Lors des cinquièmes assises de l’économie de la mer de décembre 2009, Didier Ortolland, diplomate et principal auteur de l’ Atlas géopolitique des espaces maritimes, a fait le point sur un sujet bien technique mais qui expliquerait en partie la croissance de la flotte de guerre chinoise. L’article 76 (7) de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de décembre 1982 permet aux États côtiers l’ayant ratifiée, de « fixer la limite extérieure de son plateau continental, quand ce plateau s’étend au-delà de 200 milles nautiques des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, en reliant par des droites d’une longueur n’excédant pas 60 milles marins des points fixes définis par des coordonnées en longitude et latitude ». En clair et schématiquement, certains États côtiers peuvent valablement revendiquer non plus 200 nautiques de ZEE mais 350. Pour une île perdue au milieu du Pacifique, cela ne pose pas de difficulté particulière mais pour deux États séparés de moins de 700 nautiques, la problématique peut venir plus délicate surtout si le sous-sol est susceptible de contenir des ressources comme le pétrole.
L’ouvrage coécrit par Didier Ortolland rappelle les conflits qui existent depuis la mise en oeuvre de la convention en 1994: « la Chine et le Viêt Nam se sont affrontés militairement pour le contrôle des îles Paracels et de l’archipel des Spratly en mer de Chine du Sud. La Colombie et le Venezuela ont été au bord de la guerre pour le contrôle du golfe du Venezuela. La Turquie menace la Grèce d’un conflit armé si elle porte la limite de sa mer territoriale jusqu’à 12 milles nautiques; etc. ».
Après des années de discussions méthodologiques sur les différentes façons de délimiter le plateau continental, les États ayant déjà ratifié la Convention, avaient jusqu’au 13 mai pour déposer leurs demandes d’extention sur le bureau de la Commission des limites du plateau continental. Celle-ci a pour vocation de définir les règles complexes de délimitation du plateau continental et de vérifier que les États les respectent. Elle n’a aucune compétence en matière d’arbitrage entre les États qui s’opposent pour quelques arpents de sous-sol marin. Il revient aux États directement concernés de trouver une solution acceptable qu’ils présenteront conjointement à la Commission.
54 dossiers et 44 informations préliminaires déposés
À la date butoir pour les États ayant ratifié la Convention, avaient été déposés 54 dossiers et 44 informations préliminaires; celles-ci permettant de prendre date.
Les dossiers concernent plus de 54 États côtiers car quelques uns sont bilatéraux, trilatéraux, voire quadrilatéraux. Ainsi en mai 2006, l’Espagne, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni ont-ils déposé une demande conjointe relative à la mer celtique et au golfe de Gascogne.
Toujours est-il que les États côtiers ont réagi en prenant leur temps. Sur les 54 demandes formelles, 35 ont été déposées en 2009 dont 22 en mai.
La France a pour sa part déposé cinq dossiers complets et deux informations préliminaires. Outre celui déjà mentionné concernant la façade Atlantique, le deuxième est centré sur la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie. Le troisième concerne les Antilles et les îles Kerguelen. Le quatrième a été présenté le 6 mai conjointement avec l’Afrique du Sud et porte sur l’archipel de Crozet et sur les îles du Prince Edward. Déposé le 8 mai, le dernier dossier concerne les îles de la Réunion, de St-Paul et d’Amsterdam.
Didier Ortolland a souligné qu’au large de la frontière entre le Bengladesh et le Myanmar (ex-Birmanie), il y a de fortes chances de trouver du pétrole et que donc le risque de conflit pour la détermination de l’extension du plateau continental est élevé.
D’autant plus élevé peut-être que le traitement des dossiers déposés va prendre du temps. En effet, au rythme de deux sessions par an, même avec l’appui de sous-commissions, le dernier dossier déposé sera traité entre 2020 et 2035, a précisé P.E Crocker, président de la Commission. De plus, les États qui n’ont pas encore ratifié la convention sur le droit de la mer (dont les États-Unis), ont un délai de dix ans pour demander une extention de leur plateau continental. On comprend mieux pourquoi la conseillère juridique a demandé, en septembre, lors de la 24e session de la Commission, que soient apportés des changements « hardis » aux méthodes de travail actuelles.
Deux critères pour déterminer le plateau continental
Certaines pages de l’Atlas géopolitique des espaces maritimes nécessitent une concentration élevée notamment la page 200 relative aux deux critères susceptibles de déterminer seuls ou associés la limite extérieure du plateau continental, autrement appelé marge continentale.
Le critère du pied de talus permet à l’État côtier d’aller jusqu’à 60 nautiques au delà du pied du talus; ce dernier étant défini comme étant la zone de brisure de la pente. Vers le haut, la pente est raide; vers le bas, elle est plus douce.
L’épaisseur des sédiments offre une autre méthode. L’État côtier peut étendre sa souveraineté économique en mer tant que la distance entre le pied de talus et la limite extérieure reste inférieure à 100 fois l’épaisseur des sédiments qui se trouvent le plus au large.
En combinant ces critères, on arrive à la situation suivante. Au delà des 60 nautiques du pied de talus, l’État côtier ne peut prétendre à accroître son plateau continental que si l’épaisseur des sédiments est supérieur à 0,6 nautique, soit 1 111 m. Pour prétendre à 100 nautiques, il faut que l’épaisseur soit d’au moins 1 nautique (1 852 m).
Cependant, l’extention est limitée par deux contraintes: pas plus de 350 nautiques depuis les lignes de base (soit depuis la laisse de basse mer); et/ou pas plus de 100 nautiques au-delà d’une profondeur de 2 500 m.
On comprend mieux pourquoi il faut un certain temps pour comprendre le dispositif, collecter les données, constituer le dossier et l’instruire.