C’est en présentant ses « objectifs stratégiques et recommandations concernant la politique du transport maritime de l’EU jusqu’en 2018 », que la Commission européenne a proposé d’établir un « agenda social maritime » (JMM du 13 mars 2009, p. 12). La première étape fut franchie en 2010 avec la constitution d’une « Task Force » composée de douze membres, avec comme président sir Robert Coleman, ancien directeur général pour les transports à la Commission. Trois membres représentaient les navigants, trois autres les employeurs et six les professionnels du paramaritime et des chercheurs dont le professeur de droit Patrick Chaumette, fondateur de l’Observatoire des droits des marins.
La première des recommandations, dans l’ordre de présentation du rapport, est « négative »: il est recommandé à la Commission européenne de ne pas envisager d’imposer l’emploi de marins européens à bord de navires affectés aux lignes régulières intra-européennes car cela serait « à peine efficace, provoquerait probablement une opposition émotionnelle forte et serait néfaste au dialogue social ». L’idée d’un espace maritime européen n’est donc pas d’actualité.
Au sujet des équipages des navires d’assistance offshore travaillant dans les eaux territoriales ou dans les ZEE des États membres, la « majorité » du groupe de réflexion recommande à la Commission d’examiner la possibilité d’autoriser « clairement » les États à définir des normes d’équipages en s’inspirant de la pratique de la desserte des îles. En d’autres termes, l’État d’accueil décide des normes applicables aux équipages des navires desservant le continent « national » et les îles.
Au sujet des directives à caractère social dont le champ d’application exclut les navigants ou autorise leur exclusion et qui sont en cours de révision, le groupe de travail propose que soient réexaminées les conditions d’exclusion pour quatre d’entre elles: la directive 2008/94 sur la protection des salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur; la 2009/38 sur l’institution d’un comité d’entreprise européen en vue d’informer et de consulter les travailleurs; la 2002/14 sur l’information et la consultation des travailleurs dans la CE et la 2001/23 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise ou d’établissement.
Concernant la convention sur le travail maritime de 2006 de l’OIT, tout le groupe de travail soutient les efforts continus des États membres et de la Commission pour sa mise en œuvre, ainsi que l’adoption de dispositifs européens de contrôle de sa bonne application. Il est question, en particulier, d’inspections ciblées au titre du Port State Control, afin d’éliminer la pratique des équipages en nombre insuffisant et la fatigue qui en résulte. Le groupe recommande donc à la Commission:
– de poursuivre le dialogue avec les États membres afin que la convention soit ratifiée et donc mise en place au plus vite;
– de faciliter le dialogue entre les États membres et la communauté maritime en vue d’un contrôle efficace du bon respect de cette convention;
– de proposer que la ratification et le strict respect de cette convention fassent partie de la liste des normes qu’un État du pavillon membre de l’UE se doit de respecter.
Au sujet de la norme STCW 2010 adoptée à Manille, le groupe recommande à la Commission de s’assurer de sa bonne application par les États membres et les États tiers pourvoyeurs de main-d’œuvre maritime.
Même s’il peut être considéré comme « généreux », le régime d’aides publiques aux compagnies européennes ne doit pas être modifié, recommande le groupe de travail, ajoutant que les États membres devraient l’utiliser au mieux de ses capacités. « Certains membres » du groupe proposent de conditionner l’octroi de l’impôt forfaitaire au tonnage à l’emploi de marins européens « lorsque ces derniers sont disponibles ».
Au sujet de la formation initiale des navigants, de leur entrée dans le métier et leur développement de carrière, le groupe recommande la mise en place d’un réseau, Marinet, afin de favoriser le développement de structures associant les armateurs, les professions paramaritimes et les administrations nationales concernées. Ces structures auraient vocation à favoriser une meilleure compréhension des possibilités d’emplois maritimes en mer comme à terre et à encourager la mobilité professionnelle des navigants. Le groupe recommande également un usage plus intensif des dispositifs existants comme le programme Leonardo da Vinci (qui permet la mobilité des personnes désireuses d’acquérir une expérience professionnelle en Europe, N.D.L.R.).
Concernant les conditions de vie à bord, il est recommandé que les partenaires sociaux, aux niveaux national comme communautaire, soient régulièrement consultés et, « si nécessaire », amenés à négocier l’amélioration des conditions de travail et de vie à bord afin de les rendre « suffisamment attractives » pour des Européens. Le groupe de travail souligne le rôle important des partenaires sociaux dans le développement d’une culture de la sécurité à bord. L’une des priorités concerne les locaux de vie. Il pourrait être judicieux de définir un standard qui prendrait en compte ce qui se fait de mieux en Europe. Le groupe propose également que les partenaires sociaux soient consultés et, si possible, trouvent un accord sur l’amélioration des moyens de communication à bord via Internet, y compris sur les règles d’utilisation de ces technologies afin d’en assurer un usage raisonnable.
La Commission devrait également examiner la possibilité d’autoriser l’octroi d’aides publiques destinées à favoriser le développement de l’usage d’Internet dans la vie professionnelle et privée des navigants.
