Gérard Mestrallet, représentant de l'Imec pour la France : « Le port de Marseille doit être la tête de pont européenne du futur corridor »

Gérard Mestrallet

Gérard Mestrallet, ex-PDG d'Engie et représentant de la France du corridor Imec intervenait dans le cadre d'un colloque sur les corridors maritimes organisé par Expertise France.

Les chefs d'État et de gouvernement de huit pays, dont la France, ont surpris en annonçant, en marge du dernier G20, le lancement d'un corridor logistique entre l'Inde, le golfe Persique, le Moyen-Orient et l'Europe, alternative offensive aux routes de la soie chinoises. Projet, calendrier, investissements, flux attendus, opportunités pour les entreprises... Détails avec l'ex-PDG d'Engie, missionné pour que la France soit bien positionnée.

L’annonce n’avait pas rencontré beaucoup de récepteurs sur le Vieux Continent lorsqu'elle a été émise et elle n'a pas eu de résonance du tout en France. Elle a en revanche été largement commentée dans les autres parties du monde concernées par le lancement-surprise de l’India-Middle East-Europe Economic Corridor, désignée sous le sigle Imec, un nouveau corridor logistique et économique entre l'Inde, Israël, le Moyen-Orient et l'Europe.

À la décharge des médias, les informations diffusées à l’occasion de l'engagement au sommet des huit chefs d’État ou de gouvernement ont été si ce n’est laconiques du moins floues, faute de détails techniques.

En marge de la dernière réunion du G20, en septembre 2023 en Inde, le président américain Joe Biden, le Premier ministre indien Narendra Modi, le prince héritier et Premier ministre d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (plus connu sous ses initiales MBS), le président des Émirats arabes unis et émir d'Abou Dhabi Mohammed ben Zayed Al Nahyane (dit MBZ), les représentants de la France, de l’Italie, de l’Allemagne et la présidente de l’Union européenne Ursula Van der Leyen ont pris le monde à témoin en signant un MoU.

Par cette lettre d'intention, ils se sont engagés à mettre en œuvre un corridor économique, reliant d'une part l'Inde au golfe Persique et de l'autre le Moyen-Orient à l'Europe.

Outre sa composante ferroviaire, maritime, et portuaire, il était notamment question de le jalonner de câbles électriques et sous-marins et d’aménager un pipeline pour l'hydrogène vert.

Pendant occidental aux routes de la soie chinoises

Sur un plan géostratégique, le projet a toutes les apparences d’une réaction occidentale à la tentaculaire réédition des routes de la soie (Belt and road initiative, BRI), grand dessein chinois porté par Xi Jinping. Voire au-delà, une volonté plus politique de fissurer le bloc anti-occidental en train de se structurer autour des Brics (Brésil,Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

« Les Brics s’étaient réunis peu de temps avant et avaient tenu à cette occasion un discours très agressif et très hostile envers l’occident, Europe et Amérique du Nord principalement. Je pense que l’on peut attribuer à l’Imec la volonté initiale de désolidariser l'Inde de ce bloc, confirme Gérard Mestrallet, de façon personnelle, au-delà de la mission qui lui a été confiée. Créer un lien entre l’Europe et l’Inde a du sens. D’abord, c’est la plus grande démocratie du monde. Et c'est là, et en Arabie saoudite d'ailleurs, que s'observent les croissances économiques les plus dynamiques au monde »,

L’ex-PDG d'Engie et de Suez a été nommé le 12 février par le président Emmanuel Macron en tant que représentant permanent de la France du projet auprès des autres pays participants (qui n’ont toujours pas, eux, désigné, d’émissaires spéciaux).

Positionner la France comme point d'entrée et de sortie en Europe

À ce titre, il aura pour mission de « positionner la France comme point d'entrée et de sortie principale en Europe de ce futur corridor », indique la feuille de route de l'Élysée, et de faire en sorte que les entreprises françaises (notamment dans les secteurs des transports et des énergies) se placent au mieux sur les appels d'offres qui en découleront.

La lettre de mission présidentielle évoque aussi l'intérêt national de premier plan de ce projet qui « peut contribuer à la stratégie de diversification de [nos] sources d'approvisionnement et au renforcement de [notre] sécurité économique, énergétique et sanitaire ». Dont acte.

