« La Méditerranée est caractérisée par un transport de transit intense et un niveau d’intégration faible, particulièrement en ce qui concerne les échanges Sud-Sud », résume le rapport intitulé Les transports maritimes de marchandises en Méditerranée: perspectives 2025, publié au printemps 2010.
La Méditerranée permet les échanges de produits manufacturés entre l’Europe et l’Asie et l’approvisionnement de l’Europe en produits énergétiques à partir des pays du Golfe, rappelle le rapport du Plan bleu, structure dépendant du Plan d’action pour la Méditerranée du Programme des Nations Unies pour l’Environnement chargé notamment de produire de l’information et de la connaissance. Les capacités de transport maritime en circulation en Méditerranée ont augmenté de plus de 50 % entre 1997 et 2006. La croissance annelle du transport de pétrole s’est élevée à 6 %. Elle est de 7 % à 8 % pour le transport de gaz naturel liquéfié, de 10 % pour les conteneurs et de 5 % pour le roulier. Le fort taux de croissance du trafic conteneurs est dû au développement des échanges avec l’Asie. Pour répondre à l’évolution des échanges sur de grandes distances, la taille des navires a considérablement augmenté, conduisant les pays à se doter d’infrastructures portuaires adaptées. Le trafic des porte-conteneurs a augmenté de 71 % et la taille moyenne des « bateaux » a augmenté de 55 % entre 1997 et 2006.
Le « hors vrac » venant d’Asie destiné aux pays européens est préférentiellement débarqué dans les ports du range Nord. Il en est de même pour les échanges des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) avec l’Europe pour lesquels « Hambourg est le premier port d’échange et de transbordement ». Les performances des ports méditerranéens restent « insuffisantes » pour concurrencer les ports nord-européens. Seuls quelques ports méditerranéens sont capables de réceptionner les plus gros porte-conteneurs comme Port Saïd, Tanger Med, Algésiras, Marsarxlokk et Gioia Tauro. Ils sont essentiellement destinés aux activités de transbordement.
Toutes marchandises confondues, les flux intraméditerranéens représentent à peine un quart du trafic. Le niveau des échanges est faible et les flux s’organisent selon un axe Nord-Sud avec un sens dominant du Sud vers le Nord, lié aux exportations de pétrole et de gaz. Cette dissymétrie entre Nord et Sud se retrouve au niveau du commerce extérieur: l’Union européenne (UE) représente, selon les pays, entre 20 % et 70 % du commerce des PSEM alors que ces derniers ne représentent que 8 % du commerce extérieur de l’UE.
Les échanges avec l’UE sont réalisés à 75 % en mode maritime et à 20 % par des liaisons fixes qui sont constituées de gazoducs. Le solde est réalisé par voies terrestres et aériennes.
La Méditerranée est donc « caractérisée par un transport de transit intense et un niveau d’intégration faible, particulièrement en ce qui concerne les échanges Sud-Sud ».
Une mer durablement de « transit »
La prospective concerne le transport de marchandises hors vracs qui connaît l’évolution la plus forte des dix dernières années. Cette prospective prend en compte trois hypothèses de croissance économique, de prix de l’énergie et de coût de la tonne de CO2 par rapport à 2005, année de référence (voir encadré). Elle définit ainsi trois politiques de transport différentes intégrant les infrastructures, l’exploitation des matériels, la commercialisation et la régulation.
