La liquéfaction des chargements de nickel

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La série de naufrages ayant eu lieu en 2010, concernant des navires vraquiers, a été l’occasion pour Intercargo et la plupart des P&I clubs de tirer à nouveau la sonnette d’alarme, à l’OMI et dans la presse spécialisée, à propos des problèmes de « liquéfaction » de vrac solide en cale. Selon Intercargo, sur les dix navires minéraliers perdus en 2010, trois l’ont été pour des problèmes de cargaison. Ces trois navires perdus étaient chinois, transportaient du nickel de ports de chargement indonésiens vers la Chine et, selon le document MSC 89/7/4 présenté par la Chine, 45 marins ont perdu la vie; « la cause directe de ces accidents a été la perte de stabilité résultant de la liquéfaction et du ripage des cargaisons en conditions météorologiques défavorables ». Cette résurgence d’accidents survient dans un contexte de reprise du marché asiatique et de hausse de la demande chinoise en minerais de fer et de nickel nécessaires à la production d’acier. Pour satisfaire cette demande, le minerai de nickel, provenant essentiellement de mines situées en Indonésie, en Nouvelle-Calédonie et aux Philippines, est acheminé par des armateurs de navires de transport de vrac solide. Ces opérateurs de navires sont en nombre fortement croissant et certains de ces nouveaux venus sont inexpérimentés dans ce type de trafic. Après avoir rappelé ce qu’est le phénomène de liquéfaction et ses dangers pour le navire, il sera fait état du remède légal, des responsabilités respectives des intérêts navires et cargaison et les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre de ce remède, avant de voir les propositions soumises pour y faire face (2).

Il existe deux types de minerai de nickel, le sulfure de nickel et le minerai latéritique, ce dernier étant celui en cause dans les transports précités. Les minerais latéritiques ne sont pas homogènes mais constitués de particules de roche et de particules argileuses. Celles-ci se trouvent entre les particules rocheuses et servent de liant. Si le taux d’humidité dépasse un certain seuil, les particules argileuses se liquéfient entraînant le même phénomène pour l’ensemble du minerai qui devient une masse visqueuse se transformant en boue liquide. Ce phénomène se produit lorsque les vibrations du navire agitent le produit, même s’il avait un aspect solide au chargement. Le point de liquéfaction du minerai (Flow Moisture Point ou FMP) varie en fonction de chaque pile stockée. Il doit être mesuré pour déterminer la « teneur limite en humidité admissible aux fins du transport » (Transportable Moisture Limit ou TML) qui est de 90 % du FMP. Le taux d’humidité (Moisture Content ou MC) est alors établi pour chaque pile de minerai. S’il est supérieur au TML, le nickel n’est alors pas transportable par mer car il se liquéfiera avec les mouvements du navire. Transporter le minerai sous forme solide ou liquide pourrait, à première vue, ne pas porter à conséquences.

Un liquide remplissant partiellement une cale se déplace avec les mouvements du navire

Cependant, un navire conçu pour transporter du vrac sec, ou solide, ne peut sans certains aménagements transporter du vrac liquide. En effet, lorsque le chargement est effectué sous forme solide, la marchandise n’entre pas en mouvement lors du transport contrairement à une marchandise liquide qui se déplace avec les mouvements du navire. Dans le cas d’une marchandise solide, son centre de gravité ne se déplace pas à l’intérieur de la cale. Celui d’une marchandise liquide, remplissant partiellement cette cale, suit les mouvements du navire et ce, même au-delà, par l’effet dynamique. Il y a ce que l’on appelle un effet de carènes liquides qui vient diminuer la stabilité du navire en augmentant le moment de chavirement. Si ce dernier devient supérieur au moment de redressement du navire constitué par l’écart horizontal entre le centre de carène et le centre de gravité du navire, celui-ci sera affecté d’une gîte permanente et il y a risque de chavirement par mauvais temps. Une solution résiderait, comme dans les navires citernes, à remplir la cale presque à ras bord pour diminuer l’effet de carènes liquides. Cependant, la densité des minerais étant importante, de l’ordre de 2 pour le nickel, il n’est pas possible de remplir complètement les cales car les plafonds de ballasts ne résisteraient pas à la pression exercée. De plus, ces navires sont parfois équipés de ballasts situés dans les hauts afin de réduire la stabilité du navire pour éviter un rappel trop brusque au roulis. Cette diminution bénéfique et volontaire de stabilité devient un facteur aggravant lorsque la cargaison se liquéfie et peut contribuer au chavirement du navire.

