Un navire frigorifique est affrété au voyage selon une c/p Gencon qui comporte une clause de garantie de vitesse, le voyage devant être exécuté à « vitesse de sécurité maximum » (maximum safe speed), pour l'acheminement d'une cargaison complète de litchis réfrigérés (4 923 t) en cartons sur palettes. Les caractéristiques de vitesse du navire ne sont pas indiquées dans la c/p mais sont mentionnées dans la c/p à temps qui lie le fréteur au voyage à l'armateur.
Après une traversée sans problème particulier en Océan Indien jusqu'à Suez, le navire donne un ETA au port de déchargement pour le 13/14 décembre. Il n'arrive en définitive que le 16 décembre après avoir rencontré en Méditerranée, selon le journal de bord, des vents contraires de force 7 à 8, la vitesse enregistrée pour cette traversée de la Méditerranée n'étant que de 13,3 nœuds.
Les affréteurs, importateurs de litchis, considèrent que:
– le fréteur s'est engagé à maintenir une vitesse maximum au cours du voyage – vitesse qui dans la c/p à temps du navire est de 18 nœuds;
– en Méditerranée, le capitaine a procédé à des réductions volontaires de vitesse alors que les conditions de temps ne le justifiaient pas, la vitesse n'ayant cessé de diminuer pour finir par une immobilisation du navire en mer;
– les informations du journal de bord, contraires aux observations de météo France et à celles d'un autre navire naviguant en même temps dans la même zone, n'ont aucune valeur probante;
– l'arrivée tardive du navire au port de déchargement, coïncidant avec le déchargement de litchis de deux autres navires, a provoqué sur le marché une baisse de prix exceptionnelle de 0,70 € par kilo, différentiel constaté par les mercuriales entre le 13/14 décembre, date prévues d'arrivée du navire et son arrivée effective le 16 décembre. C'est ce différentiel qui doit s'appliquer (selon la Convention de Bruxelles de 1924) pour évaluer le préjudice subi.
Une expertise comptable du Cabinet KPMG, désigné par les arbitres, conclut à un différentiel de prix de 0,38 € par kilo calculé d'après les factures de vente de navires ayant déchargé aux périodes considérées – différentiel que les affréteurs demandent d'appliquer subsidiairement pour calculer l'indemnité due aux affréteurs.
Pour le fréteur, cette demande est abusive car la chute des cours des litchis est due à une qualité insuffisante des fruits et des importations pléthoriques comme le montre la presse spécialisée. Il considère que:
– le journal de bord qui indique que le navire a rencontré des vents de force 7 à 8 de secteur W en Méditerranée, ce qui est tout à fait normal à cette époque de l'année, fait foi jusqu'à preuve du contraire;
– la comparaison avec la vitesse réalisée par un autre navire n'est pas pertinente;
– les observations de Météo France n'ont aucune valeur de conviction;
– en droit anglais, qui s'applique à la cause, le fréteur s'engage à mettre à disposition un navire en état de navigabilité, de faire « due diligence » pour le maintenir, mais ne promet aucun délai d'acheminement. L'expression « maximum safe speed » est faussement traduite par « vitesse maximum » sans tenir compte du terme « safe » qui exprime une obligation de sécurité.
Le fréteur conteste le rapport d'expertise comptable de KPMG, en raison de défaut d'indépendance et d'impartialité de l'expert motivé par des conflits d'intérêts au sein du cabinet comptable et de violation du contradictoire. Il demande au tribunal arbitral de débouter les affréteurs de l'ensemble de leurs demandes.
Les arbitres constatent que le navire était en état de navigabilité au départ du port de chargement puisqu'il a réalisé sa vitesse contractuelle dans la première partie du voyage et que les fruits ont été livrés sans aucune réserve. L'obligation de « due diligence » a été respectée mais la garantie de vitesse maximum de sécurité met le fréteur dans une situation proche de celle du transporteur maritime, atténuée cependant par la qualification de « safe » qui fait dépendre la vitesse des conditions de navigation.
Les arbitres ont défini la condition de garantie « maximum safe speed » qui exprime une obligation de sécurité laissée à l'appréciation du capitaine. Pour être exonéré de toute responsabilité, il appartient au fréteur de faire la preuve que les conditions de navigation ont été la cause de réduction de vitesse. En Méditerranée, du 10 au 15 décembre, la vitesse du navire a diminué de jour en jour, passant de 15,7 nœuds à 11,2 nœuds. Bien que des vents de force 7 à 8 de secteur W et NW aient été consignés dans le journal de bord, il apparaît, après étude des différentes situations effectuée par les arbitres, que les observations de Météo France et celles de la station météo de Port Saïd ne sont guère comparables avec celles du journal de bord. Ils constatent que les explications données pour justifier l'immobilisation du navire en mer pendant 7 heures sont différentes de celles consignées au journal de bord et les estiment contestables.
Aussi, le fréteur ne fait pas la preuve que le ralentissement du navire n'est dû qu'au mauvais temps rencontré. Cependant, les arbitres estiment que les conditions de temps auxquelles le navire a été confronté à partir du 14 décembre ont causé une perte de temps de 15 heures et ont calculé que le retard imputable au fréteur en Méditerranée s'élève à 36 heures, période qui aurait pu être utilisée aux opérations de déchargement et de commercialisation des fruits.
Les arbitres considèrent que le retard du navire n'est pas à l'origine de la chute des cours des litchis, mais que la véritable cause est économique et essentiellement due à l'excès de l'offre par rapport à la demande, comme en fait largement écho la presse spécialisée en commentant la campagne des litchis de fin 2005.
La loi anglaise s'appliquant à la cause, et référence étant faite au célèbre arrêt « Hadley v/ Bexandale », le fréteur est condamné pour la perte occasionnée, c'est-à-dire l'éventuelle perte de valeur des litchis.
Les arbitres ont calculé qu'en arrivant à l'horaire prévu, le navire aurait pu décharger 2 184 t de litchis – tonnage qui aurait pu bénéficier des prix pratiqués à cette période et éviter ainsi de subir la chute des cours.
Le préjudice est constitué par la différence entre le prix du marché à destination quand les fruits auraient dû être livrés et le prix du marché lorsqu'ils ont été effectivement vendus (conformément à l'arrêt Koufos v/C. Czarnikow – The Heron II-).
Les conclusions de l'expert du cabinet KPMG n'ont pas été suivies par les arbitres pour les raisons soulevées par le fréteur. Ils se sont référés aux mercuriales établissant le cours des litchis pour calculer le différentiel à prendre en compte.