Alors que l'industrie pétrolière a su s'organiser autour de Sire et de l'OCIMF pour s'assurer de la qualité des navires qu'elle est susceptible d'utiliser, il n'en a pas été de même en ce qui concerne les opérateurs de vrac sec.
Bien que la qualité intrinsèque de la flotte mondiale de vraquiers n'ait plus rien de commun avec ce qu'elle était dans les années 1980/90, les opérateurs désireux de s'assurer, a priori, de la qualité des navires de vracs secs qu'on leur propose, se trouvent fort démunis. Et l'affaire de l'Erika, en ce qu'elle a mis en exergue la responsabilité de l'affréteur, a rendu plus aiguë cette exigence, encouragée par la volonté des pouvoirs publics d'éradiquer de la flotte les « navires poubelles ».
Certes, les sociétés de classification, les assureurs, certains grands courtiers d'affrètement, voire des administrations mettent des bases de données à disposition du public. Mais la dissémination de l'information, facilitée par les moyens modernes de communication, accrue par le nombre d'intervenants et la spécificité de chacun, ne facilite pas une prise de décision rapide.
C'est la raison pour laquelle le tournant du siècle a vu naître deux « bases de données » suffisamment exhaustives pour palier le vide angoissant d'informations pertinentes créé par ce culte du secret dans lequel de tout temps a baigné le shipping: Equasis et Rightship.
Bien qu'elles s'appuient toutes deux sur l'internet, ces bases de données ne sont ni de même nature ni concurrentes: celle-ci est privée et s'intéresse essentiellement aux vraquiers, celle-là est publique et généraliste.
Equasis est une organisation publique, internationale, non commerciale, initiée par la Communauté européenne dans le but de promouvoir la qualité et la sécurité dans le transport maritime global.
Pour atteindre son objectif, Equasis compte sur les acteurs économiques que sont les opérateurs, les assureurs, les banquiers, tous ceux enfin qui, à un titre ou à un autre, ont à prendre des décisions économiques pour lesquelles la qualité du navire visé a une importance: le pari est fait que les choix qu'ils sont amenés à faire influent à terme sur la qualité de la flotte.
Equasis dispose pour ce faire d'un credo et d'un outil: la croyance que la bonne application par le navire des diverses et nombreuses dispositions régissant la sécurité maritime est nécessairement un gage de qualité, application dictée par les « contrôles par l'État du port » (PSC) dont les résultats doivent être portés à la connaissance du public; et un site internet mis en place en 2000 mettant à la disposition du public, outre les résultats des contrôles, des informations relatives à la qualité du navire consulté, informations collectées auprès de fournisseurs de données choisis.
Le site d'Equasis (
Tous les renseignements collectés pour chaque navire consulté sont mis en forme autour des détails propres au navire provenant de la base de données du Lloyd's Register-Fairplay.
Hors les informations, succinctes pour préserver encore un peu le sacro-saint secret, provenant des divers MOU/PSC, les renseignements publiés sont déjà disponibles sur internet. Equasis ne fait que les récupérer pour les mettre en forme de façon conviviale.
Le tableau ainsi présenté permet à l'utilisateur de se forger son opinion quant au navire considéré. Et aussi quant à son manager, puisqu'il est possible de retrouver et d'interroger, pour un ships manager donné, l'ensemble de la flotte qu'il contrôle et ses performances au regard des contrôles par les États des ports. Élément de décision économique très pertinent quand il s'agit d'établir une relation commerciale avec un armateur.
Le serveur d'Equasis est géré et hébergé par l'Emsa. Son accès est gratuit. Il suffit pour l'utiliser de s'inscrire en déclarant son activité et sa nationalité (à des fins statistiques). Évaluer un navire est une affaire à la fois complexe et subjective. La définition des paramètres à prendre en compte et leur poids relatif varie considérablement d'un opérateur à un autre, d'un secteur d'activité à un autre. C'est la raison essentielle pour laquelle, outre une problématique de responsabilité impossible à gérer pour une Agence de l'Union, Equasis se cantonne à ne donner que des renseignements objectifs concernant la qualité et la sécurité, en se gardant bien d'éditer des listes de bons et mauvais navires. Equasis laisse à l'utilisateur l'entière responsabilité du choix et ne cherche à le conseiller en rien directement.