Dans les trois scénarios étudiés, l’Asie reste de très loin le principal partenaire commercial et la principale origine du transport hors vrac. Même dans le cas du scénario 3, fondé sur des investissements portuaires importants, les échanges intraméditerranéens restent très faibles par rapport aux échanges avec l’Asie et ne modifient pas le statut de « mer de transit » de la Méditerranée. Ce scénario démontre néanmoins qu’une bonne connexion des ports avec le réseau ferré permet de multiplier le trafic ferroviaire par 5,5 et le trafic routier par 2,1. Cette captation de trafic routier, rendue possible par des politiques volontaristes, facilitée par le prix élevé du pétrole et du CO2 limite la saturation des villes portuaires et facilite le mouvement des marchandises. En revanche, le transport maritime n’est que peu « impacté » par les prix du carburant ou de la tonne de CO2 puisqu’il est possible de contenir les coûts d’exploitation grâce à la taille des navires, la réduction de leur vitesse et la professionnalisation des chaînes logistiques qui favorisent l’accessibilité au système productif asiatique. L’augmentation des échanges et surtout l’augmentation de la taille des navires conduisent les États à envisager des agrandissements et des créations de ports en eaux profondes. Les projets identifiés avant la crise de 2008-2009 correspondent à une augmentation d’un facteur de 2,2 sur dix ans de l’offre de traitement de conteneurs. Le scénario tendanciel (2), fondé sur des bases comparables, prévoit la même augmentation d’un facteur de 2,2 mais sur vingt ans.
La dynamique d’offre semble donc deux fois plus rapide que celle de la demande. De plus, la taille des infrastructures prévues, en confortant le gigantisme, nuit aux liaisons intraméditerranéennes et exclut les opérateurs locaux de la gestion portuaire. « Le risque est donc grand de voir apparaître une surcapacité portuaire à l’échelle régionale. » Qui plus est, ce risque de surcapacité pourrait ouvrir sur un risque de « dumping » du transport. La concurrence, en entraînant une contraction encore plus forte des coûts d’utilisation des infrastructures et des matériels, rendrait leur amortissement difficile et l’internalisation des coûts externes du transport illusoire.
Vers une redevance de passage?
La prospective menée par le Plan bleu montre que la poursuite des politiques de transport actuelles, qu’il s’agisse d’infrastructures ou d’interconnexions, conduirait à ancrer la Méditerranée dans un statut de « mer de transit ». En matière de politiques publiques des transports, il s’agit de:
– soutenir le développement des relations Nord-Sud par des liaisons régulières et rapides. Densifier le maillage portuaire permettrait de mieux répartir les flux intraméditerranéens rendus plus compétitifs et plus sûrs que les échanges avec l’Asie;
– « Rechercher l’efficacité des ports méditerranéens plutôt que le gigantisme. » Le développement de plate-formes logistiques reliées au réseau ferré optimiserait la consommation d’espace et réduirait la congestion routière;
– identifier un ou deux ports d’entrée au sud de l’Europe parmi les ports existants. La Méditerranée « n’offre pas réellement d’entrée sud » à la zone de concentration démographique et économique représentée par la « banane bleue »;
– renforcer les normes environnementales des transports terrestres au niveau national pour réduire les pollutions locales et les consommations. L’amélioration des consommations unitaires est possible, à condition de mettre un terme au subventionnement des carburants et de taxer la tonne de CO2;
– « imaginer des outils financiers pour renforcer les services (évacuation des déchets…) et les contrôles. Une “redevance de passage” pourrait s’inscrire dans le cadre des Zones d’Économie Exclusive qui commencent à apparaître dans certains pays. »
Toutes ces dispositions pourraient trouver un cadre dans un schéma méditerranéen des transports. La réflexion en cours sur la politique maritime intégrée en Méditerranée lancée par la Commission européenne pourrait s’en inspirer, et l’Union pour la Méditerranée devenir le promoteur des dispositifs d’accompagnement nécessaires à leur mise en œuvre.
