateur (I) afin de mesurer la portée de cette décision (II).

I. Les éléments contextuels du traitement de la faute inexcusable de l’employeur/armateur.

Les dispositions applicables en matière de faute inexcusable trouvent leur origine dans les lois de 1898. La loi du 21/04/1898, modifiée par la loi du 29/12/1905, prévoyait expressément, en son article 11, la notion de faute inexcusable: « Les dispositions ci-dessus ne font pas obstacle à ce que les participants, leurs ayants causes ou la Caisse nationale de prévoyance subrogée à leur droit poursuivent les personnes responsables, aux termes de la loi de l’accident de la maladie. Par dérogation aux articles 1384 du code civil et 216 du code du commerce, l’armateur ou le propriétaire est affranchi de la responsabilité civile des fautes du capitaine de l’équipage. Il ne répond que de sa faute personnelle, intentionnellement inexcusable, et sous déduction des indemnités et pensions dues par la Caisse de prévoyance. » Cet article 11 de la loi du 29/12/ 1905 a été abrogé par l’article 51 du décret-loi du 17/06/1938, prévoyant, en droit maritime, un régime de responsabilité pour faute simple au bénéfice des marins. Une telle situation discriminatoire pouvait-elle perdurer au nom d’une prétendue « autonomie du régime de Sécurité sociale des gens de mer »?

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 2/07/1965, s’est tout d’abord prononcé sur la constitutionnalité des régimes dérogatoires au régime général de la Sécurité sociale: « Il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux […] l’existence même d’un régime particulier aux marins du commerce ainsi que les principes fondamentaux d’un tel régime. »

La Cour de cassation s’est prononcée sur la notion de faute inexcusable de l’armateur dans un arrêt du 23/03/2004, excluant la notion de faute inexcusable au sein du monde maritime. La dénégation de la notion de faute inexcusable en matière maritime privait donc les marins et/ou leurs ayants droit des con­séquences attachées à cette typologie de faits fautifs dans l’exercice d’un contrat de travail à l’instar du régime de protection dont bénéficient les travailleurs du monde terrestre. La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6/ 05/2011 à l’occasion d’une « question prioritaire de constitutionnalité » rétablit les salariés du monde maritime dans ce champ de la protection sociale.

II. Les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Le problème posé consistait à savoir si le législateur pouvait aménager, pour un motif d’intérêt général, le principe de la responsabilité pour lui apporter des limitations ou autres exclusions? Le Conseil constitutionnel y répond favorablement dès lors qu’il n’en résulte pas une atteinte au droit des victimes et qu’ainsi une partie des travailleurs ne soit pas privée d’un droit offert aux autres dans la réparation du préjudice subi à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail. La réserve ainsi retenue démontre que la disposition législative querellée portait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit: le droit pour toutes les victimes d’actes fautifs, y compris donc pour les marins, d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de leur employeur au cours de l’exécution de leur contrat de travail (ou d’engagement maritime) de demander une indemnisation complémentaire devant les juridictions de la Sécurité sociale au titre des préjudices non expressément couverts par les dispositions du livre IV du code de la Sécurité sociale. Telles sont les perspectives ouvertes par la reconnaissance d’une faute inexcusable.

Il s’ensuit pour la victime la possibilité d’obtenir une majoration de la rente calculée en fonction non pas de l’importance du préjudice, mais de la gravité de la faute. Cette rente ne peut excéder soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire en cas d’incapacité totale permanente. La victime est indemnisée du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, du préjudice esthétique et d’agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. En cas de décès, le montant de la majoration de la rente versée aux proches ne peut excéder le montant du salaire annuel de la victime. L’employeur est tenu d’acquitter une cotisation supplémentaire comprise entre 3 % et 50 % pendant 20 ans maximum. Les premières applications prennent corps puisque la Cour de cassation vient de faire droit, aux ayants droit d’un marin salarié de la SNCM victime d’une exposition à l’amiante au cours de sa carrière. Gageons que le législateur se saisisse de ce contexte pour mettre un terme à « l’atteinte disproportionnée » au droit à l’indemnisation complémentaire que la lettre des textes réserve encore aux marins.

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