CMA CGM et Air France-KLM mettent fin à leur accord de partage

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Un peu moins d'un an après avoir formalisé leur partenariat commercial, les deux mastodontes tricolores du fret maritime et du fret aérien annoncent ce 16 janvier la fin de leurs « accords existants », prévus initialement sur dix ans. Tout ne coule pas de source pour les transporteurs maritimes aventurés dans le fret aérien en 2021 dans une conjoncture favorable.

Près de trois ans après avoir lancé sa propre compagnie aérienne tout-cargo (mars 2021), deux ans après être entré au capital d’Air France-KLM à hauteur de 9 % avec un siège au conseil d’administration (mai 2022), quelques mois après avoir formalisé sa joint-venture commerciale (avril 2023) avec le transporteur aérien franco-néerlandais, CMA CGM annonce ce 16 janvier la fin des « accords existants » prévus sur dix ans. Décision avec effet le 31 mars 2024.

« Air France-KLM et CMA CGM ont ouvert des discussions portant sur les nouveaux termes et conditions d'une relation commerciale dans laquelle chaque groupe opérerait de manière indépendante », indique le communiqué de presse sans autres précisions (demandées) à ce stade.

Les deux groupes évoquent une coopération dans l’incapacité de fonctionner « de manière optimale » en raison d’un « environnement réglementaire contraint » sur certains « marchés importants ».

Quand le pool avait été mis sur les rails en avril 2023, les deux groupes avaient obtenu l’ensemble des autorisations réglementaires, excepté pour l’Amérique du Nord (États-Unis, Mexique, Canada), marchés stratégiques pour le fret aérien, la Russie, la Turquie et l'Ile Maurice.

Un pool de douze freighters

L'accord de partage, formalisé par une joint-venture entre EVP Cargo (groupe Air France KLM) et CMA CGM Air Cargo, portait sur une flotte de douze freighters, dont six appareils fournis par CMA CGM Air Cargo (quatre A330-200F et deux 777F), tous basés à Paris-Charles de Gaulle, et six de son partenaire (trois B747-400 de KLM, deux B777-200 d'Air France et le 747-400 converti de la néerlandaise Martinair), stationnés à Paris-Charles de Gaulle et à Amsterdam Schiphol.

Le pool concernait aussi les capacités en soute des avions de ligne, soit plus de 160 appareils long-courriers. Les deux compagnies ont par ailleurs des commandes en cours, à raison de six pour l’entreprise marseillaise (deux B777 et quatre A350F), dont la livraison est prévue entre cette année et 2026, et huit pour le transporteur aérien (dont quatre A350), mais qui était destiné à renouveler les doyens.

En fonction des autorisations réglementaires

Le contrat de collaboration, qui visait à commercialiser conjointement des capacités afin d'accroître leur rayon d’action, avait donc pris la forme d’une société commune, dont le statut juridique, la répartition des pouvoirs, des coûts, des investissements, des bénéfices et autres contours avaient été tenus naturellement (droit privé) à la discrétion des deux entreprises.

Dans les premiers temps, la division cargo de CMA CGM, dirigée pendant un an (septembre 2022-septembre 2023) par Guillaume Lathelize, alors remplacé par Damien Mazaudier – lesquels ont succédé à Olivier Casanova et Mark Sutch, ex-dirigeant de Cathay –, a géré « en fonction des besoins de [ses] clients et des autorisations réglementaires », indiquait CMA CGM au moment de la formalisation du partenariat commercial. Et de la rentabilité, est-on tenté d’ajouter.

Peu de temps après sa création, en mars 2021, le nouvel entrant sur le marché avait initié plusieurs routes transatlantiques depuis l’aéroport de Liège, base de son premier partenaire Air Belgium. ECS avait été sélectionné en tant qu'agent général de vente pour l'aider à commercialiser sa capacité, gérer les réservations et traiter les expéditions pour les clients autres que Ceva Logistics, le commissionnaire « maison ».

La jeune compagnie aérienne avait ensuite annoncé des combinés mer-air vers des destinations moyen-orientales : Dubaï, hub aérien entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, Beyrouth et Istanbul. Il était ensuite question de Séoul, de Hong Kong et de Shanghai.

Aujourd’hui, il est difficile de connaître dans le détail les destinations lancées, suspendues ou abandonnées. Mais de façon certaine, CMA CGM Air Cargo a frété quelques-uns de ses appareils à des expressistes, Qatar Airways et DHL express. Des données corroborées par FlightRadar24, équivalent aérien de MarineTraffic ou de VesselFinder. Une décision prise dans une conjoncture saturée de « sentiments négatifs » selon l’expression consacrée des marchés.

En se plaçant sous l'aile expérimentée d’Air France-KLM, l’armateur de porte-conteneurs avait réussi un « coup », accédant à un son réseau (couverture, opportunités de correspondances dans le monde entier, horaires), à des infrastructures dans les aéroports et à une plateforme partagée (« myCargo »), permettant de réserver et combiner des vols opérés par Air France, KLM, Martinair et CMA CGM Air Cargo.

Toujours actionnaire de référence ?

« CMA CGM reste un actionnaire de référence d'Air France-KLM. Les parties ont convenu de modifier la clause de lock-up des actions détenues par CMA CGM dans le capital d'Air France-KLM, qui sera désormais effective jusqu'au 28 février 2025. CMA CGM quittera le conseil d'administration d'Air France-KLM le 31 mars 2024 ».

L'engagement initial devait expirer le 15 juin 2025 et une période de conservation sur 50 % des actions souscrites avait été prévue jusqu'au 15 juin 2028. Les dates sont donc avancées tandis que la période de conservation additionnelle a disparu.

