Le 23 décembre à 18 h 22, en manœuvre de dépassement, l’avant du CMA-CGM-Lapérouse heurte l’arrière du Thebe, fluvio-caboteur de 90 m, dans la voie montant du DST Off Vlieland (Pays-Bas). Puis l’arrière du porte-conteneurs de plus de 365 m heurte à son tour le Thebe. Après évaluation des dégâts, ce dernier entre par ses propres moyens dans le port de Den Helder, le porte-conteneurs poursuivant sa route vers Hambourg. Pas de victime directe, pas de pollution.
Embarqué le 21 décembre au Havre, le 3e lieutenant français, de quart à la passerelle lors de la collision, a 4 mois et 18 jours de temps de navigation au pont, à bord des navires du groupe CMA CGM. Ses états de service sont « bons », indique le BEA. Il n’a jamais navigué sur des unités aussi grandes et de cette conception: château sur l’avant (à 145 m de l’étrave) et îlot cheminées au-dessus de la machine. « Cette disposition améliore la visibilité sur l’avant […] mais le report de la plus grande longueur du navire sur l’arrière constitue un paramètre à prendre en compte en manœuvre et au cours des évolutions. » Le timonier de quart « n’est pas présent à la passerelle mais pouvait être mobilisé à tout moment par le chef de quart, suivant l’organisation du travail en vigueur jusqu’à la date de l’accident. […] Cette organisation, en période d’obscurité, est cependant contraire aux dispositions de la convention Solas ».
Le temps est mauvais: vent de Nord/Nord-Est 8 à 9 B; mer forte du vent. Visibilité environ 6 milles nautiques (Nm).
À 15 h 50, le 3e lieutenant arrive en passerelle pour son 2e quart depuis l’appareillage du Havre.
À 16 h 00, après la passation de suite, il est « seul ». Il sera bientôt rejoint par un stagiaire.
À 18 h 00, le porte-conteneurs navigue au 23o à 22 nœuds. L’un des deux navires montants détectés par les deux radars est le Thebe, qui est à 7,2 Nm devant, légèrement sur bâbord. « Il fait des embardées de l’ordre de 15o et sa vitesse varie de 2 à 4 nœuds ».
Entre 16 h 00 et 18 h 00, le commandant français, qui a embarqué en même temps que le 3e lieutenant qu’il ne connaît pas, « monte à plusieurs reprises en passerelle et observe cette situation qui lui apparaît maîtrisée ».
Dix minutes d’hésitation à 22 nœuds
À 18 h 06, le Thebe est dépassé sur son tribord par un autre navire dont la vitesse est de 12 nœuds. Deux minutes plus tard, le Thebe est à 4,5 Nm devant le CMA CGM. Si tout reste en l’état, le porte-conteneurs passera à 0,1 Nm du fluvio-caboteur dans 13 mn 19 s. selon l’Arpa. Mais le lieutenant accorde une « trop grande confiance » à son observation visuelle de l’arrière du fluvio-caboteur et commet une « erreur d’appréciation ». Il hésite une dizaine de minutes avant de décider de passer sur la gauche du fluvio-maritime. Le CMA-CGM change lentement de cap, d’abord piloté par le gyrocompas, puis en manuel. La collision se produit à 18 h 22.
Le facteur déterminant de l’accident réside dans la décision « tardive » du lieutenant qui a « commis une erreur d’appréciation ». Outre les circonstances « atténuantes » déjà évoquées (petite expérience à la passerelle, ancienneté sur le navire de deux jours, etc.), le BEA mer ajoute que « le quart en opérations commerciales et les visites d’apprentissage du navire, en tant qu’officier sécurité, lui ont laissé peu de temps de repos ».
Est aussi soulignée l’absence de toute tentative de manœuvre de dernière minute de la part du Thebe, directement concerné d’autant que ses 90 m de long et sa cale unique lui laissent peu de chances en cas de collision sévère. Le BEA note que depuis 2001, il a connu 19 visites MOU dont trois avec des déficiences portant sur la qualification de l’équipage, les cartes et les moyens de radiocommunications. Il souligne que les conditions météo étaient « pour le moins “limites” » pour ce navire.
Le BEAmer « rappelle à l’OMI la nécessité de prendre en considération le statut des navires fluvio-maritimes, tant du point de vue de la construction que de celui de l’armement (effectif à bord) ». Il « recommande à l’armement CMA CGM d’améliorer le processus de familiarisation aux nouveaux navires pour les officiers chargés du quart (doublure en tournée du Nord pendant les premiers jours de navigation ou sessions sur simulateur de navigation) ». Le BEA souligne au passage que « malgré plusieurs demandes, aucune information n’a été communiquée par l’armement du Thebe », Lauterjung Group. Ce caboteur était immatriculé au registre d’Antigua et Barbuda, géré en Allemagne.
La suite de cet accident est connue: le lieutenant a « démissionné » de la compagnie; le commandant s’est suicidé le 14 février accusant expressément un cadre de direction de harcèlement. Le capitaine d’armement est reparti en mer préparer sa prochaine retraite, selon la version officielle (qui fait « tiquer » certains officiers). Le rapport du CHSCT est attendu avant l’été. L’inspection du travail mène également son enquête.