Le BEAmer a publié depuis peu son rapport d'enquête sur l'échouement à 9 noeuds du navire de 85 m au pied du phare Planier par bonne visibilité avec un vent de N-O de 5 à 6 B. Tout le monde (ou presque) est « interpellé ».
L'armateur d'abord qui connaît de « graves difficultés économiques et d'importants arriérés de salaires qui sont à l'origine des tensions avec l'équipage et du retard à l'appareillage les 19 et 20 janvier ».
Construite en 1984, le navire est classé par le Turk Lloydu qui n'est pas membre de l'IACS, rappelle le BEA. Son entretien à minima en fait un navire « sous-normes ».
Normalement son équipage turc est composé de douze hommes. Mais à l'arrivée à Port-de-Bouc, le 19 janvier, il n'est plus que 11 ; le lieutenant ayant débarqué à Livourne pour raison de santé. A l'appareillage, le 20, il passe à 10 ; l'officier radio/chef de quart ayant aussi débarqué. Le minimum safe manning certificate n'est plus respecté. Les quarts passerelle sont réorganisés par bordée de 6 h entre le commandant et le second.
À son arrivée, le commandant demande « l'assistance des autorités françaises ». Le CSN de Marseille « prend connaissance de la demande du capitaine mais ne programme pas de visite du MoU avant l'appareillage », note le rapport du BEAmer.
Située à 8 milles dans le SSO de la rade de Marseille, l'île du Planier est en dehors de la zone couverte par le service du trafic maritime du Port de Marseille-Fos. « Elle est toutefois à l'intérieur de la zone de surveillance du sémaphore de Cap Couronne » ; sémaphore qui a eu un contact VHF avec le Gunay-2 peu après le débarquement du pilote. Mais « moins de 30 minutes avant l'échouement, alors qu'un contact VHF terre/navire et une correction de cap sont encore possibles, l'enregistrement Spationav montre que le Gunay-2 ne respectera pas la distance minimale nécessaire pour passer en toute sécurité dans le Sud de l'île du Planier ». Le BEA détaille le système Spationav : dispositif mis en place en 2004 pour suivre minute par minute, la situation du trafic maritime en combinant les images radars, les informations émises par les AIS des navires de commerce, les données saisies par les guetteurs des sémaphores, etc. La « Situation des Approches Maritimes (...) est à la disposition du Centre des opérations maritimes, des sémaphores et des CROSS qui bénéficient ainsi d'une visualisation de la situation régionale et des images locales, enrichies des informations des systèmes locaux adjacents ».
Cependant, la pratique des petits navires de commerce est de frôler les îles. « Dans ces conditions, la détection d'un navire semblant « courir vers un danger » est rendue aléatoire pour un observateur, y compris avec l'assistance de Spationav ».
Le BEA précise que le cargo était un habitué des rotations entre le Sud de la France et l'Italie. Le 21 janvier, il transportait du blé. Il avait été immobilisé huit fois en dix ans. Son target factor était de 48. A 50, une visite spéciale du CSN est obligatoire. Qui l'affrétait ?
Le radeau de la Méduse
Les conditions météo n'ont pas contribué à l'échouement. Les défauts matériels, constatés ou présumés « pouvaient tous être palliés par une bonne tenue du quart et une veille attentive ». Ils constituent néanmoins un ensemble de « facteurs potentiellement aggravants des facteurs humains » identifiés par la suite.
« Les déficiences constatées au cours des contrôles effectués ces dernières années, les arriérés de salaire dus à l'équipage et l'absence d'approvisionnement en vivres sont le fait de l'armateur » et ont constitué un facteur « déterminant ».
À l'appareillage, la cohésion de l'équipage est « altérée par la fatigue du capitaine et du second à la suite des négociations avec le représentant de l'armateur ; la situation de crise susceptible de créer un conflit au sein de l'équipage ; les deux officiers non remplacés ; une hygiène de vie vraisemblablement dégradée (nourriture achetée sur les deniers de l'équipage) ; l'assez faible espoir d'obtenir le versement des arriérés de salaire à l'arrivée à Livourne... »
Le cumul de ces conditions « peu favorables à la concentration que nécessite un suivi de la navigation dans les règles de l'art », constitue le facteur « sous-jacent à l'origine des défaillances conduisant à l'accident ».
« S'il est physiquement présent à la passerelle au cours de la quinzaine de milles précédent l'échouement, le capitaine, très préoccupé par la situation de crise, est vraisemblablement mentalement « absent », d'autant qu'il est familier de cette traversée et des tâches de routine qu'il doit accomplir. Cet état psychologique est le principal facteur déterminant de l'échouement ».
Recommandations
Le BEAmer recommande :
Au Grand port maritime de Marseille et à la Préfecture Maritime de la Méditerranée :
« - de clarifier, dans le cadre de la zone maritime et fluviale de régulation (mise en place programmée), le mode de fonctionnement du STM de Marseille - Fos (réglementation, procédures et opérateurs).
- de considérer toute la couverture radar comme appartenant au STM, les chenaux ne constituant un sous-ensemble obligatoire que pour certains navires. »
Aux exploitants de Spationav :
- « d'utiliser les fonctionnalités de Spationav pour détecter tout comportement anormal pouvant conduire à une situation à risque.
- D'étudier la possibilité d'intégrer dans Spationav les paramètres initiaux des plannings de route des navires de commerce ».
À l'Administration :
- « de formaliser, dans le cadre de la surveillance des approches maritimes, le rôle des différents opérateurs et leurs zones de compétence : GPMM, sémaphores, CROSS et COM (Préfecture maritime).
- lorsqu'elle en est informée, de systématiquement contrôler les navires à bord desquels les standards internationaux en vigueur (Convention n° 163 de l'OIT concernant le bien-être des gens de mer) ne sont pas respectés. » Faut-il encore avoir les effectifs.
Michel Neumeister