Dispositif de remorquage d'urgence : le strict respect des normes de l'OMI est-il suffisant ?

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Le bon sens voudrait que l'armateur, et plus généralement le sujet de droit, qui respecte les normes et réglementations applicables puisse a priori se considérer comme exempt de tout reproche.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle aux juges du fond qui entendent retenir la responsabilité d'un justiciable qu'ils se doivent de caractériser « quelle disposition légale ou réglementaire imposait la mesure » qu'il ait fait reproche au justiciable de ne pas avoir prise (C. Cass. 1ère Civ., 18 avril 2000 n° 98-15770).

À l'aune de ces remarques un armateur pourrait donc, ou devrait donc, se considérer « à l'abri » si d'aventure l'un de ses navires, non-citerne, venait à provoquer un accident majeur et qu'il était allégué qu'un dispositif de remorquage d'urgence aurait permis d'éviter le sinistre. Il lui suffirait simplement de rappeler que la réglementation applicable ne lui impose pas d'équiper son navire d'un tel dispositif.

Pas de faute mais de l'imprudence

Cela étant, il peut être soutenu que l'armateur d'un navire, conscient des risques inhérents à toute expédition maritime, et au fait des avantages qui pourraient, dans l'hypothèse de l'occurrence de certains événements, résulter de l'ajout d'un dispositif de remorquage d'urgence, aurait dû équiper son porte-conteneurs d'un tel système.

Il devrait cependant raisonnablement pouvoir être objecté que pour parler de faute, encore faut-il, logiquement, identifier une obligation préexistante inexécutée. Cela ne serait pas le cas en l'espèce puisque dans notre hypothèse le navire impliqué n'avait pas l'obligation d'être équipé d'un dispositif d'urgence de prise de remorque.

Malheureusement, la volonté qu'ont souvent les juges d'indemniser les victimes les conduit, parfois, à « trouver » la faute permettant de retenir la responsabilité d'un armateur. L'histoire montre qu'il est toujours plus simple d'apprécier « l'imprudence » d'un acte d'après son résultat, en omettant parfois de caractériser l'obligation préexistante prétendument non-respectée.

Dans l'hypothèse d'un sinistre majeur impliquant un navire non-équipé d'un dispositif de remorquage d'urgence, il peut être supposé que les victimes du sinistre tenteront de prouver la faute de l'armateur afin que sa responsabilité soit retenue. On peut même imaginer que certaines victimes iront jusqu'à stigmatiser une prétendue « négligence » de l'armateur, afin de caractériser sa faute dite inexcusable, et ainsi le priver du droit de limiter sa responsabilité.

Lesdites victimes souligneront nécessairement que certains armements (dont CMA CGM, selon le commadant Claden) ont, sur une base volontaire, décidé d'équiper leur flotte de porte-conteneurs de dispositif de remorquage d'urgence. Elles préciseront également sans doute qu'en juin 2002 l'Allemagne avait, au cours d'une réunion du Sub-Committee On Ship Design & Equipment de l'OMI, recommandé l'extension des dispositifs litigieux à tous les navires marchands de plus de 300 tonneaux de jauge brute. Autant d'éléments qui les conduiront à soutenir que l'armateur incriminé aurait dû équiper son navire d'un dispositif d'urgence de prise de remorque, bien que la réglementation ne lui en fasse pas l'obligation.

Dès lors qu'il s'agit de l'appréciation des juges du fond, il est donc difficile de garantir à un armateur respectueux de la réglementation nationale et internationale que sa responsabilité ne sera pas retenue. Au demeurant les praticiens savent que certains magistrats, dans des affaires en cours, ont parfois cru pouvoir constater qu'un armateur n'avait enfreint aucune réglementation internationale, pour néanmoins retenir qu'il avait commis une faute dite inexcusable en faisant naviguer son navire.