Ce n'est pas le cas de Rightship
Rightship vise au contraire à guider les intervenants maritimes (opérateurs, affréteurs, chargeurs ou réceptionnaires) vers des navires de choix lors de leurs décisions. Organisation privée, elle offre, contre deniers, ses vues quant à la qualité intrinsèque d'un navire. Il s'agit là véritablement de vetting.
Rightship est née en 2001 de la volonté de deux géants miniers australiens, BHP Billiton et Rio Tinto, qui voulaient s'assurer de la qualité des navires que leurs clients-acheteurs leur adressaient et de leur aptitude à charger et livrer leurs productions. Bien qu'historiquement tournée vers le transport de vrac sec, Rightship commence à se préoccuper de tankers (les navires, mais surtout les barges).
La base de données, riche de presque 50 000 navires, décrit plusieurs dizaines de détails techniques très précis sur leurs spécifications et configurations, propriétaires, managers, machines, constructions systèmes de communication, capacités et certificats.
Elle informe en outre sur tous les résultats des contrôles effectués par l'État des ports touchés (quels qu'ils soient), les incidents et accidents survenus, les déficiences constatées pendant les opérations commerciales. Le panorama est véritablement complet.
Pour répondre à son objet, Rightship a mis au point un système de vetting prenant en compte des éléments relatifs au chantier de construction, à l'âge, à la classe, à l'armateur, au manager, au pavillon, aux incidents survenus, etc. Chaque élément est affecté d'un indice de risque, propre au navire, puis pesé selon une formule qui appartient à Rightship.
Ce qu'il y a de particulier et qui distingue Rightship des autres systèmes de vetting connus réside en ce que l'appréciation délivrée résulte d'un algorithme qui n'exige pas que le navire – pour peu qu'il ne soit pas trop âgé – soit inspecté, ni même visité. Par contre, sur la base d'un questionnaire systématiquement adressé au navire, sont pris en compte des critères tels que les conditions de classe éventuelles, les dates des « surveys », les derniers voyages effectués.
Les contrôles par l'État du port sont également considérés, ce qui est appréciable. Néanmoins, Rightship ne fait pas de distinction entre les ports/pays du contrôle ni même entre les différents mémorandum, par conséquent n'apprécie pas leurs critères ni leur qualité, ce qui est fâcheux et doit être gardé à l'esprit.
Mais surtout sont d'un grand poids dans l'évaluation les retours d'expériences des terminaux des partenaires. Cet élément, souvent entaché d'une subjectivité exacerbée, est véritablement sujet à caution: car on a vu souvent des caractéristiques techniques intrinsèques, des faits mineurs, des mésententes, des malentendus, avoir un effet exagérément négatif sur l'appréciation globale que donne Rightship de la qualité du navire.
Enfin, tout cela établi et pesé, une note est donnée au navire que chacun peut consulter et, au regard des règles qu'il s'est lui-même fixé, décider d'utiliser ou non, voire à quel prix, le navire considéré. Il suffit de se connecter au site (
Il existe bien d'autres sites que l'on pourrait consulter pour obtenir une vue plus précise sur tel ou tel point concernant un navire. Mais à ce jour il n'en est pas, hormis Equasis et Rightship, qui donnent une vue d'ensemble permettant d'apprécier rapidement et facilement la qualité d'un navire, voire d'une contrepartie potentielle.
Les deux systèmes ont leurs limites: Equasis ne fait que décrire objectivement le navire et exposer le résultat des contrôles subis; à chacun de se forger son opinion. Rightship note le navire mais intègre dans son évaluation des éléments subjectifs qui peuvent nuire à l'objet même de la démarche. Des progrès restent à faire.
Néanmoins, il est indiscutable qu'avec les poussées conjuguées de la jurisprudence née des divers accidents récents, des contrôles issus des nouveaux règlements des classes et des conventions internationales récentes, ces deux sites ont, sans aucun doute, en soulevant un coin du voile, en éclairant le marché et ses choix, en poussant certains armateurs à consentir des efforts économiquement payants, participé à ce que la qualité de la flotte de vraquiers n'ait plus rien de commun avec celle que certains d'entre nous ont connu il y a une vingtaine d'années.