Du 4 au 26 février, le port de Fort-de-France était une nouvelle fois bloqué dans la plus totale indifférence de la métropole. L’origine apparente du conflit est habituelle: dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, les dockers (126 au total) demandent 10 % de hausse de salaire; ce que refuse le Gemo, Groupement des employeurs de main d’œuvre, employeur unique de dockers depuis la disparition de Manumar.
Derrière les apparences se cache autre chose: la lutte traditionnelle pour le pouvoir sur les quais, estime un représentant des employeurs. Qui des dockers ou des manutentionnaires allaient être les vrais patrons du port, d’autant que le porte-parole de l’intersyndicale des dockers, Serge Cabosse, a été élu délégué syndical en juillet, après la création du Gemo. Il lui aurait donc fallu marquer son territoire.
Dans cet énième conflit de l’unique port de la Martinique (Le Robert ne pouvant accueillir que des petites unités), les partenaires sociaux ont fini par solliciter la médiation du président du Conseil régional, Serge Letchimy, par ailleurs député de Martinique, apparenté Socialiste, radical, citoyen et divers gauche; ancien maire de Fort-de-France durant dix ans et président du Parti progressiste martiniquais.
Sous cette médiation, les partenaires sociaux signent le 26 février un protocole de fin de confit « valant contrat de progrès sur le port de Fort-de-France ». Ce dernier prévoit une hausse salariale de 3 % en deux étapes; précise les modalités de la polyvalence et du versement des primes selon la fonction occupée; traite du paiement partiel des jours de « fermeture provisoire »; et prévoit la non-application des mesures disciplinaires déjà engagées dans le cadre de cette grève « illicite », ainsi qu’en a jugé le tribunal du TGI.
Valeurs, dialogue social et stabilité
Mais l’essentiel est ailleurs, dans la création d’un comité de suivi qui sera composé des partenaires « intéressés » au fonctionnement du port: les collectivités locales, l’État, la ville de Fort-de-France, la CACEM (Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique
Le comité a pour vocation d’élaborer une charte sur les « valeurs, le dialogue social et la stabilité ». Il est également prévu un « observatoire de veille sociale ».
Les représentants des dockers et de leurs employeurs soulignent l’intérêt « majeur d’une implication forte de ces acteurs participants directs ou indirects à l’activité portuaire ». Ils proposent donc une mise en place de ce comité au plus tard le 30 avril ainsi qu’une « extension de ses prérogatives ». La séance préparatoire se tiendra le 18 avril et l’installation officielle est, aux dernières nouvelles, prévue début mai.
Concernant l’élargissement de ses compétences, le comité devra prendre en charge la « résolution préventive des conflits portuaires, afin d’apporter des solutions grâce à la pratique du dialogue social, dans le respect de l’exercice du droit syndical ».
Transparence, sujet risqué
Employés et employeurs considèrent qu’il est « nécessaire d’apporter au grand public les informations nécessaires à un débat serein sur l’avenir du port. à ce titre, ils estiment que l’attention est trop souvent portée sur la composante Manutention dans le coût du passage des marchandises, à l’exclusion des autres composantes. Ils réclament la mise en place rapide de l’audit prévu par la Région faisant le point sur l’évolution du coût de passage de Fort-de-France, les comparaisons spatiales, et mesurant de façon exhaustive et objective les diverses composantes de ce coût ».
Le cahier des charges étant déjà prêt, la consultation pouvait commencer début mars, indiquait le président de la Région.
Un accent « particulier » sera mis sur la « transparence » des coûts et leur répercussion sur la chaîne en aval, ont ajouté les partenaires sociaux, dont certains sont des filiales de compagnies maritimes. Une étude « d’opportunité » sera mise en place pour « moderniser la chaîne d’approvisionnement import-export et propre au marché domestique, sous forme d’une plateforme logistique ».
Les signataires ont également déclaré adhérer au projet de développement portuaire de Fort-de-France dans ses trois composantes majeures: « extension du terminal de la Pointe des Grives en vue du développement de tout type du trafic et en particulier le trafic de transbordement; développement de la croisière ainsi que du cabotage régional ».
Dans ces perspectives, les signataires « déclarent souhaiter travailler de concert à la création des conditions techniques et sociales favorables à ces trois objectifs, en particulier à travers l’évolution de la profession des dockers ». Il est donc prévu d’organiser des « cycles de discussion » portant sur les règles applicables au transbordement et l’avitaillement des paquebots. Le tout dans un climat apaisé et une « volonté de continuité du service ».
Le 27 mars, le président de la Région a demandé par courrier au Premier ministre de saisir la commission nationale du débat public pour permettre l’extension du port de la Pointe des Grives afin de faciliter les transbordements (JMM du 16/7/2010; p. 31). Le projet a un coût estimé de 60 M€.
La CACEM est formé par les villes de Fort-de-France, Lamentin, Saint-Joseph et Schœlcher représentant environ 43 % de la population martiniquaise. En avril 2001, Serge Letchimy, le Maire de Fort-de-France, en était élu le président.
Les coûts de passage portuaires sans suite
Dans les ports métropolitains comme ceux d’outre-mer, la connaissance des coûts de passage portuaires est un sujet récurrent, vite oublié. En 2002, les ports de Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Tahiti décidaient d’unir leurs moyens pour faire étudier de façon homogène les coûts de passage portuaire de leurs importations, ainsi que de leurs exportations. En Martinique on préféra garder une relative discrétion sur le sujet. Deux tableaux comparatifs ont été publiés dans le dossier spécial Antilles du 14 mai 2004. Les consultants métropolitains avaient laissé à leurs clients un petit logiciel afin de suivre les évolutions des différents coûts.
En métropole, l’observatoire des coûts portuaires est plongé dans un coma profond depuis des années.
L’Autorité de la concurrence dans son avis du 8 septembre 2009, portant sur les éléments constitutifs des prix à la consommation, rappelait la remarque de l’OCDE selon laquelle « un nombre limité d’acteurs sur la plupart de ces marchés étroits peut également faciliter le maintien de cartels et d’arrangements collusifs: les interactions répétées entre ce petit nombre d’acteurs réduisent en effet la nécessité d’arrangements contractuels détaillé,s nécessaires pour soutenir la mise en œuvre d’une entente ».
M.N.