Présenté comme le premier « Davos de la Mer », Biomarine a affiché un programme de 31 débats-conférences. Tout y est passé: la stratégie intégrée à la Méditerranée au dégel de la banquise, de la géopolitique de la mer à la protection contre les catastrophes maritimes, de la pollution des océans à l'interception des pirates, des navires de nouvelle génération aux scénarios des changements climatiques, de l'exploitation des fonds sous-marins aux richesses vivantes de la mer, des nouvelles ressources énergétiques à l'interface ville-port, de l'impact des activités humaines à la gouvernance des océans. Une vraie galère pour l'observateur attentif qui doit suivre les sessions de « l'événement maritime majeur de la présidence française de l'Union Européenne » qui l'a consacré sur les fonts baptismaux.
La crise financière en modèle
Pourtant, toutes les interventions d'experts (des scientifiques, des politiques, institutionnels, des collectivités, des industriels, des associations environnementalistes) étaient reliées par le même fil rouge de l'action et de l'urgence. Intégration, globalisation, état de crise ont été les termes qui ont tenu le hit-parade des propos. Avec chaque fois le même corollaire, la nécessaire intervention commune et concertée des pays unis pour défendre la planète et l'espace vivant des mers, les échanges maritimes et nos côtes.
La crise financière et bancaire qui a retenu à Paris le Premier ministre français, François Fillion, et Henri Guaino, conseiller spécial du Président et inspirateur de l'Union pour la Méditerranée, allait-elle noyer la volonté des organisateurs « d'apporter des solutions concrètes et innovantes en vue d'améliorer l'environnement marin, mais aussi la gouvernance maritime régionale et internationale, ou encore d'encourager les entreprises maritimes responsables »? Curieusement, la crise mondiale a servi au contraire de modèle aux débatteurs qui n'ont pas manqué de rappeler que l'interaction entre les problèmes environnementaux et économiques passait par un changement de comportement et de modèle de développement à l'échelle internationale. « Les solutions peuvent être très rapides. La crise financière nous a montré qu'on peut trouver des solutions communes rapidement », a expliqué Karin Roth, ministre allemande des transports. Tandis que Frédéric Hébert directeur du REMPEC, a rappelé que « les catastrophes sont un facteur d'accélération pour les solutions ».
La machine infernale réglée sur la fin du siècle
Sur le plan climatique, la machine infernale semble remontée pour exploser entre 2050 et 2100. « Le Pentagone est parvenu à la conviction que les espaces côtiers seront très différents à l'horizon 2050. Leur scénario prévoit des flux migratoires importants qui créeront des tensions au sein des populations et entre états », a averti Alexis Bautzmann du Groupe Aréion. Sur le plan géopolitique, le début de la fin de la suprématie US sur les océans du globe et l'émergence de flottes puissantes en Inde et en Chine, redistribue les cartes. La course à l'exploitation des ressources naturelles (pétroles, minerais) risque de bouleverser la neutralité des hauts fonds et des pôles et d'épuiser les mers. Pour la marine marchande, la sûreté et la sécurité, sinon l'énergie-écologie, nécessitent de nouvelles normes pour les navires et leurs équipages. La pollution des mers, notamment aux abords des grandes concentrations littorales, impose des plans de sauvetage ciblés. Tous les voyants de la planète bleue virent au rouge sans que les grandes puissances en fassent encore leur priorité (Voir encadré). « Il y a toujours des raisons pour que la défense des océans arrive en no 2, une fois derrière le libre-échange, une autre fois après la guerre, une autre après la crise financière », a constaté l'Américain Tony Hatmet, directeur de l'Institut d'océanographie Scripps. Au scientifique a fait écho un autre Américain, Billana Cicin-Sain, présidente de l'association internationale pour la gouvernance des mers, « il faut placer la question des océans au cœur de l'agenda du climat où ils ne figurent pas. Le prochain G8 ne l'a pas inscrit à son ordre du jour ». « Il y a urgence à aller dans l'action rapide ».
Le Forum international Biomarine se sera achevé sur une fausse note. Ces états-généraux de la mer se sont en effet conclus sur une apologie de la politique de la Commission européenne. La participation de centaines de scientifiques et d'environnementalistes s'est réduite en conclusion à une plate messe institutionnelle où a dominé l'autocélébration. Ce rassemblement avait l'ambition d'être le Davos de la mer. Si la prochaine édition qui se déroulera l'année prochaine à Vancouver ne fait pas la différence, Biomarine court le risque de n'être qu'un simple rendez-vous institutionnel.
Les autoroutes de la mer au garage
Les plateaux de discussions de Biomarine ont été de qualité. Très peu se sont révélés décevants. À l'image de l'atelier sur les autoroutes de la mer qui n'a compté aucun représentant de la Commission européenne à la tribune! Résultat, seulement une quarantaine de personnes ont participé à un débat convenu et sans conviction. Entre les grandes déclarations de principe et la réalité concrète, il existe souvent un abysse.
La migraine des poissons
Les études sur la pollution pharmaceutique des eaux n'ont commencé à être effectuées que depuis deux à trois ans. À leur grande surprise, les scientifiques de l'Ifremer ont découvert la valeur d'un cachet de paracétamol par m3 au large des émissaires de station d'épuration. De quoi soigner les migraines des poissons s'ils ont mal à la tête! Les mêmes scientifiques ont également relevé un taux élevé d'œstrogène (issu des pilules anticontraceptives ou des traitements de la ménopause). Ce qui ne doit pas aider à la fertilité des espèces déjà menacées par la pêche industrielle.
L'Union européenne et sa vision septentrionale
Comme pour la crise financière, l'Union européenne est apparue en leader pour les solutions. Venue au colloque pour enrichir sa vision maritime, elle s'est souvent vu décerner un brevet de bonne conduite pour ses dernières mesures (lutte contre les émissions CO2, sécurité des navires, recherche scientifique, etc.). Pour autant, dans son long discours de clôture de Biomarine, Joe Borg, commissaire européen à la pêche et aux affaires maritimes n'a pas consacré un seul mot à la Méditerranée. Il ne l'a d'ailleurs pas nommé, tout comme l'Union pour la Méditerranée si chère au président Nicolas Sarkozy. Ce trou noir en dit beaucoup sur les limites de « la politique maritime intégrée » de l'UE « très nord-nord européenne » alors qu'elle pourrait brandir le pavillon planétaire.