C/P Synacomex et connaissement - maïs en vrac - manquants au déchargement - pesage par bascule par destinataire - clause de draft survey et FIO non opposable au destinataire - fréteur transporteur maritime responsable du manquant.
Selon charte-partie au voyage (Synacomex 90), le vendeur CIF d'une cargaison de 2 835 tonnes de maïs affrète un navire pour le déplacement de cette cargaison d'un port roumain vers un port grec. Cette charte-partie contient une clause FIOST. Une autre clause prévoit que le poids de la cargaison mise à bord sera déterminé au départ et à l'arrivée par draft survey (comparaison des tirants d'eau). Le poids au chargement, ainsi mesuré, est de 2 835,300 tonnes.
Un seul connaissement Congenbill, net de réserves, a été remis à l'affréteur à la fin du chargement, indiquant ce poids. Ce connaissement a été endossé par l'affréteur au profit de son acquéreur destinataire, dès lors tiers porteur du connaissement. Il contient une clause renvoyant aux dispositions de la charte-partie.
Au port de déchargement, le destinataire fait état d'un manquant attesté par le pesage réalisé sur les bascules portuaires. Selon l'armateur, au contraire, la quantité délivrée, telle que mesurée par draft survey, est conforme au poids connaissementé dans les limites de la freinte. Le litige se noue sur les quantités ainsi délivrées au destinataire, en fonction de la méthode de mesurage utilisée par les uns et les autres.
À l'issue des opérations de déchargement et pour garantie de ses droits, le destinataire a opéré une saisie conservatoire sur le navire, que l'armateur prétend abusive.
Prétentions des parties
Devant l'arbitre unique, le destinataire réclame à l'armateur réparation du préjudice causé par les prétendus manquants (Convention de Bruxelles du 25 août 1924). Il réfute le mesurage par draft survey, inscrite à la charte-partie, qui ne lui est pas opposable. L'armateur transporteur prétend, d'une part, que les quantités livrées, telles que déterminées par draft survey, sont conformes, à la freinte de route près, au poids pris en charge et, d'autre part, que la clause FIOST de la charte-partie le dégage des risques du déchargement. Il réclame, en outre, réparation de l'immobilisation du navire par la saisie conservatoire.
Selon l'arbitre unique :
Sur la compétence, le demandeur a saisi la Chambre arbitrale maritime de Paris, en faisant état de la clause 1 du connaissement renvoyant à la clause 17 (Arbitration) de la charte-partie. L'arbitre unique s'estime donc compétent.
Sur la loi applicable, la clause 2 du connaissement (Général paramount clause), renvoie :
a) à la convention de Bruxelles du 25 août 1924 si elle fait partie de l'ordre juridique du pays de chargement (la Roumanie), ou, dans le cas contraire, à la législation correspondante du pays de déchargement (la Grèce) ;
b) et aux règles de la Haye/Visby si elles sont obligatoirement applicables aux transports considérés.
La Roumanie n'est plus partie à la convention de 1924. Mais la Grèce, pays du déchargement, y est partie et la convention doit donc s'appliquer.
Sur les manquants allégués par le destinataire.
La charte-partie contient une clause « FIO spout and trimmed», mais cette clause ne figure pas au connaissement, non plus que la clause de mesurage de la cargaison par la méthode du draft survey. Le connaissement à ordre net de toute réserve remis à l'affréteur fait état d'une cargaison de 2 835 t.
Au recto de ce connaissement, et sous la rubrique conditions de transport, l'article 1 est ainsi rédigé : « All terms and conditions, liberties and exceptions of the Charter Party, dated as overleaf, including the Law and Arbitration Clause, are herewith incorporated ».
Toutefois, cette charte-partie n'a pas été communiquée au tiers porteur du connaissement. Et personne ne prétend qu'elle ait été annexée au connaissement remis à l'affréteur, d'abord, au destinataire, ensuite. En droit français, la règle est que, en cas d'émission d'un connaissement de charte-partie, les clauses et conditions de cette charte-partie ne peuvent être opposées au tiers porteur légitime du connaissement que si elle a été annexée au connaissement ou dûment acceptée par ce tiers porteur. Le seul renvoi du connaissement à la charte-partie, par une clause de style, n'est pas suffisant à prouver la connaissance et l'acceptation par le tiers porteur de ses clauses et conditions.
