Le 27 mai, à 8 h 00, au large de La Ciotat (exactement 43°05 N et 5°30 E), le pétrolier français Solène (5 961 tpl) est abordé par bâbord, au niveau de la salle des machines, par l'étrave du chimiquier français Tatiana-B (3 150 tpl). Le premier connaît un black-out électrique total. Une de ses cuves est percée et libère 1 000 t d'hydrocarbures lourds, réparties en cinq nappes. Certaines dérivent vers l'Aude, d'autres vers La Ciotat. Trois heures après l'accident, elles couvrent une superficie de 10 000 m2. Le pétrolier est finalement remorqué vers le port de Marseille.
Toujours maître de sa manoeuvre, le chimiquier a sa première coque percée. Il y a un doute sur l'intégrité de la seconde, donc sur l'intégrité des cuves. On apprend qu'elles contiennent du xylène et du styrène, le même produit que contenait le Ievoli-Sun lors de son nuafrage en 2000. Pas de blessé grave. Le plan Orsec maritime est déclenché.
Et c'est parti pour deux jours à la préfecture maritime de Méditerranée et sur le littoral audois et varois : Euronyme, l'exercice alliant l'Espagne, la France, Monaco, l'Italie et l'Agence européenne de sécurité maritime vient de commencer. Son principal objectif : tester encore et toujours. Tester l'organisation des accords bilatéraux avec l'Espagne à l'Ouest ; Monaco et l'Italie, à l'Est ; tester l'organisation française en mer placée sous l'autorité unique d'un Prémar ; tester l'organisation française à terre, polycentrique.
Le premier jour était consacré à la collision et à son traitement ; un exercice principalement « papier ». Les navires alertent le Cross Med, qui répercute l'information à la Prémar. Les armateurs, Maritima pour le chimiquier, Sea-Tankers (ex-Fouquet Sacop) mettent en place une cellule ISM. Le groupe Shell, l'affréteur du Solène, suit de près l'opérateur. Assureurs, P&I Clubs et avocats sont mobilisés. Ainsi que tous les services de l'État, au moins en mer. À terre, certaines collectivités, territoriales ou non, ont accepté de « jouer ».
« Après évaluation de l'état du pétrolier, et compte tenu de sa cargaison, il a été décidé de le mettre à l'abri dans la baie de La Ciotat », a expliqué le vice-amiral d'escadre Yann Tainguy, préfet maritime de Méditerranée depuis mars 2009 et ancien n° 2 du SG mer, lors d'une conférence de presse . Outre un passé glorieux dans la construction navale, le choix de La Ciotat n'est pas « innocent ». En effet, la baie présente la particularité de dépendre de deux départements : les Bouches-du-Rhône et le Var. Ce qui n'est pas neutre du point de vue de l'organisation de la lutte antipollution à terre. Nous y reviendrons.
De la zone refuge de La Ciotat, il est décidé de remorquer le Solène vers le Grand port maritime de Marseille. Seul le représentant du port veut savoir dans quel état se trouve la structure du navire.
La décision de choisir un gazier est, elle aussi, significative. Car à en juger par les propos tenus lors du 4e forum R&D de l'OMI, l'expérience des services d'urgence est faible en la matière (JMM du 22/5/2009, p. 9). La toute première action à mener est de vérifier le caractère explosif ou non de l'environnement immédiat du navire ; puis de prendre des échantillons afin que le Laboratoire d'analyses et d'expertise de la marine puisse déterminer la nature des produits.
des opérations de nettoyage
Le second jour était consacré aux simulations d'opérations de ramassage des nappes d'hydrocarbures en mer et de protection du littoral. Compte tenu de la météo, les opérations en mer ont eu lieu au large de St-Raphaël, par mer belle et sans vent significatif. Comme d'habitude, l'hydrocarbure était remplacé par de la balle de riz ; ce qui, du point de vue viscosité, n'est pas exactement réaliste. De plus, la balle de riz est indétectable aux radars chargés de tracter les nappes d'hydrocarbures. Pour ces opérations, outre les bâtiments habituels dont dispose la préfecture maritime de Méditerranée, l'Espagne, et plus précisément la Sasemar (Sociedad de Salvamento y Seguridad Maritima), avait envoyé le Clara-Campoamor, remorqueur de haute mer également spécialisé dans le sauve- tage et la lutte antipollution. À la demande de la France, l'Agence européenne de sécurité maritime avait dépêché deux avitailleurs préaffrétés équipés de leurs dispositifs de ramassage d'hydrocarbures. Des avions espagnol et italien complétaient le dispositif.
L'AEM globalement positif
En toute première réaction, l'amiral Tainguy a expliqué, lors de la conférence de presse, qu'il aurait aimé une plus grande participation des collectivités ou organismes terrestres. Il faut savoir que ce type d'exercice est organisé une fois tous les trois ans sur le littoral méditerranéen français. Les autres années, il a lieu, en alternance, sur le littoral espagnol et italien. Interrogé sur la qualité des communications, le préfet maritime a répondu qu'en utilisant des communications non-protégées, et grâce aux réseaux internet efficaces et peu coûteux, il n'y a plus de difficulté. Le retour d'expériences (retex), document officiel présentant le bilan de l'exercice, devrait être disponible en préfecture en septembre prochain, a également répondu le préfet. L'amiral Tainguy s'inscrivant ainsi dans une sorte de « tradition républicaine » mise en place par son homologue Van Huffel concernant l'exercice Pollux 2006.
