Un vraquier est affrété au voyage par charte-partie de type Baltimore Form C pour transporter une cargaison de tourteaux de soja d’un port sud américain à deux ports en Pologne. À l’arrivée au premier port polonais, des prélèvements sont effectués dans la cargaison qui décèlent dans certaines cales une contamination de la marchandise par la salmonelle. À la demande des autorités sanitaires locales, une partie de la cargaison destinée à l’alimentation animale doit être traitée avant de pouvoir être commercialisée. Les demanderesses en indemnisation des frais ainsi occasionnés sont le réceptionnaire, société affiliée au même groupe que l’affréteur, et ses assureurs subrogés qui ont obtenu du P and I Club de l’armateur une lettre de garantie donnant compétence à la C.A.M.P.
Les demanderesses soutenaient que le droit français s’appliquait au litige et que la défenderesse était le transporteur contractuel. Les demandes étaient fondées sur le contrat de transport maritime constaté par le connaissement qui comportait une clause Paramount et une clause incorporant les stipulations de la charte-partie. Toute contradiction entre la convention de Bruxelles de 1924 à laquelle renvoyait la clause Paramount et la charte-partie se résolvant par l’application des premières ainsi qu’en dispose l’article 5 § 2 de la convention. Si l’affréteur et le destinataire appartenaient bien au même groupe, il n’était pas allégué d’absence d’autonomie juridique de ces deux sociétés et la réalité de la vente de la cargaison entre elles n’était pas contestée.
Subsidiairement, la charte-partie comportait une stipulation selon laquelle les connaissements remplaçaient et supplantaient les clauses antérieures à la stipulation et incorporaient les clauses postérieures comprenant la clause Paramount. Le litige portant ainsi uniquement sur la responsabilité de l’armateur pris en sa qualité de transporteur contractuel, le régime impératif de la convention de Bruxelles devait s’appliquer.
Le transporteur ne pouvait se prévaloir d’aucune clause exonératoire de responsabilité car il n’apportait pas la preuve que la contamination provenait d’une faute du chargeur ou d’un vice propre de la marchandise.
La défenderesse, à titre liminaire, demandait au Tribunal arbitral d’écarter la demande du destinataire au motif qu’elle n’était pas précisée.
Elle soutenait que le droit anglais était applicable et que la demande n’était pas recevable car le destinataire, connaissant l’identité de l’affréteur au voyage, aurait dû agir contre ce dernier en sa qualité de véritable transporteur maritime contractuel de la marchandise. Le recours contre l’armateur ne visait en réalité qu’à recouvrer des sommes qui incombaient à l’affréteur mais, qu’en raison d’une clause d’abandon de recours de la police d’assurance, ne pouvaient lui être réclamées. Subsidiairement, l’examen de la chronologie des opérations et des analyses effectuées ne démontrait pas de manière incontestable que la marchandise était réellement contaminée.
Très subsidiairement, le connaissement, qui était postérieur à la charte-partie, prévoyait que les termes de celle-ci devaient être incorporés au contrat de transport; le destinataire ne pouvait donc être considéré comme un tiers à un connaissement qui n’avait circulé qu’à l’intérieur du groupe dont les filiales ne pouvaient ignorer les conditions de la charte-partie modèle de ce groupe. Or le fréteur avait parfaitement rempli ses obligations au titre de la charte.
Enfin, si la présence de la salmonelle devait être établie, l’ensemble des pièces versées au dossier démontrait l’existence d’un vice propre de la marchandise.
Le Tribunal arbitral a d’abord accueilli la demande du réceptionnaire car il ressortait du dossier qu’il n’avait été que partiellement indemnisé par ses assureurs.
Sur la loi applicable, il a considéré que, si les parties au travers de la lettre de garantie avaient dérogé à la clause d’arbitrage incorporée au connaissement prévoyant la loi anglaise et l’arbitrage à Londres en ce qui concerne le lieu et le forum, elles n’en avaient pas pour autant modifié la loi applicable. En l’absence d’une volonté clairement exprimée par les parties, les arbitres devaient s’abstenir d’imposer une loi dont celles-ci n’avaient pas dès l’origine envisagé l’application. Le Tribunal a donc appliqué la loi française à la procédure et la loi anglaise au fond.
Sur l’identité du transporteur contractuel, les arbitres conformément aux usages du commerce, et aussi bien au droit anglais qu’au droit français, ont donné raison aux demanderesses en reconnaissant cette qualité au fréteur au voyage.
Sur le régime juridique applicable à la cause, le Tribunal arbitral a constaté que le connaissement n’avait pas circulé en dehors du groupe auquel appartenaient l’affréteur au voyage, le chargeur et le destinataire et donc que les conditions de l’affrètement incorporées au connaissement ne pouvaient pas avoir été ignorées par ce dernier. Cependant les dispositions de la charte-partie relatives à la signature du connaissement mises en avant par les demanderesses pouvaient être comprises comme donnant une primauté aux règles de la convention de Bruxelles sur les dispositions de la charte-partie. Le Tribunal s’est donc livré a une analyse du texte en remarquant que dans sa forme imprimée la charte-partie ne comportait que des clauses relatives au chargement et que les clauses concernant le déchargement étaient toutes annexées à la charte. Il a relevé une ambiguïté dans la rédaction où selon l’acception que l’on donnait à un certain mot, la stipulation donnant primauté à la convention de Bruxelles pouvait ou non être applicable en raison des clauses annexées. Il a décidé entre deux acceptions possibles de retenir celle qui bénéficiait au fréteur suivant le principe, conforme à la doctrine anglaise, qu’une convention ambiguë s’interprète contre celui qui a stipulé.
Pour conclure sur ce point, le Tribunal a décidé que, puisque le connaissement n’avait pas circulé, la responsabilité du fréteur et transporteur contractuel envers le réceptionnaire relevait bien de la Convention de Bruxelles mais sous réserve des dispositions de la charte-partie et que vis-à-vis des sociétés du groupe de l’affréteur il était tenu d’une obligation de moyens et non d’une obligation de résultats.
Sur la matérialité des dommages, le Tribunal a retenu qu’en dépit d’un certain désordre ayant présidé aux prélèvements d’échantillons et aux opérations de déchargement, il n’apparaissait pas douteux que la cargaison avait été contaminée par la salmonelle et que le préjudice subi avait été bien établi et quantifié.
Les demanderesses, se fondant sur la présomption de responsabilité découlant de la convention de Bruxelles, n’avaient pas tenté d’apporter la preuve de la responsabilité du fréteur dans la survenance du dommage. Le Tribunal a cependant recherché si celle-ci pouvait être mise en évidence. À l’examen des éléments réunis dans le dossier, sans exclure totalement que la contamination ait pu se produire à bord, il a considéré que la préexistence de la salmonelle aux opérations de chargement était la plus probable. Il n’a donc pas pu attribuer au fréteur la responsabilité du dommage à la cargaison et a donc débouté les demanderesses qui ont été condamnées à payer au fréteur une somme au titre de l’article 700 du NCPC et l’intégralité des frais et honoraires d’arbitrage au premier et au second degré.