La fuite a été bien organisée. Elle est intervenue quelques jours après une réunion décisive entre les différents partenaires sociaux, qui s’est soldée par un échec.
Les premières lignes de ce rapport de la Cour des comptes, dont la présentation officielle est prévue le 17 février, font état d’un constat alarmant. « Force est de constater que, dans ce cas, les recommandations de la Cour n’ont, en revanche, guère été suivies d’effets », souligne la présentation du rapport.
La réforme portuaire de 2008 peine à trouver un aboutissement dans le port phocéen. Une difficulté qui tient plus à des considérations nationales que locales. Cependant, la Cour note que « si cet obstacle est surmonté, des accords locaux devront être adoptés, dans un contexte marqué par un syndicalisme très contestataire dans les bassins marseillais et sur les quais pétroliers de Fos-Lavéra ». La volonté de réformer se délite, accuse la Cour, « faute d’une détermination suffisante des autorités de l’État ». La haute juridiction financière va même jusqu’à affirmer que manque au port de Marseille « l’État de droit normal, où chacun tient son rôle dans le débat économique et social mais où les limites du débat démocratique ne sont pas franchies ».
L’échec de la mise en place de la réforme portuaire de 2008 à Marseille s’inscrit dans la dérive observée par la Cour dans son rapport sur la situation des ports français en 2006. En 2011, le rapport annuel vient encore une fois appuyer sur les points douloureux du Grand port maritime de Marseille. En effet, la Cour des comptes dresse un bilan de l’évolution de la situation dans le Grand port maritime de Marseille depuis son dernier rapport, en avril 2006. Les différents critères de performances sont de nouveau étalés pour démontrer les faiblesses du port. « Le port a échoué à s’inscrire, contrairement à ses concurrents, dans l’exceptionnel dynamisme du marché des conteneurs », note la Cour des comptes. Le principal handicap relevé par la Cour porte sur les conflits sociaux. « Le paysage social est dominé par un syndicat qui tire sa force de l’histoire. Sa position s’est trouvée encore renforcée, du moins sur le plan juridique, par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale. » Et pour la Cour, « les pouvoirs publics n’ont pas toujours fait preuve du volontarisme nécessaire ».
Dix-huit ans après la première réforme de la manutention, datant de juin 1992, les écarts demeurent avec l’organisation du travail des autres grands ports européens. Selon le temps de travail calculé par la Cour, un portiqueur travaille en moyenne 14 heures par semaine à Fos et 12 heures par semaine à Marseille. Au final, quand un portique manutentionne en moyenne entre 70 000 et 80 000 conteneurs par an dans les ports européens, à Marseille-Fos, ce nombre n’excède pas 40 000. Et la Cour des comptes remet sur la table la question des bakchichs. Un sujet qu’elle a déjà abordé dans son rapport de 2006 et qui persiste dans le port phocéen contrairement aux autres ports qui les ont supprimés progressivement. Une « gratification » dont le montant est estimé aux alentours de 1 300 € nets par mois et par portiqueur, « de sorte qu’un portiqueur est susceptible de gagner entre 3 500 € et 4 500 € nets par mois. »
3 500 € à 4 500 € nets par mois
Si la haute juridiction financière met en évidence les exagérations du système du côté des portiqueurs, elle n’épargne pas pour autant l’autorité portuaire. Alors que le plan stratégique a prévu une diminution progressive des effectifs, la réalité a été tout autre: les effectifs ont augmenté. Cette hausse du nombre de personnes s’est accompagnée d’une augmentation de la masse salariale de 50 % de plus que prévu et la rémunération annuelle des salariés a progressé de 3 % par an sur les cinq dernières années. À cela s’ajoutent les diverses primes et un nombre élevé d’heures supplémentaires. « La Cour ne peut que réitérer sa recommandation: une plus grande rigueur et une meilleure transparence sont nécessaires dans le suivi des primes et de leur réel coût pour l’entreprise, premier pas vers une gestion mieux encadrée. »
« Une manœuvre gouvernementale », selon la FNPD
La fuite du rapport de la Cour des comptes dans la presse a suscité une réaction véhémente de la part du principal syndicat des ouvriers portuaires, la FNPD CGT. L’organisation syndicale parle d’une « manœuvre gouvernementale qui consiste à tenter de discréditer le mouvement social des travailleurs portuaires français sur la pénibilité dont la responsabilité tout entière lui incombe ». Le véritable souci portuaire français, selon la centrale syndicale, tient plus au « désengagement de l’État, sans véritable politique maritime depuis plus de 30 ans. Voilà le vrai problème des ports français, dont Marseille. » Et pour répondre au rapport, avant même sa publication, la FNPD CGT « réaffirme sa légitimité à obtenir satisfaction sur la pénibilité suite à la trahison et à l’irrespect dont nous sommes victimes ». La sortie du conflit actuel tient à la volonté du gouvernement, répète la FNPD qui insiste par là même sur les valeurs collectives et solidaires du syndicat, « des valeurs que beaucoup ne connaissent pas, laissant place à l’individualisme », conclu la FNPD CGT.
L’autre syndicat portuaire, la CSOPMI CNTPA, présente dans le Grand port maritime de Dunkerque, ne commente pas ce rapport. Depuis le mois de décembre, la CNTPA est représentée sur le port de Marseille.
L’Unim refuse de commenter ce rapport qui doit encore s’alimenter des commentaires des principales administrations visées.