Directeur de l’EOCM, le commissaire en chef Jean-Loup Velut a une sensibilité certaine en matière de l’action de l’État en mer et ses possibles conséquences juridiques: il était le chef de la division de l’AEM en Atlantique en décembre 1999 lorsque le pétrolier Erika se brisa. À ce titre, il fut accusé ainsi que trois autres fonctionnaires d’abstention volontaire de combattre un sinistre. Le 16 janvier, le TGI de Paris a rejeté les accusations pesant sur ces quatre militaires, dont trois officiers de la Marine nationale.
Autre perspective: dans le cadre des réflexions sur la réorganisation des armées, il est question de privilégier une « logique métier au détriment d’une logique milieu ». En clair, les commissaires de la Marine pourraient disparaître et être remplacés par un service juridique interarmées dont l’expérience professionnelle de la vie en mer serait très facultative. Et bien sûr, la Marine n’est pas favorable à cette évolution.
Des questions qui fâchent ou inquiètent
Dans son propos introductif Xavier de la Gorce, ancien élève de l’EOCM et actuel secrétaire général de la mer a posé quelques questions qui peuvent sensibiliser tout contribuable d’un État côtier: comment remorque-t-on un porte-conteneurs de 13 000 EVP et armé par 13 hommes? Comment sauve-t-on un paquebot comptant 5 500 passagers et membres d’équipage? Les États côtiers doivent-ils tout supporter seuls? Que fait-on réellement en matière de prévention de l’accident?
En conclusion, le SG mer a noté que de nombreux éléments convergeaient vers un renforcement du rôle du préfet maritime: la dimension européenne des pollutions marines (curieusement les seules qui « comptent » sont celles résultant d’un déversement massif d’hydrocarbures lourds), le nombre croissant de parties prenantes ainsi que celui des victimes potentielles, l’émergence de nouvelles lois issues du Grenelle de l’environnement et la restructuration de l’État.
Mon action et mon droit
« Pour chaque urgence, je mobilise une cellule juridique. Cela est lourd et difficile, mais inévitable pour éviter les mises en cause ultérieures », a expliqué le vice-amiral d’escadre (VAE) Rolin, préfet maritime (prémar) d’Atlantique. Il a souligné que « le tempo de l’urgence n’était pas celui du droit »: l’urgence s’accommode mal de la question du type « ai-je bien le droit? ».
Le droit reste cependant une notion relative. Selon que le skipper d’un voilier suscitant des inquiétudes est une personne connue ou non, le préfet reçoit un nombre plus ou moins grand de coups de téléphone l’invitant, en toute indépendance, à poursuivre les recherches financées par les contribuables, a constaté le prémar d’Atlantique.
L’expérience de l’Erika a été bien retenue par le personnel chargé de l’AEM: même lorsqu’un navire annule son May Day, le prémar envoie, pour voir, une équipe d’évaluation. Cela n’a certes pas empêché l’Advance de couler (JMM du 4-4-2008, p. 5), mais au moins le prémar n’a-t-il pas été surpris. « Il faut toujours sortir le marteau-pillon au cas où. On démobilise après, s’il y a lieu », a-t-il conclu.
L’Espagne: toujours pas grand-chose
En Méditerranée, depuis que la France a largement étendu sa zone de protection écologique, le nombre de déballastages d’hydrocarbures est bien inférieur à celui constaté le long du littoral italien ou espagnol, a témoigné le prémar de la région, Jean Tandonnet.
Si la coopération commence à développer avec l’Afrique du Nord, Jean Tandonnet s’est dit préoccupé par le « trou noir » que constitue la Libye avec laquelle il n’existe aucun accord, ni même de contact en cas d’accident maritime grave dans la zone. La Libye n’est pas la seule à poser problème. Malgré les dysfonctionnements constatés dans l’affaire du Prestige, l’Espagne est toujours « dans l’incapacité à organiser un dialogue coopératif entre les régions autonomes et l’État central », a répondu le prémar d’Atlantique ajoutant qu’il a fallu bien des efforts pour parvenir à la signature entre la France et l’Espagne d’un simple accord technique d’échanges d’informations en cas de problèmes avec un navire.
À l’occasion de la présidence française de l’UE, ce dossier pourrait être repris différemment, laissait entendre une source proche du dossier. Dans le cadre du projet de directive Erika-3, la France pourrait ainsi se désolidariser de la position de l’Espagne si cette dernière n’arrive toujours pas à déterminer clairement qui décide de quoi en matière d’AEM dans les eaux espagnoles.
Il n’y a pas que le droit dans la vie des États
Si de nombreux intervenants se sont attachés à rappeler toutes les références du droit positif français dont disposent les préfets maritimes pour agir ou forcer à agir, il n’en a pas été de même pour les accords franco-espagnols de Malaga. Interdisant le transit dans les ZEE de pétroliers simple coque de plus de 15 ans et transportant des hydrocarbures lourds, ces accords étaient « relativement faibles, juridiquement » a reconnu l’un des rédacteurs de l’instruction d’application du SG mer. « Concertés et unilatéraux », ces accords ont été utilisés par le Maroc, et ont créé une sorte de « coutume » qui n’a jamais été contestée devant une juridiction. Comme quoi.
Vetting: un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout
« Après le jugement du 16 janvier concernant l’affaire de l’Erika, nous avons reçu de nombreuses demandes d’éclaircissement de l’étranger, notamment des P & I Club », a rappelé Me Brajeux car ils ne comprenaient pas comment l’affréteur a pu être condamné. Or Total a été condamné pour imprudence du fait qu’il avait exercé une activité de vetting sur le pétrolier et non pas parce qu’il l’avait affrété (JMM du 8-2-2008 p. 14 et 15). Dès lors, que devrait faire en toute logique une compagnie pétrolière susceptible d’affréter, s’est interrogé Me Brajeux. Quatre choix semblent possibles: arrêter purement et simplement tout vetting; externaliser cette activité volontaire, dans un lointain paradis juridique; amener l’armateur à réaliser un auto-vetting; confier le vetting à une société de classification.
Cette dernière suggestion paraît des plus exotiques: elle amènerait donc une société de classification à exercer jusqu’à trois mandats sur le même navire: conseiller à responsabilité limitée de l’armateur pour le respect des normes internationales; préposé de l’État d’immatriculation pour la vérification du bon respect des normes internationales applicables; et conseiller de l’affréteur chargé de vérifier le bon état du navire; la compétence de l’équipage et de l’exploitant.
Responsable donc potentiellement coupable
À en juger par les applaudissements de la salle, l’intervention de Claudia Ghica-Lemarchand sur la pénalisation du métier d’urgentiste de la mer a été remarquée. Depuis la loi de 1992 sur la mise en danger de la vie d’autrui, toute faute même non intentionnelle peut conduire un professionnel, quel qu’il soit, médecin régulateur de SAMU, officier de prémar ou de marmar, a être jugé pénalement coupable. Il n’y a donc pas de pénalisation spécifique des personnels des prémar. Nous reviendrons plus en détail sur cette intervention.