Au terme d'une journée et demie d'échanges d'informations et de présentation sur les moyens de détecter, de constater puis de poursuivre les auteurs des rejets opérationnels interdits par la convention Marpol 73/78 (annexe I) les délégations des six États du Sud de la Méditerranée se sont vu remettre un relevé de conclusions portant sur « le lancement du réseau de procureurs et d'enquêteurs pour la lutte contre la pollution volontaire en Méditerranée ». Le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, Malte et le Liban ont jusqu'à la fin juin pour répondre positivement (ou non) à l'invitation lancée par le ministère français de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces ; bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement) soutenue financièrement par la Banque mondiale. L'Italie et l'Espagne sont, elles aussi, invitées à rejoindre ce possible nouveau réseau qui ferait ainsi le pendant à celui qui existe déjà en mer du Nord.
La mise en place de ce réseau de « procureurs et d'agents poursuivants » (autre formulation utilisée lors des débats) « pourrait avoir pour mission, notamment :
- d'identifier les différents acteurs des États riverains de la Méditerranée en charge de la prévention et de la répression de la pollution maritime volontaire ;
- d'identifier les besoins en formation de ces acteurs et d'organiser à leur profit des sessions de formation conjointes ;
- de contribuer à une coopération opérationnelle et d'améliorer l'efficacité des poursuites et l'harmonisation des sanctions ;
de développer des actions concrètes par le partage des expériences de constatation des infractions ». Pour ce faire, un point de contact national unique devra être désigné pour faciliter les échanges d'informations et d'expériences. Une première réunion devrait se tenir durant le premier semestre 2010 pour présenter une évaluation des actions entreprises et élaborer des futurs projets. C'est dire qu'il n'y a pas de temps à perdre.
305 000 t de rejets illicites
Pour maintenir éveillées les consciences des autorités qui avaient envoyé leurs magistrats à Marseille les 8 et 9 au siège régional de la Banque mondiale, chacun y est allé de sa présentation du drame qui menace la Méditerranée. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, soulignait que la Méditerranée représente un pour-cent de la surface du globe mais qu'elle reçoit 17 % des déchets d'hydrocarbures du monde, soit 305 000 t par an. Pour conclure la session, François Falletti, le procureur général près de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, jugeait « essentiel sur le plan écologique et culturel » le projet de constitution de ce réseau.
selon la réalité du terrain
Selon les représentants de l'Algérie et de l'Égypte, ces pays disposent des lois qui permettent de poursuivre le navire pollueur. Il reste cependant à détecter le rejet, à le constater de façon utilisable par le juge puis à punir de façon dissuasive.
La détection peut se faire d'au moins deux façons : « à la française » par la recherche incertaine donc coûteuse du flagrant délit ou « à l'américaine » par contrôle des registres d'hydrocarbures au port. Le flagrant délit a été jugé le dispositif le mieux adapté aux navires en transit dans les eaux d'un État côtier. Par contre dans les eaux nord-américaines où le transit maritime est marginal, le contrôle par l'État du port est suffisant. Et le faux témoignage auprès d'officiers assermentés, les US Coast Gards, coûte cher.
En matière de flagrant délit, il n'est pas indispensable que chaque État méditerranéen s'équipe de moyens aériens spécifiques, souvent coûteux, pour détecter une pollution aux hydrocarbures, expliquait Christian Cosse, douanier et pilote d'avion, et surtout expert en pollution maritime. Tout État fait voler presque quotidiennement un avion, très souvent militaire. Il suffit de former, en trois jours environ, son équipage au code d'apparence adopté par l'accord de Bonn signé en septembre 1983 par neuf États nord européens. Ce code établit une correspondance entre l'apparence des nappes d'un supposé polluant et la présence d'hydrocarbures. Christian Cosse rappelait que la résolution du MEPC de juillet 1993 stipule que tout rejet visible dans le sillage est la preuve d'un rejet à plus de 15 parties par million ; concentration qui, selon la convention Marpol, ne doit pas être dépassée.
Après cette formation de base, l'équipage devra acquérir une certaine expérience pour la détection de jour ; ce qui prend plus de trois jours, estimait Christian Cosse. Il faut également un peu de temps pour bien faire comprendre aux magistrats ce qu'apportent les photos aériennes matérialisant le rejet.
Par contre, notait l'expert douanier, la détection de nuit suppose la présence à bord d'équipements sophistiqués et coûteux, dont il est possible, dans un premier temps, de faire l'économie.
Le contrôle du navire par l'État du port n'a fait l'objet d'aucune présentation officielle mais il n'est pas sans inconvénient dans des pays émergents.
Un PV commun
Une fois détecté, le rejet illicite doit faire rapidement l'objet d'une enquête afin de déterminer s'il y a eu infraction à l'interdiction de rejeter plus de 15 PPM, stipule la règle 15.7 de la convention Marpol. Pour ce faire, le PV de constatation doit être rédigé dans les règles de l'art ; ce qui a pris, même en France, un certain temps. D'où l'idée de définir une sorte de PV type qui soit « compatible » avec les droits de la majorité des États méditerranéens afin de permettre à un tribunal de l'État du port d'enquêter et éventuellement de poursuivre un navire ayant fait l'objet d'un PV de rejet supposé illicite établi par un agent d'un autre État.
