Suite à l’incident survenu le dimanche 11 février, journée au cours de laquelle des agriculteurs polonais protestant ont déversé sur la chaussée les cargaisons d'un camion de céréales en provenance d'Ukraine, le ministre polonais de l'Agriculture a adressé ses excuses dans un communiqué de presse le lundi 12 février. Un « acte de désespoir » en réaction à « leur situation extrêmement difficile ». a indiqué Czeslaw Siekierski, ministre depuis décembre et visage familier du paysage agricole européen pour avoir été le président de la commission de l’Agriculture du parlement européen lors de la précédente législature (2014-2019).
Des agriculteurs polonais bloquent depuis vendredi dernier plusieurs points de passage à la frontière avec l'Ukraine pour protester contre ce qu’ils considèrent être des « importations déloyales ». Leurs homologues ukrainiens ne sont pas soumis aux lourdes réglementations européennes.
L'incident, au 24e mois de guerre et dont la fin n'est pas en vue, a suscité une vague d'indignations de l'autre côté de la frontière. Les autorités se battent depuis deux ans pour sortir les grains du pays en dépit d’un blocus maritime imposé par les Russes en mer Noire. Kiev a exigé de Varsovie une réaction et des sanctions.
Blocus quasi-total
La Pologne compte parmi les plus grands soutiens de l'Ukraine depuis l'invasion russe en février 2022, mais leurs relations ont été entamées ces derniers mois par des différends commerciaux.
Le 13 février, au matin, les agriculteurs polonais, dont les protestations s’inscrivent dans le cadre plus large des politiques de l'UE (revenus des agriculteurs, surcharge administrative, législations écologistes complexes et importations déloyales), maintenaient un blocus quasi-total pour les camions à cinq points de passage à la frontière, a indiqué le porte-parole des garde-frontière ukrainiens Andriï Demtchenko, cité par l'agence Interfax-Ukraine.
Pour calmer la colère, le vice-ministre polonais de l'Agriculture Michal Kolodziejczak a indiqué que des contrôles de qualité seraient effectuées sur toutes les expéditions de céréales en provenance d'Ukraine. « Lorsque ces céréales atteignent l'Allemagne et que, après examen, elles s'avèrent de mauvaise qualité, dans 99 % des cas, elles retournent en Pologne en tant que céréales européennes » et non en Ukraine, a-t-il toutefois précisé.
Le nouveau gouvernement polonais, présenté comme pro-européen, a rappelé, à l'occasion de cette crise, que l'aide apportée à l'Ukraine ne pouvait pas se faire aux dépens de ses agriculteurs.
Le port d'Anvers bloqué
Des centaines de tracteurs ont encerclé ce 13 février le port d'Anvers, empêchant les marchandises d'entrer ou de sortir.
« Les opérations sont fortement perturbées », a déclaré à Reuters Stephan Van Fraechem, directeur de l'association des entreprises portuaires Alfaport VOKA. « Aucune marchandise ne peut être livrée ou enlevée, car les camions sont immobilisés, tandis que les employés ne sont autorisés à entrer qu'après une longue attente ».
Le professionnel craint les effets cumulatifs. Les terminaux sont actuellement confrontés à des à-coups en raison des attaques en mer Noire qui contraignent les transporteurs à dérouter leurs navires pour emprunter des itinéraires plus longs et à décaler les programmes d’arrivée.
Un porte-parole du port a indiqué de son côté que les routes étaient bloquées à plusieurs endroits, perturbant le trafic et provoquant de longues files de camions.
Les agriculteurs, qui ont bloquent les accès, réclament de meilleurs salaires et conditions de travail.
Venus de divers endroits de Catalogne, plusieurs centaines de tracteurs se sont réunis sans incident devant l'un des accès au port de Tarragone, à 100 km au sud de Barcelone.
Selon un responsable de l'Autorité portuaire cité par la presse espagnole, le trafic de camions entrant dans le port ou en sortant est bloqué à plus de 80 %.
À l'instar de leurs confrères européens, les agriculteurs espagnols protestent également contre la lourdeur de la bureaucratie et la complexité des normes imposées par Bruxelles, et se plaignent des prix trop bas auxquels ils doivent vendre leur production
L’Espagne, souvent qualifiée de « potager de l'Europe » est le premier exportateur européen de fruits et légumes.
Remettre les réalités agricoles au centre des décisions européennes
Ces manifestations font suite à des actions similaires menées depuis fin janvier-début février lorsque plusieurs centaines de tracteurs avaient convergé vers Bruxelles, point de ralliement d'agriculteurs en provenance de plusieurs pays, pour manifester en marge d'un sommet des dirigeants des Vingt-Sept consacré à l'Ukraine fin janvier-début février.
« il est temps de remettre les réalités agricoles et agronomiques au centre des décisions européennes », avaita alors fait valoir auprès de l'AFP une porte-parole de la Fédération wallonne de l'agriculture (FWA).
Des agriculteurs allemands avaient également bloqué fin janvier les ports de Bremerhaven et de Hambourg avec leurs tracteurs. Le mécontentement était dû au projet du gouvernement fédéral de réduire progressivement les subventions accordées au diesel dans l'agriculture.
Concessions de Bruxelles
Bruxelles a adopté ce 13 février une exemption partielle pour 2024 aux obligations de jachères, revendication clé des récentes manifestations agricoles, alors que les organisations du secteur maintiennent la pression sur les gouvernements à travers l'UE.
Confrontés à la flambée des coûts des engrais et de l'énergie, à l'impact des importations ukrainiennes ou encore aux épisodes climatiques extrêmes, les agriculteurs « éprouvent des difficultés à respecter » l'obligation de jachères, a reconnu Bruxelles.
En France, nombre d'autres revendications restent en suspens. La FNSEA, le principal syndicat agricole français, a prévenu ce 13 février que les agriculteurs étaient prêts à relancer leur vaste mobilisation si les mesures attendues du gouvernement n'étaient pas à l'agenda « d'ici dix jours »
L'Italie a concédé vendredi des exemptions fiscales alors que des centaines de tracteurs étaient massés aux portes de Rome.
La Commission a aussi proposé des dispositifs pour limiter les importations ukrainiennes.
Adeline Descamps
Les agriculteurs ukrainiens ont entamé les semis de céréales
Les agriculteurs du sud de l'Ukraine ont commencé les semis de céréales de printemps, en plantant les premiers hectares d'orge, ont indiqué les producteurs au cours du dernier week-end.
Les agriculteurs des régions méridionales d'Odessa, de Mykolaiv et de Kherson commencent traditionnellement à semer dans la seconde moitié du mois de février si les conditions météorologiques sont favorables.
Le ministre ukrainien de l'agriculture, Mykola Solsky, s'attend à ce que la superficie soit la même que celle de l'année dernière. Les agriculteurs ukrainiens avaient semé 12,75 millions d'ha de cultures de printemps pour la récolte 2023, dont 5,7 millions d'ha de céréales.