Sinistralité maritime : record à la baisse pour les pertes totales de navires mais explosion des incendies

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Felicity Ace

Le naufrage du Felicity Ace restera dans les annales de la sinistralité des transporteurs de voitures. Le navire de 6 400 CEU (Car Equivalent unit), exploité par une filiale de l’armateur japonais MOL, a fini par sombrer avec ses 3 965 Bentley, Porsche et autres berlines de luxe après avoir erré en feu pendant deux semaines.

Selon Allianz, dont les analyses sont basées sur les demandes d’indemnisation, les pertes de navires ont été en 2022 à leur plus bas historique. L'explosion du nombre d'incendies et la croissance de la flotte clandestine inquiètent l'un des principaux souscripteurs du transport maritime. Emergence de nouvelles menaces en mer.  
 

La sinistralité maritime reste le miroir inversé de ce qui se passe en mer, la plaque sensible des failles du transport maritime.

Ces dix dernières années, le nombre de navires classés en pertes totales aura bien chuté. Et les orientations positives se sont confirmées d’année en année. Au début de la décennie 1990, la flotte mondiale perdait plus de 200 navires par an. Depuis quatre ans, ce nombre se situe plutôt entre 50 et 75 par an. Cette baisse est d’autant plus notable que le bataillon a grossi en trente ans (de l’ordre de 50 000 navires).

38 navires en pertes totales

En 2022, trente-huit grands navires ont sombré sur 3 032 événements recensés en mer contre 59 en 2021 pour un nombre d’accidents similaires, selon le rapport sur la sécurité maritime 2023 (portant sur l’année 2022) d’Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS), un des grands souscripteurs du transport maritime. Cela représente une baisse de 65 % sur la décennie. Ainsi, le nombre de navires perdus n’a jamais été aussi bas depuis que l’assureur publie (douze ans) les analyses annuelles tirées des demandes d’indemnisation

Le faible niveau témoigne de « l’efficacité des programmes de sécurité, des formations, des changements introduits dans la conception des navires et de la réglementation », commente le capitaine Rahul Khanna, directeur mondial du conseil en risques maritimes chez AGCS.

Les navires de marchandises diverses ont été concernés l’an dernier par un quart des navires perdus (10) tandis que la perte par le fond reste à l’origine de la moitié des pertes totales, devant les incendies/explosions (8 recensées) puis les collisions (4).

Accidents concentrés en Asie

Les régions les plus critiques dans le monde n’ont pas en revanche pas beaucoup varié ces dix dernières années. La Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie et les Philippines concentrent toujours le plus grand nombre de pertes totales, un sinistre sur cinq (10) en 2022, 204 en dix ans.

En cause, selon Allianz, l’augmentation des échanges, la saturation des ports, le vieillissement des flottes et les événements météorologiques extrêmes. La Méditerranée occidentale figure au deuxième rang des zones les plus accidentogènes, avec le Golfe persique (3).

Explosion du nombre d'incendies

Si l’échouement est fatal pour les navires, la grande problématique, qui émerge depuis quelques années est posée par l’explosion des…incendies. Ils ont été responsable de 64 pertes totales sur les cinq dernières années.

Selon une analyse portant sur près de 250 000 demandes d’indemnisation, les incendies s'avèrent aussi les plus coûteux, avec 18 % du montant total des réparations devant les naufrages et collisions. C’était déjà le cas pour la période quinquennale janvier 2017-décembre 2021 (plus de 240 000 demandes pour un montant de 9,2 Md€) contre 13 % pour celle de 2014-2018.

En 2022, 209 incendies auront encore été relevés, un record sur la décennie. Les causes sont désormais bien identifiées par les assureurs. Les irrégularités dans la déclaration de marchandises dangereuses, que ce soit par erreur, méconnaissance ou volonté délibérée, tiennent la corde.

Responsabilité dans 25 % des incidents graves à bord

Les systèmes de notification des incidents attribuent en effet 25 % des incidents graves à bord des porte-conteneurs à du fret mal déclaré, notamment pour les produits chimiques, les batteries et le charbon de bois.

Or, l’armateur est tenu de bien connaître ce qu’il transporte. La dangerosité des marchandises influe sur le plan de chargement, la cargaison classée étant placée à l'écart des quartiers de l'équipage, des cuves de carburant et des autres marchandises dangereuses.

« Certaines entreprises tentent de réduire la facture du transport en déclarant les feux d’artifice comme des jouets ou les batteries lithium-ion comme des pièces d’ordinateur », explique l’assureur.

Et la tromperie sur la marchandise est aussi en cause dans un autre phénomène : la perte de conteneurs. À la suite d’une vague d’accidents, les transporteurs ont fini par passer à l’amende et ont investi dans des outils pour scanner les conteneurs.

Les batteries électriques, une bombe à retardement

Le phénomène n’est pas non plus étranger aux batteries lithium-ion à bord – inflammables, explosives, toxiques –, qui ne sont pas stockées, manipulées ou transportées correctement.

Les souscripteurs sont d'autant plus inquiets que « le marché des batteries devrait croître de plus de 30 % par an au cours de la prochaine décennie ». Tant et si bien qu’Allianz lui a réservé un rapport à part entière. Dans ce document, il décrit par le menu les causes (fabrication non conforme, dégradation des accumulateurs ou des batteries, surcharge ou court-circuit), les mécanismes d’emballement thermique (explosion, reprises spontanées d’incendies) et les conséquences.

« La plupart des navires ne disposent pas de moyens appropriés de protection, de détection et de lutte contre ces incendies en mer », signale Rahul Khanna, qui préconise notamment la mise en place de plans d’intervention d’urgence, de systèmes de détection précoce ainsi que l'accès à des équipements adaptés voire « des navires spécialement conçus pour le transport de véhicules électriques. »

D’autres risques émergent également avec la guerre en Ukraine, à commencer par la croissance inquiétante de la flotte clandestine de pétroliers qui prospèrent à l’ombre des sanctions. Mais aussi en lien avec la décarbonation et les nouveaux carburants alternatifs (cf. plus bas).

Inflation dans les sinistres

Le contexte d'inflation n’a pas épargné le coût des sinistres maritimes l'an dernier. La hausse des prix des matières premières ainsi que les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont adressé une facture salée. « Le prix de l’acier, l’un des principaux facteurs de sinistres sur corps de navires, a fortement augmenté après la pandémie, de même que les pièces de rechange. Un sinistre type sur une hélice ou une machine coûte aujourd’hui environ trois fois plus qu’avant la pandémie », souligne Régis Broudin, directeur mondial Assurance maritime chez AGCS.

Les pénuries et les retards de livraison de pièces ont par ailleurs allongé la durée en cale ou exigé un recours au transport aérien, plus coûteux.

Adeline Descamps

 

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