Des temps difficiles pour les compagnies aériennes des majors maritimes

Tout ne coule pas de source pour les transporteurs maritimes aventurés dans le fret aérien. Les temps sont même difficiles. En 2023, les compagnies maritimes auront été très discrètes sur leurs affaires dans les airs. Elles ont démarré pleinement leur opérations aériennes l’année où le secteur a subi un sérieux test de résistance (cf.plus bas). L'effondrement de la demande et des tarifs a fait chuter les revenus en 2023, forçant les acteurs du marché à réduire la voilure, reporter les investissements dans leur flotte et à resserrer leurs budgets.

Pour les nouveaux entrants, même les caisses pleines, l’initiation est militaire. À suivre les appareils à la trace avec le suivi des vols, les appareils opérés par les compagnies maritimes ont passé du temps sur le tarmac. Les plans de vol ont été modifiés à plusieurs reprises, les lancements de lignes décalés.

Lors de la publication des résultats du troisième trimestre, CMA CGM, qui renseigne désormais quelques données concernant ses « autres activités », à savoir les terminaux portuaires et le fret aérien, avait fait état d'un chiffre d’affaires en hausse de 5,3 %, à 526 M$, sans détails dans la répartition, mais avec un bénéfice opérationnel (56 M$) en chute de 58,4 %.

Selon l'Association internationale du transport aérien (Iata), l'activité de fret aérien a chuté de 1,9 % sur un an en 2023. La crise sanitaire a eu des effets diamétralement opposés sur les fortunes de CMA CGM et d'Air France-KLM : l'armateur a dégagé en 2021 et 2022 des bénéfices nets cumulés de plus de 43 Md$, tandis que le groupe aérien a subi des pertes de plus de 10 Md€ entre 2020 et 2021, avant de revenir aux bénéfices en 2022.

Maersk Air Cargo

En annonçant le 20 mars 2023 le lancement de son premier service de fret aérien régulier entre Billund au Danemark et Hangzhou en Chine à raison de trois vols hebdomadaires, Maersk Air Cargo avait fait illusion en concrétisant plusieurs « premières ». Le service Eurasia a inauguré une liaison entre l’Europe et l’Asie. Il a été le premier à exploiter un des trois B767-300 convertis en cargo. Enfin, Maersk Air Cargo a étrenné les opérations en compte propre, sa maison-mère ayant pour objectif d’assurer environ un tiers du tonnage aérien annuel de sa compagnie au sein de son propre réseau.

Fondée à partir des actifs de Star Air, qui a servi pendant de nombreuses années d'opérateur charter pour des expressistes européens, Maersk Air Cargo aligne 22 appareils en capacité de voler, une douzaine de B767-200 et dix B767-300, en leasing (auprès de Cargo Aircraft Management) et en propriété. Or, la plupart d'entre eux continuent d’opérer sur les liaisons intra-européennes pour les expressistes UPS et Royal Mail notamment.

MSC Air Cargo et les autres

MSC a été le dernier du trio de tête de la ligne régulière à poursuivre cette approche. Pour prendre de l’altitude, l’armateur a procédé, comme CMA CGM, en confiant l’exploitation des avions à un partenaire aérien confirmé, Atlas Air, une filiale du groupe Atlas Air Worldwide, dont on ne sait si le partenariat est toujours actif.

Avant créer sa propre compagnie, le leader mondial avait tenté une mainmise, aux côtés de Lufthansa, sur ITA Airways en 2022 mais le duo a été coiffé au poteau par le fonds d'investissement américain Certares, associé à Air France-KLM et Delta Air Lines, dont l'offre avait été retenue par l'ancien Premier ministre Mario Draghi avant d'être écartée par son successeur, Giorgia Meloni. Aujourd’hui, ITA Airways convole sous l’aile de Lufthansa, dont Kuehne+Nagel, via Kühne Aviation GmbH (société de Klaus-Michael Kühne, propriétaire du commissionnaire et actionnaire d'Hapag-Lloyd) est le premier actionnaire avec 15,01 % devant le gouvernement allemand.

Hors Europe, des compagnies maritimes disposent de longue date d’une compagnie aérienne : Evergreen avec EVA Air et la japonaise NYK Line avec Nippon Cargo Airlines. Il faudra suivre les développements de la compagnie maritime sud-coréenne Pan Ocean, acteur historique du vrac sec en Corée du Sud, montée au capital de Hanjin KAL, principal actionnaire de Korean Air Lines et de sa filiale cargo. A suivre car son actionnaire principal, le groupe agroalimentaire Harim, est sur le point d’acquérir le transporteur de conteneurs sud-coréen HMM, le numéro huit mondial de la ligne régulière…

Adeline Descamps

 

Une année difficile pour le fret aérien

 Le fret aérien n’a pas été épargné par la récession en 2023 qui frappe le secteur du transport de marchandises depuis le troisième trimestre 2022. L'effondrement de la demande et des tarifs (40 à 50 % pendant une majeure partie de l'année, avant de se redresser au cours des derniers mois) a fait chuter les revenus en 2023, forçant les acteurs du marché à réduire la voilure, reporter les investissements dans les avions et à resserrer leurs budgets. Même cause, mêmes effets que pour le transport maritime : l’accumulation des stocks.

Les compagnies aériennes cotées en bourse ont vu leurs recettes de fret chuter de 25 à 60 %. Pour exemple, Lufthansa Cargo n’a réalisé aucun bénéfice au troisième trimestre, contre 352 M$ l'année précédente. Les transitaires de Flexport à Kuehne+Nagel, en passant par DSV et C.H. Robinson, ont supprimé des milliers d'emplois en réponse au ralentissement des transports aériens et maritimes. Les événements en mer rouge, qui perturbent les services maritimes, pourraient être une « opportunité majeure ». Certains y croient fermement.

A.D



 

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