Comment concilier la réponse en cas d’attaque de pirates et les lois, du Droit maritime et du code du travail, qui régissent habituellement la vie à bord des navires? « Toutes les entreprises, et donc les armements maritimes, ont une obligation de prévention des risques, que ce risque soit la piraterie ou une explosion nucléaire du type de Fukushima », rappelle Patrick Chaumette, professeur de droit social à l’Université de Nantes.
Pour la piraterie, cela se traduit par des formations des équipages à la sécurité, ou par l’embarquement d’hommes armés, militaires ou employés de sociétés de sécurité. « Mais ces démarches de l’entreprise peuvent être vécues comme un stress. » Surtout, quel est alors le rôle du capitaine? « S’il a bien l’autorité sur les personnes du bord, y compris les militaires ou les agents de sécurité, rien ne dit qu’il maîtrise les procédures ni l’usage des armes », souligne Patrick Chaumette. De manière plus basique, comment loger à bord les hommes des équipes de sécurité alors que les navires actuels disposent d’un nombre de cabines tout juste adapté à la taille de l’équipage? Quant à doubler voire tripler les veilles, Jean-Paul Declercq, de l’Association française des capitaines de navire, y voit aussi un risque pour la santé de l’équipage au terme des cinq jours de traversée.
Il a aussi soulevé la question de la navigation par temps de brume. Alors que le transit se fait à 18 nœuds, la sécurité impose alors 6 nœuds. « Mais alors, faut-il maintenir l’AIS? Actionner la corne de brume au risque d’attirer les pirates? » Enfin, Jean-Paul Declercq évoque la responsabilité du capitaine en cas de « bavure » à bord de son navire. « Face au développement des risques, si le capitaine applique les consignes de l’armement, on peut considérer qu’il s’agit de cas de force majeure », lui répond Patrick Chaumette. « On attend la confirmation juridique de ce raisonnement le plus tard possible… »
Comment « punir » les pirates?
Une autre question qui se pose est celle des poursuites engagées contre les pirates. Ceux qui ont attaqué le Ponant et ont ensuite été capturés par l’armée française en Somalie attendent aujourd’hui dans des prisons parisiennes leur passage devant une cour d’assises. Selon Patrick Chaumette, personne ne sait si cela ne va pas compliquer les relations avec les pirates en cas de nouvelle attaque contre un navire français. Simon Delfau, security manager à la CMA CGM, la compagnie propriétaire du Ponant, est quant à lui convaincu que « le prochain marin français qui sera attrapé va le payer très cher… »
Quant à la probable condamnation des pirates, là encore, la question suscite des réflexions. « Sur l’aspect pénal et pénitentiaire, il y a aussi une dimension humanitaire », souligne Patrick Chaumette. Récemment, la Corée a condamné à mort un pirate somalien. Et les États-Unis ont rendu plusieurs jugements avec des condamnations de 23 à 30 ans de prison. « Mais à quoi cela rime d’enfermer dans des prisons françaises des ressortissants somaliens? Certes, on n’a rien d’autres, mais ce n’est pas une bonne solution. »
Quant au rapport de Jack Lang qui propose, entre autres choses, de construire des prisons en Somalie même, il ne semble pas très réaliste, et ce pour plusieurs raisons. La Somalie est loin d’être unifiée et le GFT ne contrôle qu’une partie limitée du territoire. D’autre part, les magistrats somaliens ne sont pas formés à ce type d’affaires. Enfin, les prisons n’existent pas en Somalie, la justice étant le plus souvent rendue par les clans auxquels appartiennent les accusés.
« On essaie de ramener le problème de la piraterie à la terre », observe François Guiziou, doctorant en géographie. « Mais le vrai problème est un problème de business et de ce qu’on offre sur la côte. » Il rappelle que la piraterie a en effet généré toute une économie, depuis les fournisseurs de khat et de bestiaux aux trafiquants d’armes ou aux opérateurs de télécommunication. Proposer une alternative est d’autant plus difficile. D’autres évoquent la possibilité de payer un péage pour apaiser les pirates. Mais à qui le payer? Et si un tel péage était effectivement mis en place, il risquerait fort de susciter des vocations dans d’autres pays…
Gérer le stress à bord des navires
La CMA CGM a proposé à tous les membres de l’équipage du Ponant un accompagnement psychologique après l’acte de piraterie dont ils ont été victimes. Un partenariat a été mis en place avec un organisme de consultation psychologique. Le numéro vert pour le joindre a été remis à tous les marins de la compagnie. Les appels, qui ne concernent pas uniquement les problèmes de piraterie, sont anonymes et peuvent être faits de jour comme de nuit.
Quelle route choisir?
Selon Simon Delfau, security manager à la CMA CGM, des navires ont parfois choisi de se dérouter pour rester le plus loin possible des côtes qui abritent des pirates. « Mais partout dans l’océan Indien, certains ont quand même subi des attaques. » Ces routes sont non seulement plus coûteuses en fioul, mais aussi plus dangereuses, « parce que les navires restent plus longtemps dans l’océan Indien. Aujourd’hui, on leur demande de couper tout droit, parce qu’en restant moins longtemps, il y a aussi moins de risque de se faire attaquer ».
Cependant, Simon Delfau assure que plus aucun navire ne passe dans la zone côtière des 300 miles le long de la Somalie. « Ou sinon, l’assurance lui demande une prime » qui se compte en centaines de milliers de dollars. Quant à un éventuel passage par le Cap de Bonne Espérance, il ne faut, selon lui, même pas y songer. « La paire de baskets qu’on paye aujourd’hui 40 € passerait à 120 €. »