Un manque de référence

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Le 20 mars dernier, l’Unité de recherche « systèmes productifs, logistique et organisation du transport » (SPOLT-Inrets), l’équipe de recherche associée Fret (Centre d’études techniques de l’Équipement de l’Ouest, Medad) et l’UMR « mutation des territoires en Europe » (Université de Montpellier III) organisaient une journée consacrée au processus de décentralisation des ports en France et aux modifications des modes de gouvernance.

Même si comparaison n’est pas raison, Brian Slack de l’université de Concordia (Montréal) a présenté la « dévolution » des 549 ports dont disposait le gouvernement canadien en 1995. Prévue pour durer cinq ans, cette dévolution s’est finalement étendue sur dix ans et a été bien plus complexe que prévue malgré un fonds de dessaisissement portuaire de CAN $ 210 millions. Le principe du transfert était, pourtant, simple: désigner les quelques ports indispensables au pays, donc devant rester sous contrôle fédéral; les ports que les ministères voulaient conserver à leur charge, principalement de pêche; les ports susceptibles d’être confiés aux quatre provinces, principalement pour accueillir des navires transbordeurs; les ports qui pouvaient intéresser les intérêts locaux (pour éviter des « pures » opérations immobilières, les municipalités ne pouvaient pas se porter seules candidates à la reprise d’un port). Au final, 211 ports (« simples » quais compris) restèrent sans repreneur et furent finalement détruits pour des problèmes de sécurité.

Pour conclure, Brian Slack soulignait l’absence d’étude d’évaluation sur les résultats économiques des « petits » ports; la principale motivation du gouvernement canadien étant à l’époque de réduire ses dépenses. Il apparaît cependant que les ports d’intérêt régional ou local connaissent des situations économiques très diverses et les inquiétudes ou interrogations sur leur futur concernent maintenant les acteurs locaux et non plus l’échelon fédéral.

La question de la plus grande efficacité ou non du système portuaire canadien reste donc ouverte. Cela dit le risque d’une remise en cause de la décision gouvernementale de 1995 est faible, car, selon les chercheurs présents, la « littérature académique » concernant les ports secondaires est très pauvre.

Fret propre ou, mieux, pas de fret du tout

La question pourrait également se poser en France à en juger par certaines présentations ou témoignages des autorités locales de tutelle. Ainsi le représentant de l’autorité de tutelle des sites portuaires de la rade de Toulon a-t-il expliqué que dans la vaste réflexion en cours sur les avenirs possibles, la recherche de « fret propre » (voitures neuves ou fret roulant par exemple) est privilégiée. Dans un autre port, sous le sceau de l’anonymat, un responsable en est à regretter la disparition de dockers d’antan, seuls capables de s’opposer aux tentations des riverains électeurs de faire disparaître toute activité fret et ferries, jugée polluante ou bruyante.

Présentant « les profils des villes et des ports décentralisés », Valérie Lavaud-Letilleul, maître de conférence (Montpellier), évoque les rapports entre la ville et « son » port. Elle note la déconnexion entre les trafics, la valeur ajoutée et les emplois ainsi qu’un manque de considération de la valeur productive du port. En outre, le front de mer est très convoité dans le centre-ville. Autre rapport, la qualité de vie et l’environnement. Les nuisances sonores, visuelles, etc. ainsi que la pollution d’eau, de l’air ou des sols, sont de plus en plus mal supportées par les populations riveraines. Enfin, le port (ou sa mémoire collective) est au cœur de l’identité de la ville port. Et quand le second passe sous la coupe de la première, il n’est pas certain que les activités de fret s’en trouvent renforcées.

Quel est le niveau pertinent d’arbitrage des conflits d’usage?

Deux « théories » semblent s’opposer sur le devenir des ports décentralisés, bon gré mal gré. Celle qui consiste à éviter « d’injurier l’avenir » et à faire en sorte qu’il soit toujours possible de revenir à une activité de fret pour desservir, par exemple, par mer un aéroport en carburant aviation. Autre perspective, en arrêtant définitivement une activité fret portuaire, combien de camions supplémentaires se retrouvent-ils dans un réseau routier déjà saturé?

L’autre « théorie » est celle du cycle de vie, mis en évidence par Jacques Charlier, professeur de géographie de l’Université catholique de Louvain: un port se crée, il croit, arrive à maturité, puis devient obsolète. Se pose alors la question de son avenir: marina ou modernisation pour conserver ses activités commerciales fret et/ou passagers? Mais quel est alors le niveau le plus pertinent pour arbitrer les conflits d’usage entre par exemple les riverains plus ou moins retraités, mais toujours électeurs, et les besoins économiques à court et moyen termes de la ville, du département, de la région, voire de l’hinterland européen?

Un bon thème pour une prochaine journée spécialisée et pour présenter les conclusions du groupe de travail constitué en novembre 2007 par le Conseil supérieur de la marine marchande, pour établir le bilan de la décentralisation des ports « d’intérêt national ».

Par exemple, toute modification de l’activité fret des ports de Toulon et de Nice devrait, raisonnablement, avoir une répercussion sur la demande de transport terrestre entre la France et l’Italie; voire entre l’Italie et l’Espagne. Une nouvelle application du possible effet papillon?

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