La sûreté n’est pas née après le 11 septembre 2001, mais après ces attentats, elle a pris une nouvelle dimension. « Le terreau idéologique des intentions terroristes semble être de vouloir frapper les consciences par le nombre de victimes tout en enrayant le système planétaire d’échanges afin de remettre en cause, in fine, le modèle capitalistique dominant d’obédience libérale », souligne l’étude commanditée par l’OMD pour analyser l’impact de la loi dite « House Resolution one ». Ce texte de loi, promulgué le 3 août 2007, prévoit que la totalité des conteneurs destinés à entrer sur le sol américain sera passée au scanner à partir du 1er juillet 2012.
Réalisée sous la direction de Frédéric Carluer avec la collaboration de Yann Alix et Olivier Joly, l’étude de l’OMD observe les trafics existants et tente d’imaginer les différents scenarii qui pourraient se produire après l’application de la loi.
L’analyse macroéconomique menée par l’étude de l’Université du Havre estime aux environs de 500 Md$, la valeur des marchandises qui devrait être passée au scanner à l’horizon 2012. Rapporté en conteneurs, ce volume est estimé aux alentours de 30 MEVP dont la majorité provient des ports asiatiques et ouest européens. Alors, après la mise en place de la CSI (Container Security Initiative en 2002), quels sont les scenarii possibles, leurs conséquences sur la chaîne logistique et leur financement.
30 MEVP concernés
Dans leur étude, les auteurs ont bâti quatre scenarii, dont certains comportent des alternatives. À chaque scénario, l’étude analyse l’impact sur la chaîne logistique, sur les pays développés, les pays en développement, sur la politique américaine et sur les organisations internationales.
La première hypothèse se place dans la situation où aucun port n’applique la loi américaine. Ce serait un statu quo. « Il y aura renforcement des tendances existantes, à savoir poursuite de la dynamique chinoise. La grande hétérogénéité de pratiques favorisera les ports qui ont su investir et ne pénalisera que par défaut les pays en développement », note en substance l’étude. Le cas des pays dits intermédiaires variera selon le degré de chacun à avoir investi dans la sûreté dans le cadre des normes CSI. Pour les autorités politiques américaines les options sont multiples. Soit, elles décident de retarder l’application de quelques mois, soit elles acceptent un taux intermédiaire pendant une période transitoire. Autre choix, l’abandon pur et simple de cette loi, la conclusion d’accords bilatéraux comme il a été fait lors de l’entrée en vigueur des normes de la CSI ou encore la constitution d’enclave portuaire de proximité. Les organisations internationales opteront pour une approche pragmatique de ce qui est réalisable dans un court ou moyen terme. « La probabilité pour que ce scénario voit le jour est la plus forte », indique l’étude.
Le deuxième scénario fait la place à une « concentration triadique ». Quelques Méga ports feraient le choix de se doter de moyens matériels et humains pour passer au scanner 100 % des conteneurs. Ce schéma prônant une approche plurilatérale se ferait au détriment des ports des pays en voie de développement. Les ports ayant mis en lace les normes de la CSI auraient des « exonérations ciblées ». Dans leur analyse, les auteurs suggèrent que les risques seraient déterminés, en lien avec les services de renseignement américains, pour déterminer le niveau du dispositif et donc le pourcentage de conteneurs à scanner. Les ports devraient monter en puissance en fonction des risques pour arriver, à 100 %. Les auteurs jugent ce schéma d’une « probabilité assez forte. »
Le troisième cas de figure prévoit la création d’une quinzaine de ports « hubs ». Une alternative à ce scénario consisterait à prévoir des terminaux dédiés au trafic avec les États-Unis. Ce cas théorique donnerait un avantage considérable aux pays développés et au détriment des pays en développement, « même si quelques rares têtes de réseau pourraient voir le jour en Amérique du sud, en Asie du sud est et éventuellement en Afrique », note l’étude. Le cadre des normes internationales ne pourrait alors qu’être renforcé car il serait considéré comme une étape intermédiaire impérative vers une labellisation.
Créer 15 hubs
Enfin, dernier scénario, « le plus utopique », selon les auteurs de l’étude, verrait l’application dans des terminaux dédiés ou dans les grands ports du Monde de cette loi. Ce cas d’école signifierait une domination de certains sur une chaîne logistique. « La loi américaine ferait alors tâche d’huile, au moins à l’échelle de l’OCDE et elle deviendrait la norme internationale. » Le manque de formation du personnel, les contraintes financières et la technologie actuelle amènent les auteurs de l’étude à estimer au niveau « infinitésimale la probabilité d’occurrence de ce scénario. »
Parallèlement à ces scenarii, l’étude ajoute trois autres facteurs. Le premier est de déterminer la performance des scanners. Le port de Ras Al Khaiman, installe actuellement un scanner pouvant analyser 200 conteneurs par heure. Une performance qui permet de franchir le barrage technologique. Le deuxième facteur prend en compte l’élément humain. Il ne doit pas s’agir d’un archivage des images mais bien d’une analyse de chaque photo réalisée. Il faudra donc investir dans la formation et du personnel aux États-Unis pour que chaque image reçue soit examinée. Enfin, le facteur financier intervient. Pour éviter les engorgements, les ports et surtout les terminaux devront disposer de plusieurs machines.
En combinant ces facteurs aux scenarii analysés plus haut, les auteurs estiment que les hypothèses 3 et 4 semblent plus qu’improbables. Le cas 2 pourrait être envisagé si la technologie progresse mais à condition qu’un investissement humain soit réalisé. Alors, avec un niveau technologique identique et de faibles investissements, le pari des ressources humaines ne suffira pas. « Sauf révolution technologique majeure très économe en ressources humaines, la réponse se situerait entre les scenarii 1 et 2, autrement dit l’apparition de quelques Méga Ports labellisés par lesquels transitera l’ensemble des conteneurs à destination des États-Unis et qui seront à même de scanner 50 % d’entre eux. »
Pour l’organisation française des armateurs, Armateurs de France, cette loi représente de nombreux investissements dans les ports. « De nombreuses voix, y compris au sein de l’administration et des entreprises américaines, se sont élevées pour indiquer que le passage au scanner de 100 % des conteneurs n’améliorerait pas notablement la sûreté des frontières », continue l’organisation française. Un responsable d’un armement opérant une grande partie de son trafic sur les États-Unis note que ce projet est « irréalisable au terme prévu. Nous y arriverons mais à un terme plus éloigné et avec des efforts de chaque partie de la chaîne logistique. »
Quel trafic concerné par la loi
Le trafic import avec les États-Unis est estimé, en 2006, à environ 18 MEVP. L’Asie entre, pour les trois quarts, avec 75 % des importations américaines. En 2012, il aura progressé pour atteindre le chiffre record de 30 MEVP. La Chine occupe une place prépondérante avec 45,2 % des conteneurs. Le second est loin derrière avec 5 %. Il s’agit du Japon. Près des deux tiers des importations américaines (60 %), viennent de pays asiatiques. Les cinq premiers partenaires commerciaux du pays de l’Oncle Sam étant de ce continent, avec une mention particulière pour le Vietnam qui a multiplié par 20 son trafic mais avec un point de départ très bas. L’Europe perd chaque année des parts de marché et les principaux partenaires américains, la France, la Grande Bretagne et l’Italie voient leur position rétrograder.