La surcharge de travail administratif n’a pas échappé aux réflexions du groupe. Il demande qu’avec l’aide de la commission, les États membres et les partenaires sociaux ouvrent, dans un premier temps, des discussions au niveau européen afin de déterminer les meilleurs moyens de réduire la charge administrative, en tenant compte des avancées technologiques et des possibilités offertes par les dispositifs de suivi comme la convention FAL («facilitation » du trafic maritime international, N.D.L.R.) ou le programme Blue Belt. Selon les résultats obtenus, l’OMI pourrait être saisie afin d’éliminer les redondances administratives.
Au sujet de la criminalisation croissante des navigants, en particulier du commandant lors de pollution accidentelle aux hydrocarbures, la Commission se voit recommander d’envisager la mise en œuvre d’un « instrument » obligeant les États membres à s’assurer qu’en cas d’accident, les navigants seront traités de façon équitable. Un tel instrument pourrait être basé sur les meilleures pratiques européennes et faciliter la concrétisation des recommandations formulées par l’OMI sur le traitement équitable. Le groupe de réflexion recommande également à la Commission d’examiner la possibilité d’exiger des employeurs basés en Europe (armateurs et gestionnaires de navires) qu’ils assurent la protection juridique des marins communautaires détenus à l’étranger à la suite d’un accident, le paiement des cautions pour remise en liberté ou l’émission de garanties du même genre.
Concernant le débarquement des marins durant les escales, le groupe recommande la rapide ratification de la convention 185 de l’OIT relative aux papiers d’identité des navigants. Compte tenu des « difficultés particulières » rencontrées durant les escales aux États-Unis, le groupe propose l’examen de toutes les possibilités d’établir un dialogue « bilatéral » à ce sujet entre les États-Unis et la commission.
Au sujet des marins abandonnés, le groupe recommande d’encourager les États membres à soutenir le travail du groupe ad hoc de l’OMI et de l’OIT, et d’explorer la possibilité de créer un fonds spécial pour venir en aide aux marins abandonnés.
Bientôt des gardés armés?
Incontournable, la piraterie a fait l’objet de trois recommandations:
– création d’un cadre juridique « plus clair » relatif à cette activité, en particulier concernant les juridictions chargées de juger les accusés. « Des mesures pour réduire le problème à sa source devraient également être renforcées en tenant compte du long terme »;
– en attendant, les partenaires sociaux devraient s’assurer de la mise en œuvre complète du guide des bonnes pratiques en matière de prévention des actes de piraterie. La Commission pourrait émettre une recommandation à ce sujet;
– « les compagnies maritimes devraient être autorisées à protéger leurs équipages à l’aide de gardes armés embarqués ou d’escortes armées lorsque la police ou des forces militaires ne sont pas disponibles. Les États d’immatriculation devraient définir le cadre légal précisant l’emploi de ces formes de protection armées »;
Au sujet de l’amélioration de l’image de la profession de navigant, il est recommandé d’éviter, « surtout auprès des jeunes », le recours à des généralisations « vides de sens » et donc de « se concentrer sur des actions concrètes visant à améliorer la vie privée et la carrière professionnelle, à bord comme à terre, comme cela est suggéré dans le présent rapport ».
Vers un observatoire des métiers?
Dès la première page de son rapport, le groupe de travail évoque la « difficulté majeure » que constitue le manque de données fiables sur la profession. Il y revient dans sa dernière recommandation, estimant que la « disponibilité de données comparables doit être améliorée afin de pouvoir définir des politiques durables. Les autorités publiques sont invitées à prendre leurs dispositions pour collecter des données sur l’emploi, sur les besoins en nombre et en qualifications, les sources de recrutement, les taux d’évaporation. La Commission pourrait s’assurer de la cohérence des données collectées et de leur caractère complet, en s’appuyant si besoin sur l’article 337 du traité. […] ».
Touche pas à mes aides
Le jour même de sa publication, le 20 juillet, les associations des armateurs de l’UE (ECSA) ont favorablement accueilli ce rapport malgré « quelques recommandations préoccupantes ». Elles saluent en tout premier, l’idée de ne pas toucher au régime d’aides publiques: un « signal fort » qui doit être entendu par la Commission. Et pas question de conditionner l’octroi de la taxe au tonnage à l’emploi de marins communautaires.
Autre satisfaction: la recommandation de ne rien imposer en matière d’emploi de navigants communautaires.
Ces derniers ne sont pas « exclus » des directives sociales, soulignent leurs employeurs, ils bénéficient, plutôt d’une législation « spécifique » qui tient compte du caractère très particulier de leur profession. « Toute modification de ces directives doit être soigneusement pensée et préparée en tenant compte de l’avis direct des armateurs. »
Concernant les normes d’emploi à bord des navires offshore, « il faut faire très attention aux dangereuses conséquences imprévisibles ». Au sujet du dialogue social, l’ECSA estime que le forum européen du dialogue social est parfaitement à même de résoudre bon nombre de problèmes, sans recourir à un apport extérieur.
M.N.