Les leçons du naufrage de l’Erika

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Que se passerait-il si demain un naufrage de l’ampleur de celui de l’Erika ou du Prestige devait survenir au large des côtes européennes? Quelles seraient les nouvelles normes en la matière tant au niveau mondial, qu’européen ou français? En neuf ans et après deux sinistres majeurs en Atlantique (l’Erika et le Prestige), la sécurité maritime a évolué avec une limite, le risque zéro n’existe pas en la matière.

À la suite du naufrage de l’Erika, les grandes instances internationales du maritime ont réagi. L’OMI, l’Union européenne et les structures internationales regroupant les principaux acteurs économiques du transport de pétrole ont adopté de nouvelles mesures pour améliorer la sécurité. Parmi le catalogue de ces nouvelles décisions, se retrouvent le calendrier de retrait des pétroliers à simple coque, l’audit des pavillons, les normes sur les ballasts, celles sur le revêtement des citernes et bien d’autres encore. Au niveau européen, deux paquets de mesures, appelés Erika 1 et Erika 2, sont venus alimenter l’arsenal juridique. Un troisième paquet est en préparation. « Un troisième paquet Erika qu’il vaudrait mieux appeler le paquet Prestige 1 », a suggéré Gilles Savary, vice-président de la Commission Transports et Tourisme du Parlement européen. Selon le député, le naufrage du Prestige, en novembre 2002, a eu des effets importants sur les mesures proposées dans le troisième paquet. « Lors de ce naufrage, le Parlement européen s’est rendu sur les lieux. Nous avons pu mesurer l’étendue des dégâts. L’ossature du paquet Erika 3 est né de notre constat. » Les conséquences du naufrage du Prestige à peine pansées, l’Europe a dû faire face à un nouvel élément, son élargissement à d’autres États. « Un élargissement intégrant en Europe des pays parfois peu vertueux », a continué le député européen. L’élu européen milite pour une politique « vertueuse de la sécurité maritime. Elle ne nuit pas à la compétitivité. »

David Seite, de la DG Tren, a posé un principe. « Un nouvel Erika est-il possible? Pour réduire les risques, il faut que les opérateurs soient de qualité », a répondu le responsable des questions de sécurité maritime à la DG Tren. S’agissant du troisième paquet Erika, qu’il a qualifié de proactif, les sept textes de ce nouvel arsenal sont toujours en négociation. « Nous devons viser les maillons faibles dans la chaîne logistique », a continué David Seite en rappelant que six États membres de l’Union européenne sont actuellement inscrits sur la liste grise publiée par le Memorandum de Paris et un État sur la liste noire. La présidence française travaille actuellement à trouver un accord politique sur ce texte. Outre les avancées mondiales et européennes, la France a évolué au cours de ces neuf dernières années. L’organisation des secours a évolué. « Le maritime s’est avéré être innovant en la matière en reprenant l’organisation mise en place par la sécurité civile », a indiqué Michel Babkine, chef de l’organisme d’études et de coordination pour la recherche et le sauvetage en mer au Secrétariat général de la Mer. Depuis le naufrage de l’Erika, un plan « Orsec maritime » a été mis sur pied pour faire face à la pollution en mer et à terre. Ce plan opérationnel se décompose en quatre phases: l’anticipation, la détection de la menace, l’évaluation, l’intervention et l’accueil du navire. La principale innovation tient surtout à ce dernier point. « Nous devons stabiliser rapidement la situation en faisant appel à des choix tirés de critères nautiques et techniques. Il n’existe pas deux cas similaires. Ensuite, le choix du site d’accueil est limité », a indiqué Michel Babkine. L’organisation des secours prévoit un inventaire exclusif et exhaustif des lieux de refuge. « Le choix du lieu de refuge dépend des paramètres techniques, nautiques et d’éléments comme la protection à mettre en place. »