Le fait que ce tiers porteur décide de recourir à la procédure d'arbitrage prévue à la charte-partie n'équivaut pas à l'acceptation des autres dispositions de cette charte.
Le connaissement désigne la convention de Bruxelles du 25 août 1924 comme étant la loi du contrat de transport.
Or, l'article 1er (b) de la Convention de 1924 la déclare applicable « au connaissement ou document similaire émis en vertu d'une charte-partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement ».
Il convient donc d'analyser les relations entre l'armateur et le destinataire tiers porteur du connaissement comme étant les relations issues du seul connaissement maritime et soumises aux dispositions impératives de cette convention de 1924.
Dans ce cadre juridique, le transporteur maritime est obligé de livrer à destination la marchandise pour la qualité et la quantité qu'il a prises en charge telles qu'indiquées au connaissement. Cette obligation s'étend de la prise en charge sous palan jusqu'à la livraison sous palan. Dans ce contexte, les opérations de chargement et de déchargement sont à la charge de l'armateur et à ses risques. La clause FIO de la charte-partie est inopposable au tiers porteur du connaissement, et ne change rien à cette obligation à l'égard de ce tiers porteur du connaissement.
Le connaissement n°l, net de réserve, fait état de la quantité prise en charge par le transporteur. C'est donc cette quantité qui doit être livrée à destination sous palan.
Problème : quelle est la quantité qui a été effectivement livrée au destinataire ?
Selon le destinataire, il existe un manquant de 104 tonnes 120, prouvé par le pesage effectué sur les bascules portuaires. Le destinataire recuse le draft survey prévue par la charte-partie qui lui est inopposable. L'armateur prétend, bien au contraire, que cette méthode de mesurage est la seule admissible, d'autant que le pesage portuaire réalisé à destination est postérieur à la livraison ; les manquants, s'ils existent, n'ont pu se produire qu'à terre.
Pour l'arbitre unique, la méthode de draft survey ne pouvait être imposée au destinataire, car prévue par une charte inopposable et contraire aux dispositions impératives de la convention de 1924.
Le pesage portuaire est le seul mesurage à prendre en compte. Certes, la livraison est réputée effectuée le long du bord du navire, à la fin des opérations de déchargement. Toutefois, les manquants allégués par le réceptionnaire s'assimilent à des dommages non apparents, pour lesquels la Convention de 1924 [article 3, (6) alinéa 2], octroie au destinataire un délai de trois jours pour effectuer des réserves. Or, dès la fin des opérations de déchargement, une lettre de protestation a été émise par le destinataire. La réserve ainsi faite à propos du manquant est valable : elle a été faite dans le délai imparti par la convention de 1924 et dans des conditions acceptables du point de vue du principe du contradictoire.
C'est donc bien le manquant de 104 tonnes 120 invoqué par le demandeur que l'arbitre considère comme significatif. C'est le chiffre qu'il retiendra, avec la valeur que le demandeur lui a donnée d'une manière convaincante. Cette indemnité sera augmentée des intérêts légaux, calculés à compter de la date de la demande d'arbitrage.
Sur la saisie conservatoire du navire et la réclamation de surestaries par le défendeur.
Dès lors qu'un pareil manquant existait à la livraison, il était légitime pour le demandeur, ainsi titulaire d'une créance maritime au sens de la Convention de Bruxelles du 10 mais 1952 sur la saisie conservatoire des navires (applicable en l'espèce) de chercher une protection juridique de sa créance d'indemnisation dans la saisie conservatoire du navire transporteur.
Cette saisie conservatoire n'est en rien abusive. Le destinataire n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité du fait de cette saisie. Au demeurant, l'armateur pouvait, dès l'instant de la saisie, fournir une garantie de son P and I ou une garantie bancaire.
Et si l'immobilisation du navire s'est prolongée pendant six jours, c'est uniquement de son fait. En conséquence, le destinataire sera accueilli dans sa réclamation et l'armateur débouté de toutes ses prétentions.