ZEE et redevance de passage, le point de vue de Xavier McDonald, avocat(1)
La possibilité pour les États côtiers de se doter d’une Zone économique exclusive (ZEE) est consacrée par les articles 55 et suivants de la Convention de Montego Bay (la Convention). Cette zone s’étend au-delà de la mer territoriale jusqu’à une distance maximale de 200 milles marins. La Méditerranée, bordée par 24 États riverains, constitue la plus vaste mer semi-fermée. La création de ZEE en Méditerranée est cependant source de conflits puisque les côtes opposées de cette mer sont pour la plupart distantes de moins de 400 milles marins, privant ainsi les États de la possibilité de créer une ZEE sans l’accord de leurs voisins (art. 74 de la Convention). Bien que ces États ne soient pas encore parvenus à des accords leur permettant de se doter chacun d’une ZEE, certains dont la France ont néanmoins créé des zones de protection spéciales telle la Zone de protection écologique (ZPE) qui a été établie à la suite d’un accord entre la France, l’Espagne, Monaco, l’Italie et l’Algérie. La déclaration faite par le ministère de l’Écologie le 24 août 2009 de la volonté de transformer cette ZPE en ZEE par le simple biais d’une demande unilatérale auprès des Nations Unies nous paraît dépourvue de fondement juridique. Même à supposer que la France y parvienne et que tous les États côtiers de la Méditerranée se mettent d’accord pour procéder à un dépeçage de cette mer en autant de ZEE, cela ne leur permettrait pas pour autant d’imposer une quelconque redevance de passage tel qu’il est suggéré par les auteurs du rapport du Plan bleu. La création d’une ZEE procède d’un compromis entre souveraineté et liberté. L’existence d’une ZEE permet à l’État côtier de s’octroyer certaines prérogatives économiques (droits de pêche, exploitation des sols, etc..) et juridictionnelles (pouvoir de réglementation, poursuite des infractions etc.). Ces prérogatives sont, cependant, circonscrites par la Convention qui, d’une part, consacre le principe de la liberté de navigation (article 58) et, d’autre part, rappelle que les États ne peuvent exercer leurs pouvoirs que conformément aux autres dispositions de la Convention. L’article 211 de la Convention précise qu’en matière de pollution, l’État doit préalablement obtenir l’accord de l’organisation concernée, à savoir l’OMI. Le cadre juridique pour réduire et contrôler la pollution due au trafic maritime existe déjà. Il s’agit de la Convention Marpol qui a été ratifiée par tous les États côtiers en Méditerranée à l’exception de la Bosnie. Au titre de celle-ci, la Méditerranée est une zone spéciale dans laquelle les rejets autorisés sont très limités. Enfin, on remarquera que l’article 127 de la Convention de Montego Bay interdit expressément à des « États de transit » d’imposer tout droit de douane, taxe ou autre redevance relatif au passage vers des mers enclavées (par exemple l’accès à la mer Noire via le détroit du Bosphore en Turquie). Il serait donc pour le moins paradoxal que des États côtiers en Méditerranée puissent s’octroyer de tels pouvoirs par le simple biais de la création d’une ZEE ainsi qu’il est proposé par le rapport.
1) avocat associé du cabinet Holman Fenwick Willan LLP
Les scénarios
Le scénario S1 correspond à une situation de croissance économique faible (1,5 % au Nord, 3 % au Sud) avec un baril de pétrole à 50 $ et une politique de transport se limitant à quelques investissements routiers publics et de modernisation portuaire d’origine privée. Le secteur du transport routier reste peu organisé, peu concentré et marqué par une concurrence intense. Le scénario 2 correspond à la situation tendancielle d’avant la crise de 2008-2009 avec une croissance économique plus soutenue (1,8 % au Nord et 4 % au Sud) et un pétrole à 100 $ le baril (valeur 2005). Les mesures en matière de transport permettent de réaliser des économies d’échelle grâce à la massification des traitements de marchandises. Les investissements concernent l’amélioration des liaisons routières avec les ports et les plate-formes logistiques. La chaîne logistique se professionnalise avec l’arrivée des grands acteurs internationaux. Le scénario 3 est celui d’une croissance plus dynamique (2,1 % au Nord et 5 % au Sud) libérant une marge de manœuvre pour réaliser des investissements portuaires importants. Les acteurs publics peuvent prendre des mesures volontaristes, en termes de développement du ferroviaire (connexion aux ports, plate-forme logistique, réforme institutionnelle). Les grands groupes maîtrisent les chaînes logistiques. Plusieurs autoroutes de la mer apparaissent. Le pétrole atteint 150 $ le baril. Le coût de la tonne de CO2 est de 100 €.