Mer Rouge : les huit données qu'il faudra suivre attentivement

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Risque de hausse des prix et de ralentissement de la croissance dans l'UE ? Effet sur les prix du gaz ? Envolée du baril du pétrole ? Des problèmes d’approvisionnement dans les produits pétroliers ? Un transport maritime couteux ? Des réorganisations massives d'escales et de services ? Une prime géopolitique pour les matières premières ?      

Un risque de hausse des prix et de ralentissement de la croissance dans l'UE ?
L'Union européenne risque-t-elle de voir les prix à la consommation augmenter et la croissance ralentir en raison des perturbations du transport maritime en mer Rouge ? « Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'impact visible sur les prix de l'énergie et, plus généralement, sur les prix des biens. Mais nous constatons déjà un impact sur les prix des transports, qui ont augmenté. Il s'agit certainement d'un facteur de risque », a répondu le vice-président de l'Union européenne, Valdis Dombrovskis, aux journalistes à l’issue d’une réunion des ministres du commerce de l'UE.

« L'impact économique plus large sur les prix à la consommation et sur l'économie de l'UE en général dépendra beaucoup de la durée de cette crise », a-t-il ajouté.

La communauté internationale agit et la Commission européenne mettra à jour ses prévisions économiques en février, date à laquelle elle pourrait être amenée à prendre en compte les perturbations liées à la mer Rouge, a ajouté celui qui supervise l'économie des Vingt-Sept.

La crise survient dans un contexte où l’économie européenne n’est pas au mieux de sa forme, en légère récession avec une inflation élevée. Et selon des hauts-fonctionnaires européens, des perturbations prolongées en mer Rouge pourraient empêcher les banques centrales de réduire les taux d'intérêt cette année.

Le ministre néerlandais du commerce, Geoffrey van Leeuwen, dont Maersk est une ressortissante, a été plus explicite, relevant que les taux de fret pour la liaison Shanghai-Rotterdam via le canal de Suez ont augmenté jusqu’à 200 % depuis les premières frappes des Houthis. « Il est évident que cela alimentera l'inflation... »

Un effet sur les prix du gaz ?

 Alors que le GNL représentait environ 42 % des importations de gaz de l'UE en 2023, un peu moins de la moitié provenaient des États-Unis et 13 % du Qatar.

QatarEnergy est le dernier en date parmi les grands affréteurs de méthaniers à avoir annoncé la suspension de ses transits par le canal de Suez. L'Europe s'approvisionne en GNL à hauteur d'environ 13 % (15,5 Mt) par la mer Rouge et le canal de Suez, en grande partie en provenance du Qatar.

En 2022, la petite monarchie du Golfe avait exporté 19,84 Mt vers l'Europe via le canal de Suez et 13,74 Mt en 2023.

Les prix TTF, référence pour le gaz, s’établissent toujours à un niveau bas, autour de 10 à 11 par MMBtu (unité de mesure, million d'unités thermiques britanniques), principalement en raison des niveaux de stocks solides (début d’hiver chaud en Europe) et des flux d'importation par gazoducs sains (autour de 350 millions de m3 par jour)

Le détournement des navires vers l'Afrique, qui revient à ajouter plus de 12 jours aux voyages dans chaque sens à une vitesse de 16 nœuds, nécessitera 15 à 20 navires de plus pour transporter le même volume de gaz.

Mais pour l’analyste Rystad Energy, il y a encore beaucoup de gaz dans les stocks européens et il est peu probable qu'une pression à la hausse s'exerce sur les prix avant que les stocks n'aient été réduits dans une certaine mesure.

Or sans cette poussée des prix du GNL, la relance des taux d'affrètement, qui ont chuté depuis le Nouvel An (de 23 % ce mois-ci), n'est pas envisageable, soutient-il.

Les taux au comptant devraient continuer à s'affaiblir car les fondamentaux ne sont pas au rendez-vous, à commencer par un déséquilibre entre l’offre et la demande. La flotte de GNL devrait s'accroître de plus de 70 navires cette année – soit un navire livré tous les six jours ! –, tandis que la production de GNL n'augmentera que de 3 %.

Une envolée du baril du pétrole ?

« En l'absence de perturbations matérielles de la production de pétrole ou d'une escalade plus importante des attaques contre des voies de transport de pétrole plus vitales dans la région, nous ne nous attendons pas à une forte hausse de notre hypothèse de prix du Brent de 80 $ le baril pour 2024, car il existe une capacité de réserve importante de l'OPEP+ [plus de 5 millions de barils par jour, NDLR], indique Fitch Ratings.