Ces problèmes, dont un exemple est l’événement survenu en 1990 en Nouvelle-Calédonie et jugé par la Chambre arbitrale maritime de Paris (Sentence no 879), ont depuis longtemps été discutés à l’OMI. Le 4 décembre 2008, le Comité MSC a adopté, par la Résolution MSC.268(85), le code maritime international des cargaisons solides en vrac (code IMSBC) mis en œuvre facultativement à partir du 1er janvier 2009. La Résolution MSC.269(85) a adopté des amendements au Chapitre VI – Transport de cargaisons et de combustibles li­quides de la Convention Solas, rendant obligatoire le code IMSBC au 1er janvier 2011, en remplacement du Recueil de règles pratiques pour la sécurité du transport des cargaisons solides en vrac (Recueil BC). En effet, la nouvelle Règle 1-2 du Chapitre VI de la Solas stipule que « les cargaisons solides en vrac autres que les grains doivent être transportées conformément aux dispositions pertinentes du code IMSBC. »

Des renseignements à fournir par écrit

Les responsabilités respectives, posées par la Solas, sont précisées par le nouveau code. La Règle VI/2 de la Solas fait obligation au chargeur de fournir par écrit au capitaine du navire les renseignements sur la marchandise, prescrits à la section 4 du code IMSBC, avant tout chargement à bord. Ces renseignements accompagnés d’une déclaration du chargeur comprennent, entre autre, selon la section 4.2.2, le groupe de cargaisons (groupe A – cargaisons susceptibles de se liquéfier), des certificats « sur la teneur en humidité de la cargaison et sur sa teneur limite en humidité admissible aux fins du transport », et « la probabilité de formation d’une base liquide ».

Ces certificats doivent faire figurer les résultats des essais ayant permis de déterminer le MC et le TML, selon une méthode reconnue internationalement ou nationalement et effectués dans un délai avant le chargement de moins de 6 mois pour le TML et de moins de 7 jours pour le MC. La déclaration de l’expéditeur doit attester « que la teneur en humidité est, à sa connaissance, la teneur en humidité moyenne de la cargaison au moment où la déclaration est présentée au capitaine. »

Cependant, le cas du BW-Odel, en route du Brésil vers la Chine avec un chargement de minerai de fer, liquéfié au passage de l’Afrique du Sud et bloqué au mouillage au large de l’Île Maurice (ne pouvant accéder en raison de son fort tirant d’eau) depuis le 13 mai 2011, démontre les problèmes liés à une application défectueuse du code IMSBC. En effet, les P&I clubs ont à nouveau alerté sur ces problèmes de liquéfaction et mis en garde contre des chargements, dans certains ports du Brésil, dont les taux d’humidité sont excessifs et les déclarations fausses, ces dernières faisant état de cargaisons classées dans le groupe C du code IMSBC alors qu’elles auraient dû l’être dans le groupe A, échappant ainsi à l’exigence de tests.

La partie B du chapitre VI de la Solas insiste sur la nécessité pour le capitaine d’avoir en sa possession, avant le chargement, l’ensemble des informations nécessaires aux calculs de stabilité et sur les propriétés physiques de la cargaison. Il commettrait une faute en acceptant de commencer le chargement en l’absence des documents attestant de ces informations. Il pèse sur lui l’obligation juridique de refuser le chargement en l’absence des certificats prévus par le code IMSBC. Il a de plus l’obligation, s’il a un doute sur la qualité de la marchandise pouvant entraîner un risque pour la sécurité du navire, de refuser de charger ou de stopper le chargement conformément à la Règle VI/7.5 de la Solas. Pour lever le doute il peut, selon la section 8 du code IMSBC, procéder à un test artisanal de vérification complémentaire pour déterminer les risques de liquéfaction. Le capitaine peut également demander qu’une nouvelle analyse soit effectuée.

