La charge contre la politique de soutien public à l’endroit du transport maritime n’est pas nouvelle. La taxe au tonnage, qui permet selon les armateurs français de ne pas « jouer à armes trop inégales avec leurs concurrents », la forfaitisation de l’impôt sur les sociétés, les aides à la formation et au scrapping (envoi à la démolition), les exonérations de charges patronales… reviennent chroniquement sur la table, a fortiori quand il s’agit de dénoncer le fait que le secteur est largement subventionné alors qu’il prendrait des décisions d’investissement à contre-courant des indicateurs de croissance.
Ces derniers jours, deux rapports, sans lien a priori de cause à effet, épinglent coup sur coup des aides qui seraient indues ou inefficientes. Le premier, rendu public le 17 septembre, émane de l’International Transport Forum de l’OCDE, connu pour ses publications circonstanciées sur certains « travers » en faveur du shipping (exemption de groupe aux règles de la concurrence dont bénéficient les armateurs réunis en consortiums ou alliances, trop forte influence des transporteurs vis-à-vis des ports…). Le second, produit par le Conseil des prélèvements obligatoires(Cour des comptes), remet en cause l’exemption fiscale des carburants maritimes, prônant l’instauration « d’un mécanisme de taxation des émissions de carbone dans le cadre de la révision de la directive européenne du 27 octobre 2003 sur la taxation de l’énergie ». Bien que déconnectés, l’un comme l’autre partagent une conviction : les instruments (notamment fiscaux) dont bénéficie le shipping ne sont pas toujours justifiés. L’analyse de l’ITF a passé au crible l’efficacité des subventions maritimes, directes ou indirectes, soit « au moins 3 Md€ par an » et principalement fléchés vers les taxes au tonnage, les exonérations fiscales pour les carburants et de charges salariales. « Nos études ne révèlent pas beaucoup de preuves d’efficacité », plantent les auteurs de l’étude. Le pourcentage de la flotte mondiale battant pavillon d’un État membre de l’UE aurait reculé. Le nombre de gens de mer domiciliés dans l’UE aurait diminué. L’amélioration des trésoreries des compagnies maritimes aurait en revanche permis à certaines d’entre elles de renouveler ou développer leur flotte, pour des commandes ayant majoritairement profité aux chantiers navals asiatiques.
Parmi les recommandations pour revenir à des « choses plus saines », l’organisme demande une clarification des objectifs visés (« certains pourraient être atteints plus efficacement avec des instruments plus ciblés » ; « d’autres ne cadrent pas bien avec la politique de l’UE en matière de décarbonisation des transports ») de manière à effectuer une évaluation quantifiée de leur efficacité voire de les assortir à des objectifs et/ou conditionner à des impacts positifs (« la plupart sont accordées avec peu de conditions » ). « La question des subventions maritimes dans le transport maritime européen n’est pas de savoir si, mais comment », réagissent les responsables de l’ETF et l’ITF (le syndicat européen des transports et son équivalent au niveau international).
Pour Livia Spera, secrétaire générale de l’ETF, « le rapport est un signal d’alarme pour les décideurs politiques européens. L’UE doit changer son approche afin d’établir un lien plus strict entre l’octroi de subventions et l’obligation de battre pavillon UE avec des gens de mer nationaux ».La Feport a relayé le rapport sans le commenter. Quant à l’ECSA, représentant les armateurs au niveau européen, elle considère que les orientations européennes ont au contraire contribué au maintien « d’un secteur maritime européen fort dans un environnement mondial hautement concurrentiel. Ces points de vue sont étayés par des publications telles que l’étude d’Oxford Economics ».
L’association s’interroge par ailleurs sur la méthodologie, uniquement centrée sur les pratiques européennes, hors sol par rapport au terrain de jeu international du transport maritime. Elle garde pour sa part en tête l’étude de Deloitte, qui a comparé l’UE à cinq concurrents non européens. Elle estime en outre que la question de l’emploi nécessite un examen plus fin, compte tenu des différences fondamentales entre les marchés du travail des États membres. Mais elle se dit ouverte au dialogue… à condition que l’équité de « jeu » des armateurs européens ne soit pas compromise…
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Selon Clarkson, les 14 premiers chantiers ayant installé le plus de scrubbers (systèmes d’épuration des gaz de cheminées des navires) sont chinois. 15 % de la capacité mondiale de la flotte devrait être équipée d’ici fin 2020.