Sous la conduite de l'Institut de recherche maritime des Pays-Bas (Marin), pas moins de 24 transporteurs maritimes (dont Mærsk, CMA CGM et Danaos), sociétés de classification (les 5 premières occidentales), administrations néerlandaise, britannique et suédoise et autres fabricants de matériel de saisissage ont cherché durant trois ans à comprendre comment se déclenchaient des désarrimages de cargaison sur les rouliers, les porte-colis lourds et les porte-conteneurs. Pour les deux premiers, les conclusions sont qu'il est nécessaire de mettre en place une interprétation unique des règles internationales. Les règles OMI ou Solas permettent de tenir compte des conditions météorologiques pour le choix du système d'arrimage mais les membres du programme Lashing@Sea estiment qu'il n'existe pas des instructions générales précises sur la façon d'y parvenir. «Il est essentiel que les États d'immatriculation soient à même de décider si les procédures de saisissage, telles que définies dans le manuel d'assujettissement de la marchandise (CSM), sont pertinentes. Jusqu'à présent, de nombreuses interprétations existent ».
Aussi les membres du programme proposent-ils que soit définie une interprétation unique des normes de saisissage en cas de mauvais temps. Ils demandent à l'IACS de préparer un projet formel de recommandation qui servira de document de travail pour l'OMI.
Le programme Lashing@Sea invite « l'industrie » à examiner avec attention l'environnement de travail et des conditions exceptionnelles (out of design) qui, dans certaines circonstances, peuvent survenir. « Les normes internationales actuelles doivent être revues et adaptées pour prendre en compte les constatations faites durant les recherches ».
Évaluer l'exceptionnel !
À la suite de la période d'acquisition de données réelles, le groupe d'étude a mis en évidence que la coque pouvait subir des efforts bien supérieurs à ceux attendus lorsque se cumulaient les déformations de la coque, les interactions des piles de conteneurs et les chargements partiels avec une hauteur métacentrique excessive.
« La probabilité de survenance des conditions exceptionnelles (out of design conditions) doit (must) être évaluée afin d'augmenter la sécurité ». Le groupe de travail estime qu'il est crucial que la marchandise soit chargée à bord conformément au plan de chargement. Le poids réel du conteneur doit figurer dans la documentation et non pas le poids déclaré afin que le plan de chargement soit plus conforme à la réalité.
Afin d'éviter le shifting des conteneurs, les piles de conteneurs ne doivent pas être en surpoids. Les équipages expliquent que, dans certaines circonstances, le poids réel des conteneurs et leur position verticale n'ont qu'une lointaine relation avec le plan de chargement.
Les membres de Lashing@Sea recommandent également que soient définies de nouvelles normes en matière de surveillance et d'entretien des dispositifs de saisissage afin qu'il soit plus facile de détecter une dégradation ou un mauvais fonctionnement.
Selon les comptes rendus d'interviews, un équipage sur deux estime que sur les très grands porte-conteneurs, il est difficile d'estimer la puissance de l'impact de la vague d'avant sur la coque et ses conséquences sur les conteneurs. Il est dès lors impossible d'évaluer si les efforts subis par le navire restent en deçà des limites de construction et donc de déterminer les mesures préventives susceptibles d'éviter ou de limiter les dommages.
Le groupe recommande que les équipages disposent de guides afin de les aider à identifier les problèmes potentiels pouvant conduire à des situations à risques comme le tangage et/ou le slamming (coup de ballast) excessif sans oublier une hauteur métacentrique déraisonnable.
Les porte-conteneurs subissent des efforts insoupçonnés
Pour enregistrer les mouvements de plates-formes réels et les efforts subis par les dispositifs de saisissage, deux rouliers, un porte-colis et deux porte-conteneurs (dont le CMA-CGM-Rigoletto) ont été équipés de divers capteurs (accéléromètres et autres jauges de contraintes).
Pour les deux premiers types de navires, les valeurs enregistrées sont conformes aux attentes. Par contre, les efforts subis par les porte-conteneurs sont « préoccupants ». Marin a mesuré les accélérations subies par la totalité de la coque d'un porte-conteneurs durant 18 mois de navigation dans le Pacifique Nord et d'un autre en exploitation durant trois ans entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient. Il a été constaté que les accélérations pouvaient être augmentées de 50 % du fait de l'élasticité de la coque. Même avec de mauvaises conditions de mer, les efforts subis par la coque restent cependant dans les limites de conception du navire. Par contre, les efforts générés par un soudain « slamming » restent à déterminer.
Les mouvements des piles de conteneurs ont été modélisés à la suite d'acquisitions de données réelles. Quand tout va bien, les mouvements des piles sont uniformes et conformes aux attentes. Par contre, en cas de surcharge pondérale et de mou dans le saisissage d'une ou deux piles, les effets sont « dramatiques » sur les autres piles qui subissent alors des efforts jusqu'à trois fois supérieurs.
Par définition l'exceptionnel était difficilement modélisable, Marin n'a pas été en mesure d'estimer ce qu'il se passera si se cumulaient dans la même unité de temps et de lieu, un surpoids de quelques piles, un saisissage qui mollisait et de brusques mouvements de plates-formes (le 3ème événement est souvent à l'origine du 2ème). « Mais il est probable que cela déclencherait un effondrement de la pontée, voire de la capacité de survie du navire. Mais l'estimation de la probabilité de survenance de cette configuration n'entrait pas dans l'objectif de la présente étude ».
Les membres de l'étude estiment que les marges de sécurité figurant dans les règles de l'OMI ou dans les recommandations des sociétés de classification « doivent être réévaluées afin de tenir compte de la dynamique des piles de conteneurs et de la flexibilité des coques ». L'ABS, le BV, le DNV, le GL et le LR ne peuvent pas se tromper tous en même temps...
Vive les crises
L'hiver 2005-2006 a été particulièrement « riche » en pertes de conteneurs (le CMA-CGM-Otello perd en février 2006, 50x40' et 20 autres ont ripé). Le surpoids des conteneurs revient à la surface et ne la quittera plus grâce au MSC-Napoli. Les twists locks automatiques sont mis en cause. Hivers 2007-2008 et 2008-2009, la crise mondiale bat son plein : les porte-conteneurs sont loin d'être remplis et ils naviguent à 17 noeuds. Du coup , plus rien ou presque ne tombe à l'eau. La pression retombe. Il revient peut-être aux États côtiers de la maintenir sur les sociétés de classification, notamment, et des chantiers, grands absents de l'étude néerlandaise, sans oublier les chargeurs qui ignorent le poids réel de leur conteneur.