Corridors maritimes stratégiques

Cette grande figure du patronat français intervenait (pour la première fois publiquement) dans le cadre d'un colloque organisé le 15 mai par Expertise France (groupe Agence française de développement), bras armé de la politique d'aide au développement et d’influence de la France, en partenariat avec le port de Marseille Fos sur la thématique des corridors maritimes stratégiques. Et le rôle des ports en tant que nœuds centraux, entre les réseaux terrestres et les routes maritimes.

La manifestation s’est tenue dans l’espace événementiel de la grotte Cosquer à Marseille, choix non neutre. Le port phocéen, « infrastructure maritime stratégique en Méditerranée », est appelé à être la porte d'entrée et de sortie de l'Imec en Europe et pourrait avoir un rôle à jouer, notamment dans la réception de l'hydrogène, précise Gérard Mestrallet.

Les ports de Barcelone et de Marseille sont embarqués dans un ambitieux projet de pipeline (2,5 Md€) destiné à transporter de l’hydrogène vert d’une capacité de 2 Mt par an, soit 10 % de la consommation européenne prévue à la date de sa livraison en 2030.

Appelé H2Med ou BarMar (contraction de Barcelone et Marseille), ce projet remplace le MidCat, lancé en 2003 pour relier les réseaux gaziers français et espagnol via les Pyrénées, mais finalement abandonné en raison de l'opposition des écologistes entre autres.

Aux extrémités, Christophe Castaner, et Hervé Martel, respectivement président du conseil de surveillance et directeur général du port de Marseille Fos. Au centre, Gérard Mestrallet et Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France.
Crédit photo : ©EF

Aux extrémités, Christophe Castaner, et Hervé Martel, respectivement président du conseil de surveillance et directeur général du port de Marseille Fos. Au centre, Gérard Mestrallet et Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France.

Un investissement de 600 Md$

Alors que la presse américaine a beaucoup glosé sur les investissements nécessaires d’un tel projet, évoquant le montant de 600 Md$ – la BRI revendique un plus de 1 000 Md$ impliquant 149 pays –, Gérard Mestrallet valide mais nuance : « si les États-Unis y allouent 200 Md$ comme évoqué, alors on est dans ces ordres de grandeur bien que cette estimation me paraisse quand même surévaluée ».

Et de s'appuyer sur les impacts potentiels à Marseille. « Si, comme nous l'espérons, des flux supplémentaires très importants, à la fois de conteneurs, d'hydrogène, d'électricité ou de datas convergent vers le port, il faudra développer les capacités d'accueil, de transit, de logistique in situ. Ensuite, ces marchandises devront remonter l’hinterland, notamment par la vallée du Rhône ». Dans ce cas, il faudra régler le serpent de mer du contournement de Lyon, dont le coût est estimé à quelque 5 Md$...

Où en est-on ?

« On commence à réunir le maximum de données en vue d’identifier les ports, les infrastructures ferroviaires et énergétiques pour avoir une idée affinée des flux et de la demande actuelle et prévoir les besoins et les volumes futurs », ajoute l’émissaire qui dit consacrer la moitié de son temps à ce projet. « On sait déjà que la croissance indienne va générer un très important trafic entre l'Inde et l'Union européenne ».

L'envoyé spécial reconnaît que ces projets sont aujourd'hui contrariés par la guerre entre le Hamas palestinien et Israël. « En faisant de Haïfa, port de sortie du corridor qui traverse ensuite en diagonale le continent arabique, l’Imec offrirait aux accords d'Abraham une première concrétisation visant à la normalisation des relations entre les pays arabes et Israël ». Une régulation en cours lorsque la guerre a éclaté.

Certains vont jusqu’à dire, confie l'ex-patron, que les derniers événements sont une forme de réaction à cette entreprise, pour bloquer le rapprochement entre Israël et ses voisins, longtemps frères ennemis.

« Mes interlocuteurs considèrent qu'il ne faut d'abord pas attendre la fin de la guerre pour travailler sur l'ingénierie du projet. Par ailleurs, une fois la page de la guerre tournée, il faudra trouver des projets de paix, qui soient constructifs et créent de la valeur pour tous les pays de transit, qu’il s’agisse de l'Arabie saoudite, de la Jordanie, d’Israël et de la Palestine ».

Adeline Descamps

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