Les actes de violence envers les membres d’équipage s’aggravent. Alors qu’en 2006 on a dénombré 317 actes, ce chiffre est passé à 1 270 en 2010. Un nouveau rapport d’Oceans Beyond Piracy Project vient d’être publié qui fait état pour la seule région de la Somalie de 1 090 marins pris en otage en 2010 dont 488 qui ont subi des actes de torture.
L’impact économique de la piraterie sur la chaîne logistique a été estimé, en décembre, entre 7 Md$ et 12 Md$ (One Earth Future Foundation Working Paper). Les rançons réclamées par les pirates somaliens continuent de croître et les délais nécessaires pour libérer les navires se prolongent.
Si l’on parlait déjà en 2008 d’un véritable « boom » de la piraterie au large de la Somalie, force est de constater que l’ensemble des moyens mis en place (présence militaire renforcée, révisions du Best Management Practice, moyens non-léthals, etc.) n’a pas permis d’endiguer le problème. Les Marines nationales présentes dans l’océan Indien ne peuvent protéger tous les navires sur zone en raison de leurs effectifs insuffisants, et les pirates somaliens font preuve de stratégie et d’innovation dans le déploiement de leurs ressources.
Il n’est, dès lors, pas étonnant que les armateurs soient de plus en plus nombreux aujourd’hui à s’interroger sur le recours à des sociétés de sécurité privée (SSP) et le déploiement de gardes armés à bord de leurs navires, en particulier lors des passages par le Golfe d’Aden. L’instabilité politique au Yémen pourrait accroître cette demande.
Les EPE ont jusqu’à présent fait leurs preuves
À notre connaissance, aucun navire équipé de gardes armés n’a été capturé jusqu’à présent et les SSP s’en servent naturellement comme argument de vente. Si certaines associations d’armateurs européens se montrent aujourd’hui plus enclines à accepter la présence d’armes à bord des navires, elles réclament qu’elles soient détenues par des militaires dans le cadre d’Équipes de protection embarquées (EPE). Les EPE françaises ont fait leurs preuves à bord des thoniers, particulièrement vulnérables depuis 2009, mais il n’est pas actuellement question de généraliser cette mesure en l’appliquant à tous les navires battant pavillon français, sans parler des navires battant pavillon étranger mais contrôlés par des intérêts français.
Les effets escomptés des mesures dernièrement proposées dans le rapport de Jack Lang aux Nations Unies seront longs à venir et l’ancien ministre lui-même estime que « la présence à bord des navires marchands de gardes armés militaires ou civils n’est pas déraisonnable ». Par ailleurs, la CCI vient de lancer un appel à l’action envers les Nations Unies afin que les règles d’engagement des marines nationales soient améliorées.
Le terrain pour la prolifération des SSP est donc particulièrement fertile face à la nécessité pour les armateurs de trouver des solutions efficaces à court et moyen terme. L’encadrement des SSP est en cours d’élaboration. Toutefois, de nombreux obstacles juridiques doivent être levés avant qu’un armateur puisse envisager la présence de gardes armés sur son navire.
Des législations différentes selon les États
Un armateur ne peut se contenter de se référer à un seul régime juridique puisque les positions varient sensiblement d’un État à l’autre. Chaque armateur devra, à tout le moins, s’assurer que l’État du pavillon autorise la présence de gardes armés à bord. Le Comité de sécurité maritime de l’OMI a pris conscience du développement des SSP et, sans encourager l’usage des armes, vient d’adopter deux directives provisoires sur la présence d’hommes armés à bord des navires destinées d’une part aux armateurs, opérateurs et capitaines de navires et, d’autre part, aux États. L’OMI incite vivement les États à adopter une position claire sur le sujet, ce que certains, tel que le Liberia, le Panama, les Bahamas et les îles Marshall, ont fait en autorisant le port d’armes à bord des navires. Un grand nombre d’États membres de l’Union européenne ne le permettent pas alors que certains armateurs perçoivent les gardes armés comme une nécessité. Ces armateurs n’ont eu, jusqu’alors, d’autre choix que de changer le pavillon de leur navire, mais les choses évoluent en ce moment puisque l’Angleterre et l’Italie ont récemment déclaré qu’une réforme législative était en cours d’étude afin de permettre la présence des gardes armés sur les navires immatriculés dans leurs pays.
L’autorisation de l’État du pavillon n’est pas suffisante. La présence des armes doit également être autorisée par tous les États où les armes transitent. Cela crée déjà des difficultés de logistique en Afrique du Sud par exemple, qui exige sous peine d’amende et d’emprisonnement que les navires fassent une demande d’autorisation auprès de ses autorités au moins 21 jours avant leur arrivée au port. Dans l’hypothèse où un État côtier l’interdirait formellement, il faudrait alors envisager de retirer ces armes avant d’arriver dans les eaux sous la juridiction de cet État.
Le capitaine, seul responsable en dernier ressort
Parallèlement, il convient de tenir compte des prescriptions de Solas et du code ISPS (ce dernier est en vigueur en France depuis 2004). D’une part, elles interdisent l’introduction d’armes non autorisées à bord des navires et dans les installations portuaires. D’autre part, elles désignent le capitaine comme seul responsable en dernier ressort de la sécurité et de la sûreté du navire. Ainsi, les relations entre ce dernier et le responsable de l’équipe de sécurité à bord doivent être clairement établies concernant le contrôle du navire et la décision d’avoir recours aux armes en cas d’attaque. Le besoin d’une adaptation de ces prescriptions face à l’essor de la piraterie se fait aujourd’hui ressentir.
S’agissant des SSP, il n’existe pas encore de législation européenne contraignante, même si le Conseil de l’Europe a eu l’occasion d’encourager les États membres à réglementer le recours, par les compagnies maritimes, à des sociétés de sécurité privées (cf la résolution 1722 de 2010 et la recommandation 1858 de 2009 reprenant le Document de Montreux de 2008). Certaines SSP françaises se sont d’ailleurs émues de l’avantage économique que posséderaient leurs homologues américains et anglais.
Les armateurs qui choisissent de faire appel à des SSP doivent rester sur leurs gardes afin de ne pas être confrontés à d’éventuelles déviances de la part de sociétés peu scrupuleuses qui pourraient avoir recours à du personnel inadapté ou insuffisamment formé (par exemple des étudiants ou des « videurs » de boîte de nuit…). Le seul engagement de qualité qui existe pour le moment est la signature par certaines SSP du code international de bonne conduite par lequel elles s’engagent à respecter des standards internationaux. Cette initiative n’est pas pour autant un gage suffisant puisqu’il n’existe pas de contrôle indépendant des pratiques des SSP adhérentes. Il est, par conséquent, recommandé aux armateurs de soumettre les SSP à un contrôle rigoureux et de les obliger à rendre compte des critères de sélection du personnel, de la régularité de leur immatriculation, de leur expérience dans la sécurité maritime, de l’étendue de leur couverture d’assurance et de la détention des permis et licences requis.
En effet, et il s’agit cette fois-ci d’un argument que certaines associations d’armateurs brandissent pour décourager leurs adhérents d’utiliser les SSP; la responsabilité d’un armateur voire même d’un capitaine pourrait être engagée en cas de dérapage. Là encore, les régimes juridiques varient, mais en cas de décès ou blessure par balle, pourra-t-on invoquer la légitime défense? La riposte était-elle proportionnelle à l’attaque? Le ministère public déclencherait-il les poursuites?
L’industrie maritime n’est pas unanime sur la nécessité d’avoir recours aux gardes armés et l’armateur, tiraillé entre différents groupes d’influence, se trouve seul face à un choix difficile.