Des juridictions spécialisées : il suffit de le décider
Plusieurs représentants du Sud-Med ont semblé regretter l'absence de juridictions spécialisées dans les affaires de pollution ; juridictions qui existent en France depuis 2001 ; l'émotion suscitée par le naufrage de l'Erika, puis par celui du Prestige ayant fini par faire son oeuvre.
« Une circulaire de la chancellerie a tout déclenché, intimant l'ordre à la justice de se mettre en ordre de bataille pour lutter contre les rejets illicites en mer », rappelait avec enthousiasme Jean-Luc Blachon, substitut du procureur de la République, en charge des pôles santé publique et pollution marine auprès du Tribunal de grande instance de Marseille.
Cela dit, le choix politique de décider de la création de juridiction spécialisée par façade maritime ne fonctionne correctement que si les autres juridictions locales acceptent de ne pas se saisir de l'affaire de rejet illicite. Ainsi, sur la façade méditerranéenne, tous les tribunaux de « droit commun » ont-ils accepté de laisser « faire » le TGI de Marseille. Ce qui ne va pas nécessairement de soi.
En se spécialisant, les magistrats acquièrent la pratique et les réflexes qui conviennent. Actuellement, en France, entre la constatation de l'infraction et la citation à comparaître, il s'écoule moins d'une semaine, soulignait Jean-Luc Blachon. Mais les cinq acteurs de la chaîne sont maintenant bien habitués à travailler ensemble : l'avion des Douanes ou de la Marine nationale constate le rejet et prend des photos. Le pilote rédige le PV. L'ensemble est envoyé au procureur de la République qui demande à la Gendarmerie maritime d'ouvrir une enquête. Dans la foulée, le procureur examine avec le Préfet maritime les moyens disponibles pour dérouter vers un port français le navire en transit. Il est immobilisé à quai. La Gendarmerie maritime et les agents du Centre de sécurité des navires montent à bord. La première s'intéresse plus particulièrement aux registres des hydrocarbures ; les seconds, à l'état général du navire et à ses certificats. Très généralement une caution, allant de 500 000 ¤ à un million d'¤, à Marseille, est demandée pour libérer le navire. Et dans la majorité des cas, une amende équivalente est infligée quelques mois plus tard à l'armateur ; le commandant n'étant pas, pour autant, oublié dans l'affaire. Lors d'une conversation privée, Jean-Luc Blachon reconnaissait que les amendes décidées par le TGI de Marseille étaient généralement plus élevées que celles prononcées par le TGI de Brest, par exemple, « car il nous semble plus grave de polluer volontairement une mer fermée comme la Méditerranée. En outre, un rejet illicite à proximité du littoral est plus sévèrement puni qu'au large. La nature du produit intervient également dans la détermination de l'amende ».
Il faut taper fort
Le niveau de cette dernière n'est pas neutre car il faut qu'il soit dissuasif. En France ou aux États-Unis, cela semble bien compris. Mais en Turquie, un rejet illicite ne coûte « que » 15 000 ¤, notait Frédéric Hébert, directeur du Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle (REMPEC) basé à Malte ; ce qui n'a pas grand sens d'autant que le règlement est pris en charge par le P & I Club de l'armateur même si cela est théoriquement impossible. À 500 000 ¤ par amende et plus, la mutuelle d'armateurs commence à s'interroger et surtout prévient ses membres d'une probable augmentation de leurs cotisations, soulignait Frédéric Hébert qui semble y voir là un bon moyen d'agir contre les compagnies peu motivées. Accessoirement, un État côtier pourrait également trouver une motivation à poursuivre ; et celui du port, à respecter tous les termes de la convention Marpol.
En effet, si les rejets de plus de 15 PPM sont interdits, l'État du port a l'obligation de mettre à la disposition des navires, des stations de récupération des résidus d'exploitation. Sujet délicat.
La convention internationale du droit de la mer prévoit dans son article 228 que l'État du pavillon a six mois pour « punir » l'un de « ses » navires si ce dernier a pollué. Au-delà de ce délai, l'État côtier peut reprendre la main si l'armateur n'a pas été sanctionné. Il suffit donc que l'État d'immatriculation condamne la compagnie à quelques milliers d'euros d'amende pour éteindre l'action. Un représentant du ministère français de la Justice expliquait qu'était actuellement menée une réflexion tant sur ce point et qu'en cas de carence répétée de l'État du pavillon.
Et les autres polluants ?
Si l'objet de ce possible futur réseau des procureurs est centré sur la prévention des rejets illicites d'hydrocarbures, il ne faudrait pas perdre de vue que les sources majeures de pollution de la Méditerranée sont à terre, ainsi que le souligne un document du REMPEC. Combien de villes côtières disposent de stations d'épuration fonctionnant correctement, au Sud comme au Nord de la Méditerranée ?
À écouter les inquiétudes du procureur chef du tribunal de Gela, en Sardaigne, les raffineries et les sites abandonnés par l'industrie chimique sont des sources potentielles de pollution maritime plus inquiétants que le transport .