Parler d'escalade ou d'intensification des menaces en Mer Rouge s'appelle un pléonasme. Les attaques sont quasi-quotidiennes depuis décembre. Durant les dernières 72 heures, la mer Rouge a encore été le théâtre d'au moins trois nouvelles attaques, non sans gravité au vu des atteintes faites aux marins – un membre d'équipage porté disparu à bord du vraquier Tutor et un autre, grièvement blessé, sur le navire de marchandises générales Verbena –, et des dommages causés aux navires.
Les rebelles yéménites Houthis ont revendiqué, dès le 12 juin, l'attaque du vraquier Tutor, qui aurait, selon l'armée américaine, « provoqué de fortes inondations de la salle des machines » et des « dégâts à bord ». Depuis un membre d'équipage, qui se trouvait dans la salle des machines, est porté disparu, tandis que le navire a pris l'eau et n'est plus sous le contrôle de l'équipage, a alerté l'agence britannique UK Maritime Trade Operations (UKTMO).*
Émergence des drones de surface
Dans un communiqué, les Houthis ont déclaré avoir mené cette opération en utilisant un drone maritime, des drones aériens et des missiles balistiques.
Le rapport sur le Tutor indique que les Houthis ont eu recours à un drone de surface (schématiquement des navires-drone, qui opèrent à la surface de l'eau sans équipage). Ce que le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom) a confirmé. Ce n'est pas la première fois que ce dernier signale la destruction de ces engins qui peuvent transporter plus d'explosifs que les missiles ou les drones aériens.
Aucune raison légitime ?
Le navire battant pavillon libérien, de construction récente (2022), a été touché à environ 68 milles nautiques (125 km), au sud-ouest de Hodeïda, port tenu par les rebelles dans l'ouest du Yémen.
Alors que la société de sécurité Ambrey indique dans un communiqué, sans préciser, que « le navire correspond au profil des cibles [généralement visées, NDLR] par les Houthis », rien ne justifie d'être pris pour cible, excepté peut-être sa société de classification (Lloyd's Register),
Détenu par la société grecque Livenza Shipping et géré par Evalend Shipping, également basée à Athènes, le vraquier avait fait escale dans un port russe, relève l'armée américaine. Le porte-parole des Houthis, Yahya Saree, a indiqué de son côté que la compagnie maritime avait violé l'interdiction faite par les rebelles de faire escale en Israël.
Un marin grièvement blessé sur un autre navire
Le 13 juin, à 98 milles nautiques (181 km) à l'est d'Aden, dans le golfe d'Aden, un autre navire a été touché par un tir provoquant également un incendie à bord, selon l'UKTMO, alerté par la compagnie. Le navire a fait l'objet d'un second tir dans la journée puis d'un troisième projectile, d'après les remontées des membres d'équipage et de l'armateur à l'agence britannique.
Un des membres de l'équipage, gravement blessé au cours de l'attaque, a été pris en charge par l'USS Philippine Sea pour être acheminé vers le navire le plus proche de la coalition internationale afin d'y recevoir des soins médicaux.
Le Verbena, navire de marchandises générales, enregistré à Palaos, propriété de la société polonaise Tradex Transportation depuis décembre 2023, faisait route de la Malaisie vers l'Italie, chargé de matériaux de construction en bois.
Engrenage
Un autre signalement auprès de l'UKMTO concerne un navire, à l'identité encore inconnue, mais qui a été localisé à 82 milles nautiques (151 km) au nord-ouest de Hodeïda. Il aurait été visé mais pas touché et poursuivrait sa route.
En revanche, les Houthis, par la voix de Yahya Saree, revendiquent deux autres faits d'armes : contre le Seaguardian (75 462 tpl), un vraquier battant pavillon maltais géré par Eastern Mediterranean Maritime, une compagnie que les Houthis ont déjà ciblée pour ne pas avoir respecté le diktat des rebelles, à savoir ne pas desservir les ports israéliens.
Pour le second, il pourrait s'agir, dans l'attente de la confirmation par les forces internationales d'intervention, d'un pétrolier qui pourrait être l'Athina.
Promesses de Houthis
Ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux, les porte-parole du mouvement houthi ont multiplié les déclarations intimidantes au sujet de leurs raids contre les navires marchands. Après avoir pris pour cibles les navires desservant un port israélien ou ayant des liens capitalistiques avec Israël ou dont l'État du pavillon est un soutien actif au pays en guerre avec le Hamas, ils ont annoncé une extension de leur zone d’intervention, dont l'attaque du MSC Orion dans l'océan Indien a été le marqueur.
« L'agression américano-britannique ne nous dissuadera pas de poursuivre nos opérations (...). Nous répondrons à l'escalade par l'escalade », avait réagi Mohammed Al-Bukhaiti, membre du bureau politique d'Ansar Allah (véritable nom du mouvement houthi), en réaction à des frappes américano-britanniques particulièrement violentes contre leurs positions, avec un bilan humain lourd (16 morts selon les Houthis).
Outre les cibles flottantes que sont les navires, la faction soutenue par l'Iran s'en prend aussi à terre à des ressortissants des pays jugés ennemis. Ils ont arrêté cette semaine plus d'une douzaine de travailleurs humanitaires, dont des employés de l'ONU, les accusant de faire partie d'un réseau d'espionnage américano-israélien.
Tout en qualifiant les allégations de « scandaleuses », le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a exigé leur libération immédiate, suivi par l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni qui ont appelé ce vendredi 14 juin, dans un communiqué, à la une libération sans condition.
Dans le même temps, un différend entre les autorités monétaires rivales dans les zones contrôlées par les rebelles et celles sous contrôle gouvernemental menace de couper les banques de Sanaa des transactions internationales alors que le Yémen est déjà le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, en proie à l'une des pires crises humanitaires au monde, selon l'ONU.
Adeline Descamps
[Actualisation] Le 15 juin, en soirée, l'agence de sécurité maritime britannique UKMTO a annoncé que l'équipage du Tutor « a été évacué par des militaires », sans préciser si ces derniers faisaient partie de la coalition internationale sous l'égide des États-Unis pour sécuriser la mer Rouge.