De source habituée aux crises réelles et fictives, après les « cafouillages » inhérents à tout début de crise, l'action (civile) de l'État en mer a été « globalement satisfaisante : chacun sait ce qu'il a à faire et le fait. Il y aurait lieu de mettre un peu plus de souplesse dans le contrôle des accès au centre de crise (1) et d'améliorer la nourriture, mais cela reste du domaine du détail. Par contre, à terre, nous sommes retombés à l'âge de bronze ».
La décentralisation au niveau du département a introduit des rigidités « invraisemblables ». Ainsi, par exemple, le bataillon des marins pompiers de Marseille a beaucoup de mal à travailler en dehors de sa stricte « circonscription », car le Service départemental d'incendie et de secours du 13 y est « peu favorable ».
S'exprimant pour être compris, Simon Babre, jeune sous-préfet, directeur de cabinet du préfet du Var, rappelait lors de la conférence de presse que l'exercice à terre avait également pour but de vérifier que l'autorité de l'État était bien « reconnue et acceptée » par tout le monde. Explications (sans doute partielles) : avec le transfert des routes nationales aux départements, l'État ne contrôle plus les DDE et surtout la poignée de fonctionnaires intermédiaires qui savaient, en temps de crise, organiser vite et bien le transfert des équipements de lutte antipollution entre les dépôts et le littoral. Il faut donc que l'État soit reconstitue ses capacités d'expertises, soit demande aux conseils généraux de bien vouloir mettre à la disposition du préfet du département ces agents. Encore faut-il qu'il ait un préfet. En effet, la source « anonyme » mais habituée aux crises note que la préfecture des Bouches-du-Rhône n'a pas souhaité « jouer » comme cela s'était déjà produit au dernier moment lors de l'exercice Pollux 2006. Elle a simplement donné délégation à la préfecture du Var pour organiser la protection du littoral de la baie de La Ciotat qui est rattaché aux Bouches-du-Rhône.
Au dernier moment, la zone de Défense Sud a fait savoir au Prémar qu'elle avait autre chose à faire de plus urgent.
Le mythe de la nymphe Euronyme est toujours d'actualité : celui de la séparation de la mer et non pas du ciel, mais de la terre.
1. L'ergonomie du centre opérationnel de la marine à Brest, « en sous-sol et très bruyant » avait beaucoup intéressé le président Parlos lors du procès de l'Erika, le 12 mars 2007. La préfecture maritime de l'Atlantique dispose maintenant d'un COM tout neuf.
Shell toujours prêt
La participation de Shell France s'explique par l'instruction du groupe selon laquelle, en cas de risque de pollution maritime d'un État côtier par un produit ou un transport Shell, la filiale de l'État concerné doit apporter toute l'assistance nécessaire à ce dernier, même si elle n'est pas directement concernée par le produit ou le navire, explique Bruno Rosenthal, responsable, entre autres, de l'organisation de la gestion de crise. Dans le cas présent, l'affréteur du navire était Shell Grèce conseillé dans son choix par Shell Trading and Shipping Company (UK), département spécialisé dans le transport maritime pour toutes les entités du groupe. Après la collision, le Solène a averti le Cross Med, puis son armateur, Sea-Tankers. Ce dernier informant Shell Grèce et Shell Trading. Constatant un risque de pollution sur les côtes françaises, le Trading informe Shell France. Celle-ci se met en contact avec le Cogic (centre opérationnel de gestion interministériel des crises), qui est l'échelon national, pour signaler l'éventuel problème et la volonté du groupe d'assister autant que de besoin qui le voudra bien. Deux domaines concernent particulièrement un groupe pétrochimique : la sécurité des personnes, et l'atteinte à l'environnement. Dans les deux cas, Shell a toutes les raisons de bien connaître les caractéristiques des produits qu'il fabrique, transporte ou distribue. C'est ainsi qu'un représentant de Shell France s'est retrouvé au centre opérationnel de la Marine à Toulon. « S'il est largement souhaitable que l'affréteur soit présent auprès des autorités pour participer au traitement de l'accident, une question reste ouverte : quel est son rôle exact ? », s'interroge Bruno Rosenthal, ancien navigant. « Est-il un expert technique du produit ? Doit-il être une sorte de porte d'entrée, d'officier de liaison, entre les autorités et un groupe international afin de trouver vite et bien des réponses à des questions ? » Les vidéoconférences, le courriel, le téléphone, tout cela est très bien mais les relations directes entre personnes qui se connaissent depuis longtemps facilitent grandement les choses en temps de crise, ajoute-t-il. D'où la motivation de Shell de participer à toute sorte d'exercices, à terre comme en mer.