L'Institut méditerranéen des transports maritimes et le Centre du droit maritime et des transports de l'Université Paul Cézanne ont invité les professeurs de droit des transports maritimes, terrestres et opérationnels à réfléchir les 20 et 21 mai à Marseille à l'éventuel droit des transports maritimes du XXIe siècle que pourrait constituer la « convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer », autrement appelée les règles de Rotterdam (RR). Schématiquement, ce colloque était organisé en deux parties: la présentation du texte faite par ceux-là même qui l'avaient rédigé au cours des 13 sessions de travail réparties entre 2002 et décembre 2008. Le second jour était dédié à l'avis des professionnels et de certains États.
La France a signé, mais bon…
Les 260 participants français et étrangers ont pu, en entrée de jeu, mesurer la finesse de la position de la France grâce à Olivier Mornet qui représentait Jean-François Jouffray, d.g. adjoint de la toujours orpheline Direction des affaires maritimes. « C'est le ministère des Transports qui a proposé au gouvernement de signer les règles de Rotterdam à la suite des rencontres avec les parties concernées afin de lancer un signal (lors de la cérémonie des signatures en septembre 2009). Le fait d'avoir signé ne signifie pas que l'on se lance dans une aventure ». En clair, la ratification est susceptible de prendre un certain temps. Aucune précision n'a été apportée sur les raisons qui ont fait que le représentant de la France n'a disposé que tardivement des trois mandats officiels l'autorisant à signer.
Globalement, tous ceux qui ont activement participé à la rédaction des RR que l'on présente comme la première convention traitant du régime de responsabilité dans un transport de porte-à-porte avec segment maritime central, reconnaissent que le texte est « complexe et long », 96 articles, du fait même de l'étendue de son champ de compétence. Un texte de « compromis » entre chargeurs et transporteurs a de fortes chances de ne satisfaire ni les uns ni les autres. Les avantages et les faiblesses des RR doivent être analysés en les comparant à ce qui existe aujourd'hui et qui est peu satisfaisant: d'une part, la convention de La Haye-Visby, qui remonte à 1924 (même si elle a été modifiée en 1968 et en 1979). D'autre part, les règles de Hambourg de 1978, plus favorables aux chargeurs, applicables depuis 1992 dans un nombre restreint d'États peu significatifs sur le plan de la capacité de transport. Le tout accompagné de divers droits nationaux ayant plus ou moins intégré les dispositions des conventions précédentes, sans oublier celles du Nord de l'Europe. « Quel désordre! » devait s'écrier Philippe Delebecque, professeur de droit à Paris, qui conduisit la délégation française lors des négociations sur les RR.
Ce dernier soulignait qu'il n'y aurait pas de plan B: « J'imagine mal que la CNUDCI
Un professeur de droit plus inspiré que d'autres concluait donc en ces termes: « A baby's born. Faisons l'effort de l'élever dans l'idée qu'il devienne grand et fort. » Un vœu qui aurait pu être également formulé pour les règles de Hambourg, voulues par les États devenus indépendants dans les années soixante ou pour la Convention des Nations Unies sur le transport international multimodal de marchandises de 1980 qui n'est jamais entrée en application.
Mærsk, l'Afrique de l'Ouest et l'Espagne sont favorables
« Les RR offrent une opportunité unique d'harmoniser et de moderniser le droit applicable aux transports », a souligné Christoffersen Kaare, conseiller juridique de Mærsk. « Un texte équilibré, bon pour tout le monde. »
Sur 21 signatures enregistrées en septembre 2009, 11 avaient pour origine des États africains, a rappelé Djibril Imorou, du Conseil national des chargeurs du Bénin, présentant le point de vue ouest-africain. « Les RR sont révolutionnaires, car c'est la première fois que les États africains ont à ce point participé aux négociations. » Le soutien des États de l'Afrique de l'Ouest ne s'explique pas facilement, sachant que le contrôle effectif du commerce maritime africain est rarement en Afrique et que les flottes africaines ont sombré corps et biens dans les années 1990. Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que les États africains soutiennent une convention internationale plus favorable aux chargeurs puis, après s'être dotés de flottes nationales, ont préféré ne pas ratifier les règles de Hambourg. Deux hypothèses ont circulé dans les travées de l'hémicycle du Conseil régional Paca où se tenait le colloque: ce qui s'appelle aujourd'hui les règles de Rotterdam a failli, au tout début, s'appeler les règles de Dakar. La complexité des RR est favorable à la survie des conseils des chargeurs africains.
L'Espagne est en cours de ratification et présente le texte devant le Parlement, a indiqué le professeur Manuel Alba, qui a été membre de la délégation espagnole à la CNUDCI.