Selon l'agence de l’énergie américaine (EIA), le total des expéditions de pétrole via le canal de Suez, l'oléoduc SUMED et le détroit de Bab-el-Mandeb représentait environ 12 % du commerce maritime mondial de pétrole au premier semestre de l'année 2023. Les perturbations s'étendent au détroit d'Ormuz, par lequel ont transité 20,5 millions de barils par jour de pétrole au premier semestre 2023 (27 % du commerce maritime mondial de pétrole),

Les attaques des Houthis se sont principalement concentrées dans l'étroit détroit de Bab-el-Mandeb. Les expéditions de pétrole vers le nord via le canal de Suez et l'oléoduc SUMED sont dirigées vers l'Europe, principalement depuis l'Arabie saoudite et l'Irak. Les flux vers le sud sont principalement des exportations de pétrole russe vers la Chine et l'Inde à la suite des sanctions de l'UE sur les importations de pétrole russe. Il ne devrait donc pas y avoir des grandes embardées.

Des problèmes d’approvisionnement dans les produits pétroliers ?

Il n'y a aucune crainte que l'Europe manque de pétrole au vu de l’état de ses stocks stratégiques (90 jours). Mais elle devra le payer plus cher et compter sur une latence dans l'approvisionnement, soutient-on au contraire chez les courtiers.

Pour le courtier Xclusiv, les importations européennes de produits raffinés portent déjà les traces de perturbations. La hausse des taux de fret et les itinéraires détournés des pétroliers ont limité les approvisionnements au cours de la première quinzaine de janvier, assure-t-il.

Les importations européennes de produits pétroliers en provenance de l'extérieur de la région se sont élevées en moyenne à 2,3 millions de barils par jour (Mb/j) du 1er au 17 janvier, contre 2,9 Mb/j enregistrés en décembre. Les arrivées en provenance d'Arabie saoudite, d'Inde et du Koweït ont chuté de 15 %, 31 % et 43 %, respectivement, par rapport aux niveaux de décembre au cours de la même période. « Ces volumes d'importation en baisse constituent une menace considérable pour l'approvisionnement en diesel. L'Europe dépend du Moyen-Orient pour environ un tiers de son approvisionnement en diesel, et avec des niveaux de stocks inférieurs de 257 000 barils à la moyenne quinquennale le 11 janvier, le risque de pénurie est substantiel », explique le courtier.

Un transport maritime des produits pétroliers coûteux ?

La crise en mer rouge survient alors que les barils de pétrole ont déjà été massivement réorientés dans la foulée de la guerre en Ukraine. Les flux russes vers l'Europe ont ainsi été remplacés par des barils du Moyen-Orient, ce qui a déjà allongé les distances et pesé sur la disponibilité des navires. La nouvelle donne entraîne un autre « changement radical » dans les achats de matières premières par l'Europe. « C’est un coup de pouce aux fournisseurs de brut du bassin atlantique, notamment les États-Unis et le Brésil », réagissent instinctivement les analystes de la société d’informations sur les matières premières Kpler. Les États-Unis sont le principal fournisseur de diesel sur le marché européen, et les prix du diesel ont récemment atteint leur niveau le plus élevé en sept ans.

Tous les analystes du secteur gagent sur une augmentation des taux de fret comptant. Il ne peut pas en être autrement, selon eux, du fait d’un alignement de paramètres : l’allongement des voyages, la sur-sollicitation de certains pétroliers (suezmax), l’augmentation des coûts d’exploitation.

D’après LSEG Shipping Research, le détournement de l'Asie vers l'Europe du Nord-Ouest via le Cap de Bonne Espérance coûte à un pétrolier 932 905 $ de plus par voyage, principalement dus au carburant (sur la base d’un fuel à haute teneur en soufre). Un détour par le cap de Bonne espérance peut ajouter jusqu'à 45 jours au voyage à l’aller. Les retards de livraison qui en résultent varient en fonction de la marchandise transportée (brut, le diesel et GNL) et de la vitesse.

Les prix des navires de transport de produits pétroliers (diesel et essence notamment) ont commencé à frémir. Les suezmax sont les plus touchés par les déroutements, car ils transportent la plus grande partie du pétrole brut du Golfe du Moyen-Orient vers l'Europe du Nord ou la Méditerranée. Leurs taux d'affrètement à temps équivalents entre le Moyen-Orient et la Méditerranée ont doublé entre le 12 et le 19 janvier pour atteindre 57 039 $ par jour, mais ils ont baissé depuis. Le 25 janvier, l'indice de la Baltic Exchange s'élevait à 52 676 $ par jour.

Comment vont évoluer les taux de fret contractuels dans le conteneur ?