Après avoir examiné les améliorations législatives et le projet de troisième paquet Erika, dont l’adoption n’est pas encore certaine, les intervenants ont évoqué les questions d’indemnisation. Sur la responsabilité civile, Maître Jean-Serge Rohart, avocat au cabinet Villeneau, Rohart et Simon, a imaginé les conditions d’indemnisation si un sinistre identique survenait. « Le sort des victimes serait triste, encore aujourd’hui », a souligné l’avocat. Certes, la responsabilité objective de l’armateur demeure mais avec une limite à 13 M€, sauf si le propriétaire du navire commet une faute intentionnelle. Quant au Fipol, si la ressource a augmenté pour passer de 184 M€ à 813 M€ aujourd’hui, il n’est pas certain que ces montants couvrent l’ensemble des dommages. Gilles Savary a été plus loin sur la responsabilité civile du propriétaire de navire.Il a commencé par s’en prendre au Fipol. Tout en reconnaissant sa rapidité dans l’indemnisation des victimes, il a regretté son application limitée aux seuls cas de sinistre par hydrocarbures. Le député européen souhaiterait une application du Fipol sur d’autres risques comme les sinistres chimiques. « Si demain un incident chimique survenait, nous n’en serions même pas, au niveau règlementaire, aux conditions légales qui existaient pour le pétrole après la catastrophe du Torrey-Canyon en 1969. » Cette critique du Fipol a été mal perçue par l’audience. « La combinaison entre le système du Fipol et la convention CLC sur la responsabilité du propriétaire du navire permet d’abord de se retourner contre l’armateur et d’aller chercher le surplus d’indemnisation auprès du Fipol. Il est important que nous le conservions », a rappelé le responsable juridique de l’Ecsa (European Community of Shipowner Association).

Dans le cadre de la proposition de directives sur la responsabilité du propriétaire de navire, le parlementaire européen espère « déplafonner la responsabilité civile des propriétaires de navires. Nous sommes confrontés aux réponses des P&I Clubs qui refusent cette option. Le risque ne serait plus assurable, selon ces mutuelles. » La proposition de directive reprend deux objectifs. D’une part, elle demande aux États membres de ratifier les conventions internationales (LLMC, HNS, Bunker oil, etc.). D’autre part, elle impose des garanties financières obligatoires pour tous les navires entrant dans les eaux européennes.

Ces questions de responsabilité civile se trouvent étendues avec l’arrêt Mesquer de la CJCE du 24 juin. La commune de Mesquer a intenté une action contre l’armateur et le producteur du déchet pour recevoir une indemnité supplémentaire. Dans la procédure judiciaire, la Cour de Cassation a demandé à la CJCE son avis sur la qualification du déchet. Maître Emmanuel Fontaine, avocat au cabinet Gide, Loyrette et Nouel, a résumé les attendus de la cour de justice européenne. Le fuel lourd n’est pas un déchet. De plus, elle laisse de côté le producteur, à condition qu’il n’ait pas « contribué par son action ou son activité au risque de survenance du déversement des déchets », indique la décision de justice. « Les enjeux étaient importants et lourds de conséquence », note l’avocat. Parallélement à l’aspect civil, le colloque a abordé les questions relatives à la responsabilité pénale. Cécile Bellord, responsable juridique d’Armateurs de France, a rappelé l’évolution du cadre légal français des questions pénales. Les sanctions prévues par la loi de 1983, largement augmentées par la Loi Perben de 2004 et revues par la loi du 1er août ont connu des hauts et des bas. Lors de la publication du texte de Dominique Perben, alors Garde des Sceaux, les armateurs français s’étaient insurgés contre des sanctions jugées exhorbitantes. La loi de transposition de la directive européenne sur les pollutions par hydrocarbures gomme les incohérences du précédent texte. « Aucune référence à la valeur du navire ou de la cargaison n’est faite et ce texte est beaucoup plus claire et plus facile à mettre en œuvre », a indiqué Cécile Bellord. Elle conclut sur une note optimiste: « on peut parler d’une avancée sur la sécurité maritime. »

David Seite, responsable de la sécurité maritime à la DG Tren, a détaillé les dispositions de cette directive. L’objectif principal de ce texte est de renforcer le droit des États côtiers au titre de la covention Marpol.

Au final, si les normes ont évolué et si les mesures prises sur le terrain évoluent pour une plus grande sécurité, le risque d’un accident n’est pas définitivement écarté. « La pollution a diminué d’autant plus que le volume de pétrole transporté a augmenté. Il faut éviter les accidents et pour se faire, les États membres doivent ratifier les conventions internationales, les appliquer et contrôler leurs applications », a plaidé Alfons Guisnier, secrétaire général de l’Ecsa.

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