Le constat est sans appel: Tokyo, premier port nippon aujourd’hui, n’occupe que le 24e rang mondial, et l’ensemble des ports de l’archipel ont perdu un tiers de leur trafic en 2009, ne remontant que difficilement la pente en 2010… La crise financière a certes joué, mais chacun s’accorde à penser que les ports japonais souffrent de problèmes structurels minant leur compétitivité, face à des concurrents plus performants, en Chine, en Corée ou à Taïwan.
Dès 2004, le ministère des Transports (MLIT) a tenté d’y remédier en lançant sa politique des « super-hubs », visant à réaliser des économies d’échelle en regroupant plusieurs ports sous une seule et même administration. Les super-hubs de Keihin (Tokyo + Yokohama + Kawasaki), Ise Bay (Nagoya + Yokkaichi) et Hanshin (Kobe + Osaka) ont ainsi été créés, avec à la clé une réduction des coûts (− 20 %, affirme le MLIT) et de substantiels gains de temps dans les opérations. Insuffisants néanmoins, si l’on en juge par les nouvelles réformes décidées ou annoncées.
Une concentration des moyens
En 2010 en effet, le MLIT est passé des « super-hubs » aux « hubs stratégiques internationaux », avec mise en concurrence des ports intéressés par ce statut qui leur permet d’être prioritaires dans les investissements visant à leur modernisation. Parmi les quatre ports candidats, deux ont été retenus, les super-hubs précités de Keihin et Hanshin. Ils bénéficieront notamment de financements pour approfondir leurs chenaux et construire de nouveaux quais permettant d’accueillir dans les meilleures conditions les super post-panamax.
Au-delà de cette concentration des moyens, un autre changement d’envergure se prépare: les ports japonais sont traditionnellement gérés, sous la houlette du MLIT, par des autorités publiques locales. Un projet de révision de la loi portuaire a été soumis au Parlement « en vue de créer un système entrepreneurial de gestion des ports ». Autrement dit de les privatiser, mais prudemment: le texte en discussion – qui ne prévoit aucune restriction à l’égard d’éventuels opérateurs étrangers (avis aux amateurs) – reste modeste dans ses objectifs: 23 ports sont visés, les plus importants, sur un total de plus de 900. Et sur ces 23 élus, seuls les trois super-hubs de Keihin, Ise Bay et Hanshin seraient obligés d’obtempérer, les autres pouvant choisir de rester publics. Le projet ne va pas non plus jusqu’à impliquer le secteur privé dans le financement de la construction des nouvelles infrastructures, qui resteront à la charge de l’État et des collectivités locales. Mais d’après Akio Arimoto, directeur de la coopération internationale au Bureau des ports du MLIT, « aucun investisseur privé ne songe sérieusement à se lancer dans de tels chantiers, à la rentabilité trop incertaine ».
Des critiques se font d’ores et déjà jour. « Les nouvelles sociétés de management portuaires se verront confier la mission d’une autorité portuaire, qui implique une dimension de service public, incompatible avec des intérêts privés, estime-t-on à la Japan Shipowners Association (JSA) qui dénonce par ailleurs un risque de conflit d’intérêt: Même si le champ de la privatisation n’englobe a priori que l’administration générale des terminaux, le texte n’empêche pas les nouvelles sociétés privées de gestion des ports d’étendre leurs activités aux opérations de quai elles-mêmes. De quoi susciter l’inquiétude des opérateurs en place. »
Le MLIT souhaite voir le projet adopté par le Parlement en 2011, en même temps que le nouveau budget portuaire qui, précisément, doit commencer à mettre en œuvre le soutien aux hubs stratégiques. La récente rébellion d’une faction du parti démocrate au pouvoir risque cependant de faire entrer le Japon dans une période d’instabilité politique et de retarder la privatisation annoncée.