La chine détient « trop de tout ». Et par une étonnante coïncidence, les deux parties actuellement en campagne pour la Maison Blanche ont en commun ce rejet de ce « trop de tout » qui confère à la seconde puissance économique mondiale cette influence sur le monde que la première ne saurait voir.
Aux États-Unis, les deux candidats en campagne n’ont que le protectionnisme à la bouche face à cette menace existentielle tant sur le plan économique que sécuritaire et partage aussi une solution pour y remédier : les tarifs douaniers.
Sur la sino-influence et la sécurité nationale des États-Unis, ce qui revient à peu près à la même chose, le démocrate Joe Biden paraîtrait même plus radical que son prédécesseur républicain Donald Trump qui s'affaire pour le déloger du Bureau Ovale.
Barrer la route aux Chinois
Durant son mandat, ce dernier avait le groupe de télécoms Huawei, numéro un mondial du secteur, et l’enjeu de la 5G dans le viseur (il n’était pas le seul et le charbon australien, qui a fait l’objet de représailles, s’en souvient).
Donald Trump avait multiplié les droits de douanes « punitifs », notamment sur les importations de produits chinois pour arracher à Pékin un accord commercial plus équilibré pour la balance commerciale américaine (de même pour l'Union européenne, qui avait riposté en surtaxant des produits américains).
Nonobstant quelques évolutions à la marge et une attitude plus amicale envers ses alliés européens, les barrières commerciales sont restées fermées à la Chine sous Joe Biden. Le démocrate mène une politique commerciale tous azimuts ou plus ciblée, selon les perspectives, visant à limiter l'accès des Chinois aux technologies de pointe (semi-conducteurs avancés, intelligence artificielle, terres rares et matériaux stratégiques, batteries et véhicules électriques, nouveau relais de croissance de la Chine) et au capital des entreprises américaines.
Dans les faits, les effets sont quasi nuls. Le Mexique et le Vietnam, par où transitent les produits chinois destinés aux Etats-Unis, servent de sas d’entrée.
Haro sur les données collectées
La guerre se joue aussi sur le plan de l’information et de la quantité de données que certains biens marchands collectent comme l’illustre la bataille lancée récemment par Joe Biden contre les portiques portuaires fabriqués en Chine.
Selon l’administration américaine, les grues fabriquées en Chine représenteraient près de 80 % du parc dans les ports américains, soit 200 unités.
Or, dans le cadre d'un décret visant à renforcer la cybersécurité (portuaire), ils sont considérés comme une menace car ces équipements, très souvent automatisés, utilisent des logiciels source, ce qui fait craindre aux autorités américaines qu'ils puissent être utilisés dans le cadre d'une surveillance chinoise.
Ces débats ne sont pas nouveaux outre-Atlantique. Au début de l'année 2023, des responsables américains de la Défense avaient supposé que ZPMC, le plus grand fabricant chinois de grues navire-terre (STS), puisse être utilisé en cheval de Troie, à des fins d'espionnage.
Le gouvernement fédéral va ainsi engager 20 Md$ dans les infrastructures portuaires au cours des cinq prochaines années, dont une partie sera allouée à la fabrication de portiques à conteneurs aux États-Unis. Les principaux fabricants de grues STS sont aujourd'hui basés en Chine, au Japon, en Autriche, en Finlande et en Allemagne.
Protectionnisme américain, toutes voiles dehors
Bien qu’il se défende de vouloir provoquer un affrontement sur le terrain commercial avec la Chine, Joe Biden n’aura pas vraiment dissuadé du contraire en annonçant vouloir tripler les droits de douane sur l'acier et l'aluminium chinois avant de s’attaquer au chantier de la construction navale.
Il ne s’est pas contenté du verbe. À la mi-mars, le rachat de l'aciériste américain U.S. Steel – totem des belles années de la sidérurgie –, par le japonais Nippon Steel, pour près de 15 Md$, a buté sur son veto.
