Le 8 février, le cargo de 88 m immatriculé à Gibraltar et techniquement géré aux Pays-Bas, où il a été construit en 2006, remonte d’Espagne vers l’Allemagne. À 8 h 41, il signale, comme il en a l’obligation, sa présence au Cross Gris-Nez. Il se trouve alors au niveau de la bouée Bassurelle, dans le rail montant du dispositif de séparation de trafic (DST), placé sous surveillance française.
À 11 h 18, faisant route au 60, il arrive au point tournant 12, où il doit passer au 30 pour rejoindre le point tournant 13. Mais il poursuit au 60, sort à 11 h 56 de la limite Est de la voie montante pour entrer dans la zone de navigation côtière. Il s’échoue à 12 h 41 à 8 nœuds sur un fond « plat et rocheux » sur le littoral d’Ambleteuse, presque au pied de Gris-Nez. Un témoin oculaire alerte le Cross de sa présence « insolite ». « Après plusieurs tentatives », le Cross arrive à contacter le navire à la VHF. Son commandant évoque un problème de « filtre à huile moteur ». À 13 h 49, le navire se déséchoue tout seul et fait route vers la rade de Dyck. À 20 h 55, l’équipe d’évaluation est récupérée. À 0 h 55, le navire repart vers l’Allemagne avec un nouveau commandant.
Le premier facteur déterminant est, selon le BEAmer, l’assoupissement du commandant (48 ans, ukrainien) d’« au moins 1 h 20 ». Mais une nouvelle fois, le BEA note que cet assoupissement « peut trouver son origine dans les rythmes de travail à deux officiers de pont assurant le quart par bordée, avec une organisation des quarts particulièrement fatigante. […] Le capitaine assurait les quarts de minuit à 4 h et de 8 h à 16 h, reprenant ainsi une veille d’une durée de 8 h, après seulement quatre heures de repos théorique. À noter qu’il n’a pas été pratiqué de test de détection éthylique après l’accident. Ce rythme de travail n’est pas adapté et ne permet pas au personnel de quart, de reste apte physiquement et suffisamment vigilant, de remplir sa fonction. Ceci constitue un facteur structurel sous jacent de la perte de vigilance du capitaine, entraînant l’échouement ». Un facteur maintes fois souligné par le BEAmer et/ou la MAIB britannique, sans réaction perceptible à ce jour des Pays-Bas (Artemis sur la plage des Sables d’Olonne), de l’OMI ou de la Commission européenne.
Second facteur sous-jacent: la pratique « habituelle de shunter les alarmes de l’ECDIS (système électronique de visualisation des cartes et d’information, n.d.l.r.) durant la journée ». En d’autres termes, le dispositif d’alerte d’arrivée prochaine sur un point tournant et celui de l’homme mort étaient désactivés au moment de l’accident, comme cela était de pratique courante en journée.
45 minutes sans réaction
Pour surveiller le DST, le Cross dispose du système Spationav qui intègre les images de deux radars et les informations données par l’AIS. Face à une situation à risque, le Cross peut activer sa VHF, envoyer un hélicoptère qui aurait pu être sur zone en une vingtaine de minutes, demander à tout navire présent sur zone et identifié grâce à son AIS, d’aller voir.
Durant 45 minutes, entre l’entrée dans la zone côtière et l’échouement, les opérateurs n’ont rien fait car ils n’ont pas eu pas conscience de la situation. C’est un « témoin extérieur » qui leur signale une présence « insolite ». Cette absence de détection est considérée comme le second facteur déterminant de l’événement.
Le BEA l’explique ainsi:
« Mobilisation de l’équipe de quart sur différents événements dans la zone du DST: concentration de nombreux navires de pêche, situation de panne d’un navire (procédure Defrep), recueil des données de signalement, relève de quart…
– absence d’alarme de type « franchissement de limite » ou « intrusion de zone », qui aurait constitué une « défense » supplémentaire et attiré, le cas échéant, l’attention des opérateurs sur une situation nautique anormale. Dans le cas du Musketier, un tel système aurait alerté le chef de quart. Le Cross disposait alors d’une quarantaine de minutes pour mettre en œuvre les moyens déjà cités; – absence de détection de la situation anormale par le sémaphore de la Marine nationale de Boulogne-sur-Mer, dont le champ de vue comporte la zone considérée. À noter toutefois que la surveillance de la circulation dans le dispositif de séparation de trafic, en tant que telle, n’est pas une mission spécifique de cet organisme. »
Rappels
Le BEAmer rappelle une nouvelle fois à l’OMI et à l’EMSA « la nécessité de sensibiliser les armateurs concernés aux risques présentés par les caboteurs naviguant dans le range européens, avec des effectifs manifestement sous-dimensionnés. »
Il recommande à l’armateur du Musketier « de mettre en place un effectif et une organisation de passerelle adaptés au type et à l’activité du navire, afin d’assurer une condition physique de l’équipage compatible avec la sécurité. » Et à l’administration chargée des Cross « de procéder à l’adaptation du système Spationav à son utilisation dans le cadre d’un service de trafic maritime, en lui adjoignant notamment les alarmes propres aux équipements destinés à la surveillance du trafic maritime dans les DST ».