« Cosco and China Shipping are fed up with the large american shippers »
Dans le clan des opposants, on retrouve bien sûr les chargeurs français. « On pourrait être satisfait dans la mesure où cela aurait pu être pire au vu de certains projets d'articles sur la responsabilité illimitée du chargeur, par exemple », soulignait Philippe Bonnevie, délégué général de l'AUTF qui reconnaissait que les chargeurs étaient arrivés tardivement dans les négociations. La principale raison d'inquiétude réside dans les larges dérogations que permet le contrat de volume. Celui-ci pouvant être conclu pour quelques conteneurs. « Il existe des garde-fous mais ils sont illusoires », soulignait Philippe Bonnevie qui craignait que le « petit chargeur soit uniquement attiré par le prix sans prendre garde aux clauses contractuelles ».
La protection du petit chargeur est également au cœur des préoccupations chinoises à en croire le professeur Zengliang Hu qui fut membre de la délégation chinoise lors des négociations. Zengliang Hu a repris l'image du colosse aux pieds d'argile. Si la Chine est devenue le premier exportateur mondial et le deuxième importateur, ses entreprises sont « larges but not strong ». Le gouvernement les encourage à devenir fortes, mais cela prendra du temps. Aujourd'hui, la Chine estime que les dérogations permises par le contrat de volume seraient contraires aux intérêts de beaucoup de petits ou moyens chargeurs et transporteurs maritimes. « Cosco et China Shipping sont exaspérés par les grands chargeurs américains » (« To tell you the truth, Cosco and China Shipping Company are fed up with the large american shippers »). Voilà qui devrait enrichir le débat avec la National Industrial Transportation League qui souhaite fermement la ratification des RR
La limite de responsabilité du transporteur maritime ne convient pas non plus à la Chine pour deux raisons assez contradictoires: elle est insuffisante pour les besoins des chargeurs; en période de crise économique, ce n'est pas le moment de charger la barque des compagnies chinoises. Donc, en l'état actuel de l'examen, la Chine ne ratifiera pas les RR et attendra de voir ce que feront ses partenaires commerciaux. Mais il est probable que certaines dispositions des RR seront intégrées dans la loi chinoise.
Sixième armateur mondial et onzième puissance commerciale, la Corée du Sud ne ratifiera probablement pas les RR dans les prochaines années, estimait In Hyeon Kim, professeur de droit à l'Université de Séoul et membre de la délégation coréenne à la CNUDCI. Les transporteurs maritimes coréens ne veulent pas voir disparaître le cas excepté de la faute nautique. En outre, déjà affectés par la crise, ils craignent de ne pas être dans un bon rapport de force avec les grands chargeurs (TBN) en cas de négociation d'un contrat de volume. En juin prochain, les autorités coréennes doivent rencontrer leurs chargeurs pour faire le point.
En cours de réforme de son droit maritime, l'Allemagne a décidé d'ajourner sa décision de ratifier ou non, expliquait, en français, Beate Czerwenka, représentant le ministère de la Justice. Mais il est largement question de « s'inspirer » de certaines dispositions des RR sur, par exemple, la responsabilité du transporteur maritime en cas de retard à la livraison ou la disparition de la faute nautique.
L'Association belge de droit maritime a apprécié à sa juste mesure l'attitude de l'un de ses membres, l'Union royale des armateurs belges, notait son président Guy Van Doosselaere. Après consultation de tous ses cotisants, l'ABDM adresse un courrier officiel aux autorités belges lui demandant de ne pas ratifier les RR. Quelque temps plus tard, l'ABDM apprend que le World Shipping Council est favorable à la ratification des RR. Sous l'amicale pression des assureurs et des commissionnaires de transport belges, l'ABDM a confirmé son opposition. Il est probable que la Belgique, comme beaucoup d'autres, adopte la position du wait and see.
Éviter à tout prix la coexistence de 4 régimes de responsabilité
Pour conclure le colloque de manière consensuelle, Christian Scapel estimait que les RR étaient le meilleur texte actuellement disponible et sans alternative à moyen terme. « Ce sera donc les RR ou le droit actuel ». Rappelant le « traumatisme » créé par le faible nombre de ratifications des règles de Hambourg, qui a amené la coexistence de trois régimes de responsabilité différents, il recommandait d'éviter d'ajouter une feuille supplémentaire au mille-feuilles existant. Pour éviter un second choc, les RR doivent être massivement soit ratifiées ou soit rejetées.
La messe est donc loin d'être dite, mais elle a déjà donné lieu à une étrange pratique: en répétant plus d'une centaine de fois le mot « Rotterdam » en deux jours, une place portuaire en devenir acquiert-elle une partie des vertus qui font la fortune du port néerlandais d'importance mondiale?
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
Selon son rapport 2009, la NITL recrute largement: en sont membres APL Ltd; Mærsk, Inc; Crowley Liner Services, Inc; plusieurs filiales du groupe FedEx; les ports de New York, d'Anvers et de la Nouvelle-Orléans; ou Wallenius Wilhelmsen Logistics. APL, Mærsk et WWL sont également membres du World Shipping Council.