L'acier, au cœur des enjeux
Le président américain a de la suite dans les idées. Il avait manifesté, à l'annonce de l'opération en décembre, ses inquiétudes quant à la fiabilité de l'approvisionnement en acier, si bien que les deux sidérurgistes ont soumis fin décembre leur projet à l'agence gouvernementale chargée d'évaluer le risque des investissements étrangers pour la sécurité nationale des États-Unis (CFIUS). Son avis doit permettre au président de rendre une décision finale : validation, interdiction ou feu vert sous conditions.
« U.S. Steel est une entreprise emblématique depuis plus d'un siècle, et il est vital qu'elle reste une société américaine, contrôlée et gérée depuis les États-Unis », a-t-il indiqué dans un communiqué. Une déclaration dont on ne peut pas écarter totalement le caractère populiste, le siège d'U.S. Steel étant basé en Pennsylvanie, État clé dans l'élection présidentielle de novembre. Mais le propos a régalé le syndicat des métallurgistes USW, fermement opposé au rachat par le Japonais mais partisan d'un autre projet.
Pour mémoire, U.S. Steel avait lancé une revue stratégique en août 2023 après avoir reçu plusieurs offres non sollicitées pour un rachat partiel ou total. La société avait rejeté, à l'époque, une offre de son concurrent américain Cleveland-Cliffs (CLF), qui aurait envoyé, selon ses déclarations, un sidérurgiste américain dans le top 10 mondial en volume de production (31 Mt).
Nippon Steel a immédiatement réagi, promettant de ne pas supprimer d'emplois, de ne pas fermer de sites de U.S. Steel avant septembre 2026 (« sous certaines conditions » tout de même) et d'investir 1,4 Md$ supplémentaires en cas de finalisation de la transaction (attendue pour le troisième trimestre 2024).
À l’heure où l’on dit l’acier mourant, on pourra s’étonner des montants consentis pour une ressortissante du secteur, sans doute parce que l’Américain a achevé sa mue vers les fours à arc électrique qui condamnent les énergivores hauts-fourneaux au charbon.
Au tour de la construction navale
Dans le même temps, La construction navale donne lieu à un autre bataille. Le 17 avril, Pékin a dû prendre acte de l'enquête menée par Washington sur des « pratiques déloyales de la Chine dans les secteurs de la construction navale, du transport maritime et de la logistique ».
« Truffée de fausses accusations », a réagi sans ambages le ministère chinois du Commerce. L'enquête « interprète à tort des activités normales de commerce et d'investissement comme étant nuisible à la sécurité nationale et aux intérêts des entreprises américaines » et les États-Unis « reprochent à la Chine leurs propres problèmes industriels ».
L’enquête conduite par la représentation américaine au Commerce (USTR) est une réponse à une requête d'organisations syndicales du secteur qui dénoncent des politiques chinoises « bien plus agressives et interventionnistes que n'importe quel autre pays ».
En soubassement idéologique, la question des subventions accordées aux industries. Qui est le plus « État-providence » des entreprises ? La patrie du Jones Act ? ou le pays qui a délogé, à coup de subsides, pour la première fois en 2010, la Corée du Sud (autre grand bailleur de fonds des chantiers navals) de sa stèle de plus grande nation mondiale de construction navale au monde ?
Sacrifice des chantiers navals sur l'autel du bas coût
Mais la question n’est-elle pas ailleurs et elle vaut pour l’Europe : l'Ouest serait-il en mesure de redonner vie aux cales sèches qu'il a abandonnées il y a des décennies, alors que même dans le cadre d’une législation européenne sur le recyclage des navires, les armateurs soutiennent qu’il manque de la capacité en Europe quand bien même l’argument pourrait leur servir de prétexte pour continuer à envoyer leurs navires à la ferraille en Asie du Sud-Est.
Selon Clarkson Research, les commandes mondiales de construction navale ont totalisé 41,49 millions de tonnes brutes compensées (TBC) en 2023 et la Chine est restée en tête, avec 24,46 millions de TBC et une part de marché mondiale de 59 % contre 10,01 millions de TBC pour son challenger, la Corée du Sud qui a perdu la première place mondiale il y a trois ans.