Bien que la Convention de Londres LLMC 1976 n'envisage une déchéance du droit pour l'armateur à limiter sa responsabilité que dans l'hypothèse où le dommage résulterait du fait ou de l'omission personnelle de l'armateur commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou « commis témérairement avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement » (loi 67-5, article 58), l'appréciation in abstracto de cette faute, qui n'est pas nécessairement celle du droit positif mais qui reste prônée par une partie de la doctrine, pourrait alors fort bien séduire certains magistrats soucieux de condamner un armateur ou de « moraliser » (si tant est que cela soit leur rôle) un secteur d'activité souvent décrié.

Le juge n'a pas à juger la norme

Certains esprits chagrins pourraient cependant souligner que dans cette hypothèse le juge, qui se pose en gardien de la loi, sanctionnerait alors celui qui la respecte... Des esprits encore plus vifs pourraient même indiquer qu'à poursuivre sur cette voie le pouvoir judiciaire s'arrogerait alors celui de contrôler le pouvoir législatif. On voit alors combien il est risqué de qualifier une norme de « minimale ». En réalité une norme n'est ni «minimale », ni « maximale ». Si d'aucuns considèrent une norme comme « minimale » alors c'est vers le pouvoir normatif qu'ils doivent se tourner pour tenter, au besoin, de la faire évoluer : là n'est pas, sauf erreur, le rôle du juge.

En définitive, et dans l'hypothèse où la question viendrait à se poser, tout sera vraisemblablement une affaire d'espèce.

Puisque « le fait que la loi ou le règlement autorise un acte (...) n' a pas pour effet de relever ceux qui accomplissent cet acte de l'obligation générale de prudence et de diligence » (C.Cass., 2ème civ. 14 juin 1972), il pourrait, par analogie, être jugé que le fait que la loi ou le règlement n'impose pas un dispositif de remorquage d'urgence, n'est pas suffisant pour relever ceux qui n'en équipent pas leurs navires de leur obligation générale de prudence et de diligence. Il en sera toujours pour soutenir qu'il convient d'être plus royaliste que le roi.

Il en faudra toujours d'autres pour rappeler qu'à l'impossible nul n'est tenu.

1- division 221-II-1/03-4 / résolution OMI MSC.35 (63)

Dispositif de prise de remorque rapide : l'Académie de Marine le recommande

Il n'y a pas que l'Allemagne ou la CMA CGM qui fassent preuve d'un certain sens marin en matière de sécurité après incident. Dans une récente note de quatre pages consacrée aux problèmes de sécurité des grands porte-conteneurs, l'Académie de Marine recommande cinq « mesures concrètes (dans cet ordre) :

- l'installation d'un système d'instrumentation de la coque métallique simple et facilement exploitable, qui évalue en temps les niveaux de contrainte. L'enregistrement de ces contraintes permettrait de suivre la consommation du potentiel de fatigue évalué au neuvage.

- L'installation en passerelle d'un système d'aide à la décision (SAD), analysant le comportement de la plate-forme et informant les responsables des situations dangereuses. Ces deux systèmes donnent à ces responsables les moyens de choisir les routes et les vitesses les mieux adaptées à la situation.

- Ces navires comportent un très grand fardage et ils devraient être dotés, comme les grands pétroliers, de dispositifs de prise de remorque rapides, tant à l'avant qu'à l'arrière.

- On devrait étudier la possibilité d'installer des stabilisateurs passifs, fonctionnant à faible vitesse.

- Enfin, la complexité des installations propres aux porte-conteneurs - SAD, enregistreurs de contrainte, évaluation de la stabilité en temps réel, sécurité des systèmes de saisinage - nous semble devoir s'accompagner d'actions de formation spécifique pour le personnel, à terre et à bord, dans les écoles tout d'abord, ensuite par des sessions de simulateurs et par des stages à bord ».

C'est à la suite de l'échouement du Braer que les États membres de l'OMI ont décidé d'imposer un dispositif de remorquage d'urgence, à l'avant comme à l'arrière, pour les pétroliers neufs et anciens. Évoqué lors du premier rendez de l'Assurance Transports de mai dernier, le « droit de la catastrophe » s'appliquait alors une nouvelle fois. Pourrait-on, pour les gros porte-conteneurs, mettre en oeuvre le droit du « sens marin » ?

Michel Neumeister

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