Le 10, sur les bords de la Seine, une centaine de personnes dont Pierre Mattéi, d.g. de Corsica Ferries, ont assisté à la demi-journée très studieuse que le BP2S, le bureau français de promotion du « shortsea shipping » avait organisé sur le thème éternel des « autoroutes de la mer » (AdM) ; expression ambiguë qui remonte à 2001.
Grâce au président du BP2S, Fernand Bozzoni, et au directeur commercial du Grand port de Rouen, Martin Butrille, il fut rappelé une nouvelle fois, mais sans doute en vain au moins en France, que les services de rouliers fréquents entre deux pays voisins ne constituent pas l'unique façon de concevoir une AdM. Une ligne de feedering de 20'ou 40' peut également être une AdM. Et un service fréquent et rapide entre deux pays voisins utilisant des 45'pallet wide, équivalent à une semi-remorque, paraît même être la solution la moins improbable.
Faut-il encore trouver une demande durable et solvable ; ce qui n'était pas exactement au coeur des préoccupations de cette demi-journée.
Antoine Person, secrétaire général de Louis-Dreyfus Armateur, montra, par cartes géographiques interposées, que les AdM fonctionnent « naturellement » en mer Baltique ; là où le trajet « tout route » serait bien plus long, quand il est possible, qu'un parcours « route-mer-route ». Dans la foulée, il attira l'attention sur le fait que les performances écologiques d'un navire roulier ne sont pas nécessairement bonnes en termes de CO2. Il faut que le roulier soit rempli à au moins 70 % pour y trouver un gain. L'étude sur la quantité de CO2 produite par le commerce maritime français confirme bien la mauvaise efficacité du roulier.
Autre future difficulté : l'impact sur les prix de transport maritime en Baltique après l'entrée effective de la réglementation sur la réduction des SOx. Une étude financée par les armateurs européens estime que cela entraînera une hausse tarifaire de 11 % à 20 %, selon les routes maritimes ; ce qui pourrait enclencher une baisse de la demande de 14 % à 40 %. De quoi perturber le système routier et la pérennité des lignes maritimes. Faut-il conclure à la nécessité d'aides d'État ?
S'exprimant sur les écobonus, ces aides italiennes versées aux transporteurs routiers utilisant un segment maritime en substitution d'un trajet « tout route », Alberto Cappato, représentant la CCI de Gênes, expliqua que la lenteur de la montée en charge du dispositif avait au moins trois raisons : l'extrême atomisation de la profession de transporteur routier en Italie ; le manque de marketing dans la conception du « produit » puis d'actions commerciales par la suite. Si l'on ajoute à cela un retard de deux ans pour verser les aides promises, on comprend mieux l'enthousiasme des transporteurs routiers italiens. Pour faciliter l'émergence de solutions inadaptées, Alberto Cappato souligna qu'il n'existe pas de statistiques sur le TRM italien. Un problème qui concerne également la France à en croire deux hauts fonctionnaires proches de la 2e section. Au fur et à mesure que l'Union européenne facilite ses échanges de marchandises et que la France modernise sa gouvernance, les données statistiques sur les échanges routiers, ferroviaires et maritimes intra-européens disparaissent et/ou perdent leur fiabilité.
Fabrice Accary, délégué au développement durable à la Fédération nationale du transport routier, s'interrogea ouvertement sur l'importance de la demande potentielle d'ADM. En comptant large, chaque jour passeraient aux frontières franco-espagnoles et franco-luxembourgeoise environ 12 000 poids lourds (PL) ; O,8 % effectue des transports de plus de 1 000 km, soit à peine 100 PL. Combien cela justifie-t-il de navires rouliers ? « Il est temps que le ministre des Transports s'intéresse à qui fait quoi, en ce domaine », concluait le représentant du transport routier.
Celui des chargeurs, Christian Rose, délégué général adjoint de l'AUTF, resta encore plus vague : « Il faut bien s'entendre sur ce concept. Bien sûr, nous sommes favorables à l'écobonus incitatif. »
Improbable service d'intérêt économique général
À défaut de demande, on peut toujours imaginer créer l'offre, à coup de subventions publiques. D'où l'idée de mettre en place des services d'intérêt économique général (SIEG), version européenne du concept français de services publics. Alain Gautron avocat associé de Norton Rose, s'attacha donc à présenter les principales caractéristiques du dispositif qui n'est pas considéré comme une aide d'État.
Las, Bernadette Frédérick, fonctionnaire à la DG TrEN, notait que d'un point de vue technique, il était « improbable que l'on puisse mettre en place un SIEG pour une ADM s'adressant uniquement aux transports de marchandises. Par contre, cela pourrait se concevoir pour une ADM passagers ou mixte ». Cela ne veut pas dire que rien n'est possible. Des aides d'État pourraient être accordées mais elles devraient alors être notifiées à la Commission européenne. « Il faudrait une volonté politique énorme pour faire bénéficier un projet d'ADM toutes marchandises du régime de SIEG », concluait-elle avant de provoquer des réactions contrastées dans l'assistance.
la même sérénade
Depuis l'assemblée plénière du Forum des industries maritimes d'octobre 1992, la Commission européenne ne cesse d'évoquer la nécessité de développer le cabotage intracommunautaire. En 2001, le transport maritime de courte distance prenait une tournure plus « fun » et devenait les ADM. Combien ont coûté et coûteront encore les multiples études qui ont conduit aux résultats que nous connaissons ?