Dans le conteneur, les taux spot continuent de grimper si l’on se base sur le Drewry World Container Index (WCI) qui a bondi à 3 777 $ par conteneur de 40 pieds (FEU) au 18 janvier. Il est en hausse de 173 % depuis le début de l'année. À l'exception de la période Covid exceptionnelle, le taux spot mondial a été la semaine dernière le plus élevé jamais enregistré depuis la création du WCI en juin 2011, indique la société britannique.

Pour autant, l’autre thermomètre de référence, le Shanghai Containerized Freight Index a chuté de 60,5 % entre le 19 et le 26 janvier, de 2239 à 2179 points.

Le commerce Asie-Europe reste le plus exposé à la crise de la mer Rouge. L'indice de Freightos pour le trade Asie-Méditerranée s’établit à 6 944 $/FEU, 2,4 fois plus élevé qu'au 31 décembre.

À 5 784 $/FEU, le même indice pour la route Asie-Europe du Nord est 3,6 fois supérieur à son niveau de la fin de l'année dernière.

Entre Asie et États-Unis, les tarifs ont doublé depuis le début de l'année, et de façon plus marquée pour la côte Est (5 398 $). Une anomalie qui s’explique par le fait que de nombreux services avaient été précédemment détournés du canal de Panama, vers Suez pour échapper aux restrictions dues à l’extrême sécheresse du passage centraméricain.

Toute la question est désormais de savoir si l'augmentation des taux spot aura pour effet d'augmenter les taux contractuels négociés cette année, actuellement bien inférieurs mais lestés de surcharges.

Réorganisation d'ampleur des escales et des services ?

Rien de massif mais sans doute plus après le Nouvel an chinois. Outre le réacheminement autour de l'Afrique, les transporteurs ont réorganisé quelques escales et services afin de continuer de desservir les marchés régionaux accessibles en principe par la mer Rouge mais en évitant le détroit de Bab-el-Mandeb et la présence des Houthis.

La semaine dernière, Hapag-Lloyd a annoncé la mise en œuvre d’un itinéraire terrestre pour relier Djeddah, hub saoudien de la mer Rouge, aux ports du nord du pays, King Abdul Aziz (Dammam) et King Fahad (Jubail), ainsi qu'à Jebel Ali (Dubaï) dans les Émirats arabes unis.

Maersk ne se contente pas d’avoir détourné tous ses navires du détroit de Bab-el-Mandeb, y compris ceux de sa filiale assurant les transports pour le gouvernement américain. Le transporteur danois a supprimé les escales à Djibouti, en Somalie, et au Yémen, tout en restructurant ses boucles vers le Moyen-Orient et la Méditerranée afin de rétablir sa couverture régionale.

Dans le même temps, le transporteur danois a annoncé le déploiement de quatre services supplémentaires à partir de février : Gulf Service, Arabian Red Sea, Red Sea West Mediterranean et Red Sea West Mediterranean. Ces deux derniers services relieront la Méditerranée au hub saoudien de Djeddah, via Port Saïd en Égypte, au nord de Suez. Les autres desserviront la côte ouest de l'Asie.

THE Alliance [Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming] est pour l'instant la seule alliance à avoir suspendu un service complet, celui qui reliait l'Asie du Sud-Est à Djeddah, Aqaba (Jordanie) et Sokhna (Égypte).

Prime géopolitique pour les produits de base ?

« Les conditions du marché des produits chimiques européens, qui dépendent des importations asiatiques, sont déjà passées du haut du cycle à un niveau inférieur au milieu du cycle, en raison du ralentissement de l'économie mondiale et du déstockage tout au long de la chaîne d'approvisionnement en produits chimiques. Le secteur pourrait être encore plus affecté par les perturbations de l'approvisionnement dues au retard des expéditions via la mer Rouge », rappelle Fitch Ratings.

Les exportations d'engrais via la mer Rouge représentent environ 7 % du marché mondial de la potasse et environ 5 % du marché mondial du phosphate mais les navires transportant des engrais n’ont pas été concernés à ce stade par les attaques. « Les exportateurs d'engrais ICL (Israël) et APC (Jordanie) ont signalé des opérations normales dans les ports d'Eilat et d'Aqaba. Les coûts de transport représentent déjà 10 % du prix des engrais. L'augmentation des taux de fret exercera donc une pression supplémentaire sur leur rentabilité », prévient l’agence de notation internationale.

Le mois dernier, le directeur général du port d'Eilat, la place forte d'Israël sur la mer Rouge, avait indiqué à l'agence Reuters que l'activité maritime avait chuté de 85 %. Ne serait-ce pas eux, les ports du Moyen-Orient, les premières victimes collatérales de la situation en mer Rouge ?

Adeline Descamps

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