Si la solution juridique internationale est séduisante, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre, parfois incomplète, voire totalement ignorée, a déjà fait apparaître un certain nombre de difficultés. Concernant la certification des taux d’humidité du minerai de nickel, les essais étant effectués parfois bien avant chargement – et l’entreposage de ce minerai ne se faisant pas à l’abri des intempéries –, il arrive régulièrement qu’un certificat délivré ne signifie pas grand-chose lorsque des pluies torrentielles se sont abattues entre la date des tests et celle de chargement. De plus, dans de nombreux cas, l’absence de certification indépendante (laboratoires intégrés aux compagnies minières) laisse planer un doute certain sur la sincérité des certificats délivrés. Les P&I clubs ont par ailleurs dé­noncé, à plusieurs reprises, les menaces et contraintes physiques exercées sur les inspecteurs cargaison indépendants envoyés par les intérêts navire pour pallier la présentation aux capitaines de certificats douteux. Ils ont cependant rappelé, dans les guides et recommandations qu’ils ont distribués, que la couverture assurée par le club serait perdue pour ceux de ses mem­bres ne respectant pas les dispositions du code IMSBC et acceptant de charger un minerai hors normes. Selon les P&I clubs, des chargeurs ont tenté de faire confirmer par le capitaine ou l’inspecteur cargaison indépendant, et par écrit, le fait que la marchandise ne posait de problème pour la sécurité alors qu’une telle déclaration incombe à l’expéditeur conformément au code IMSBC. Des pressions ont même été exercées sur certains armateurs pour accepter des clauses de charte-partie les empêchant d’appliquer intégralement le code ou d’avoir recours à des inspecteurs indépendants ou bien même d’analyser des échantillons de cargaison.

Trois propositions chinoises

À la 89e session du comité MSC, en mai 2011, la délégation chinoise a présenté le document MSC 89/7/4, en réaction aux naufrages fin 2010 des trois navires minéraliers battant son pavillon. La Chine a présenté trois propositions « en vue de prendre des mesures pour renforcer la sécurité du transport de cargaisons solides en vrac par les navires ». Il s’agissait d’améliorer le code IMSBC: d’une part en mettant en œuvre un programme de l’OMI indépendant d’échantillonnage, de mise à l’essai et de délivrance de certificats; deuxièmement en publiant des recommandations à l’intention des gens de mer en matière d’exploitation des navires transportant des cargaisons susceptibles de se liquéfier; et enfin, suite au constat de l’application inefficace par l’administration du principe selon lequel la liquéfaction des cargaisons doit être évitée en contrôlant leur teneur en humidité, la conception du navire pourrait être modifiée, par exemple, en installant une cloison longitudinale dans les cales à cargaison afin de transporter le minerai en sécurité même sous forme liquide. Cette dernière proposition, même si elle n’a pas rencontré l’enthousiasme d’Intercargo, a cependant recueilli la faveur de la société de classification Rina qui vient d’établir des standards de conception pour la modification ou la construction de vraquiers capables de transporter des minerais même liquéfiés, s’affranchissant ainsi de certificats à valeur aléatoire.

Intercargo et Bimco, par le document MSC 89/7/7, ont présenté des observations en réponse aux propositions chinoises. Ils sont favorables à la première proposition, tout en rappelant que les propriétaires de navires font désormais souvent appel à des inspecteurs cargaison indépendants, mais que pour les raisons précitées, cela reste un exercice difficile, et affirment qu’il est important de garantir uniformité et clarté au regard de la responsabilité des chargeurs, des affréteurs et des autorités du port de chargement. Ils sont également favorables à la deuxième proposition, la diffusion de la connaissance des dangers devant aussi s’effectuer à terre, et mieux que la formation à l’intervention d’urgence à bord, il faut d’abord empêcher le chargement d’une cargaison incompatible. Au regard de la solution relative à la conception du navire, Intercargo et Bimco sont opposés au transfert de responsabilité, vers le navire, qui doit rester celle du chargeur et de l’autorité compétente. Ils proposent que le sous-comité DSC soit chargé d’élaborer un programme garantissant un échantillonnage et des essais fiables et indépendants, ainsi qu’une formation accrue pour les personnels à bord et à terre.

Le comité MSC a par conséquent décidé d’allouer d’avantage de temps à la préparation d’amendements au code IMSBC et de transmettre les deux documents précités au sous-comité DSC afin de considérer, à sa dernière session tenue en septembre, les propositions qu’ils contiennent. Affaire à suivre…

La collection complète des Gazettes est disponible gratuitement sur le site de la Chambre arbitrale maritime de Paris www.arbitrage-maritime.org

Voir notre article p. 24 sur le premier vraquier conforme à la nouvelle réglementation sur les cargaisons liquéfiables.

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