La production de la construction navale chinoise a, elle, augmenté de 12,3 % au cours des 11 premiers mois de 2023 par rapport à 2022 pour atteindre 38,09 millions de tonnes de port en lourd (Mtpl), représentant 50,1 % du total mondial, selon les données du ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information.
Pour les chantiers navals chinois, l’année 2023 restera celle de l'émergence dans les méthaniers. Plusieurs grands chantiers navals, dont Jiangnan Shipyard, Dalian Shipbuilding Industry Jiangsu Yangzijiang Shipbuilding et China Merchants Industry, ont engrangé leurs premières commandes de ces navires, universellement reconnus comme les plus difficiles à construire en raison des techniques avancées qu'ils requièrent.
L'année dernière, les commandes mondiales de méthaniers se sont élevées à 5,54 millions de TBC, dont 4,41 millions de TBC pour la Corée du Sud, maîtres absolus sur ce segment, avec 80 % du marché mondial. Mais la Chine a de grandes ambitions.
S'imposer dans les navires verts
Dans la même veine, le pays de Xi Jinping s'est fixée pour objectif de produire plus de la moitié des navires mondiaux alimentés par des carburants plus propres d'ici 2025, selon des directives publiées par le ministère de l'Industrie chinois.
Il semble aussi avoir des velléités dans la construction de paquebots, un des derniers territoires d’ingénierie et de construction des Européens (Italie, France, Allemagne et Finlande), les Chantiers de l’Atlantique étant un des fleurons.
Le premier grand navire de croisière construit en Chine, l’Adora Magic City, par le groupe China State Shipbuilding Corp. (CSSC) dans son chantier de Shanghai Waigaoqiao Shipbuilding « a mis fin à la domination de trois chantiers navals européens dans la construction de grands navires de croisière », s’est emballé Xing Yue, directeur général de Clarksons Research en Chine.
Abandon par forfait
Outre-Atlantique, il se construirait moins de 10 navires par an. « Les États-Unis considéraient autrefois leur flotte marchande et leurs chantiers navals comme des capacités stratégiques, et les navires et les chantiers navals étaient subventionnés par les contribuables, a rappelé l'US Naval Institute dans une récente publication.
Les subventions ont été supprimées dans les années 1980 et la « contribution des États-Unis à la production mondiale est passée de 0,50 % à environ 0,05 %. Sur la base des coûts de main-d'œuvre et de construction, les chantiers navals américains ne peuvent pas rivaliser. Sans une offre régulière de contrats, ils ne peuvent pas maintenir l'infrastructure industrielle ou employer des travailleurs qualifiés ».
Il en va de même pour l'Europe, qui a beau jeu de s'en émouvoir. A posteriori.
Adeline Descamps
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« Garder la tête froide » si Donald Trump devait redevenir président
La directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, a appelé cette semaine les partenaires commerciaux des États-Unis à « garder la tête froide » (comprendre : ne pas partir dans une escalade douanière) si Donald Trump devait redevenir président et frapper, comme il s'y est engagé, les produits importés de 10 % de droits de douane, assurant qu'une baisse des impôts en limiterait les effets pour les consommateurs américains.
« Je suis un grand défenseur des droits de douane pour deux raisons. Tout d'abord pour leur efficacité économique, lorsque d'autres pays tentent de profiter de vous (...) mais au-delà de l'aspect économique, cela vous donne le pouvoir de négocier avec les autres pays », avait expliqué l'ancien président américain.
La directrice générale de l'OMC s’inquiète surtout des réactions. « Je pense que cela aboutira très probablement à une approche du tac au tac des autres membres, qui chercheront également à imposer ce type de taxe en retour », a-t-elle déclaré lors d'une intervention au centre de réflexion Peterson Institute for International Economics. Une attitude qui, selon elle, est « perdant-perdant, où il ne peut y avoir de vainqueur ».