Recyclage des navires : les armateurs ne sont toujours pas convaincus par la liste de l'UE

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Dans son troisième rapport sur le démantèlement obligatoire des navires dans des sites agréés par l’UE, l’association internationale maritime Bimco indique que seule la Turquie satisfait aux critères de capacité. Or le pays a quelques problématiques. Outre les tensions autour du prix de l’acier, le marché étant inondé par l’acier russe décoté, les parcelles doivent être vendues aux enchères publiques d'ici la fin de l'année. Les armateurs demandent que les chantiers d’Asie du Sud-Est soient reconsidérés.

Le démantèlement des navires dans des conditions responsables sur un plan environnemental et social et dans le respect des normes en matière de gestion des déchets dangereux est un des sujets clivants du transport maritime.

L’an dernier, plus de 750 navires marchands et unités flottantes offshore ont été vendus pour démantèlement dont 583 ont fini en Asie du Sud-Est, dans la baie d’Alang en Inde (153 parcelles dédiées à la démolition sur une côte de 10 km), les plages de Chittagong au Bangladesh et de Gadani au Pakistan, des destinations qui s’imposent depuis des années pour la quasi-totalité du tonnage brut démantelé dans le monde. En comparaison, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong ont traité 142 navires en fin de vie, les Émirats arabes unis, une soixantaine, tandis que les États-Unis en ont accueilli 41 et l’Europe 37.  

L’an dernier, une quinzaine de personnes ont perdu la vie en Asie du Sud-Est et 34 autres ont été gravement blessées, selon Shipbreaking Platform, une ONG référente sur ce sujet, qui établit chaque année un bilan sur les pratiques au regard des réglementations en vigueur, mettant à l’index les armateurs qui s’en rendent coupables.  

Des règles aisément contournables 

Il existe des règles et de lois mais l’ONG estime qu’il extrêmement facile de les contourner, « souvent avec l'aide d'acheteurs au comptant », qui « paient le prix fort pour les navires en fin de vie et, les rebaptisent, réenregistrent et changent de pavillon pour les envoyer en Asie car c’est là qu’ils vont réaliser le plus grand profit ». Près de la moitié des navires vendus à l'Asie du Sud en 2021 auraient ainsi changé de registre pour adopter des pavillons figurant sur la liste noire du MoU, particulièrement populaires auprès des acheteurs au comptant « grâce à leur mauvaise application du droit maritime international ». 

Parmi ces changements de pavillon in extremis, dix-sept étaient censés être assujettis au règlement européen sur le recyclage des navires qui rend obligatoire, depuis le 1er janvier 2019, la démolition des navires battant pavillon d'un État membre de l'UE dans des installations agréées par Bruxelles. En outre, une vingtaine de navires ont été vendus en violation de la Convention de Bâle qui, elle, interdit l'exportation de déchets dangereux (les navires sont considérés comme tels en raison de la présence d’amiante, de métaux lourds, d’hydrocarbures…) vers des pays non-membres de l'OCDE. Ils doivent donc être uniquement traités dans les installations figurant sur la liste de l'UE.

Démanteler dans des sites européens, un sujet clivant 

Le règlement européen sur le recyclage des navires reste un sujet de tensions. Il a en tout cas revêtu un caractère d’autant plus stratégique que la feuille de route climatique de l’UE (Green Deal) fait de l'économie circulaire un de ses éléments constitutifs (Plan d'action pour l'économie circulaire, annoncé le 11 mars 2020) et rend de ce fait nécessaire de garder des ressources rares, comme l'acier, à l'intérieur des frontières de l'UE.

Les armateurs ont toujours soutenu, via leur instance de représentation européenne (ECSA) mais aussi internationale (Bimco), que les seuls chantiers européens ne seraient pas suffisants pour assurer le démantèlement des navires, avançant leur faible disponibilité, l’activité étant concentrée sur les activités plus rentables de la réparation navale et/ou de niche comme les travaux offshore notamment au Danemark et en Norvège mais aussi en raison d’un défaut de capacité.  

Les exploitants et propriétaires de flotte militent, pour cette raison, en faveur d’une extension de la liste « européenne » à des sites extra-communautaires dès lors qu’ils se conforment aux exigences. Or, les différents audits réalisés en 2019 et 2020 par les inspecteurs européens sur les sites controversés n’ont pas été probants.

Pour les associations représentant les armateurs, l’entrée en vigueur de la Convention internationale de Hong Kong, qui réglementerait et encadrerait le recyclage, est la clé. Mais si le texte, rédigé sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, est ouvert à la signature depuis le 1er septembre 2009, il n’est toujours pas entré en vigueur, faute du quorum de ratification atteint, fixé à 15 États et au moins 40 % de la flotte mondiale de navires marchands. Si l’Inde et la Chine y adhéraient – ce qui signifierait le respect de normes très strictes en matière de réglementation du travail et sur le plan environnemental ainsi que des investissements conséquents dans des infrastructures – le traité international pourrait être entériné.

« La ratification est sérieusement menacée, en raison d'une baisse des niveaux globaux de démolition au cours des dix dernières années, depuis le boom de 2012. Si la Chine ne ratifie pas la convention d'ici mai 2023, il faudra s’appuyer sur le Bangladesh. Même dans ce cas, la ratification doit intervenir avant 2026 en raison des faibles niveaux de recyclage prévus de 2016 à 2026 », indique le Bimco, qui vient de publier la troisième édition d’un rapport confié à Marprof Environmental.

Seuls les chantiers turcs disposent de la capacité exigée

Dans ce document, qui dresse un état des lieux du recyclage des navires, l’organisation remet le sujet à l’ordre du jour pour conclure à nouveau sur le fait que l’UE présente un « potentiel limité pour le recyclage à grande échelle ». Bien que la liste européenne des installations de recyclage de navires agréées continue de s'allonger, ces apports n’auraient pas permis d'augmenter la capacité de manière significative pour répondre aux demandes de l'industrie maritime mondiale, explique l’association internationale de transport maritime au monde qui revendique plus de 60 % du tonnage mondial avec environ 1 900 membres (armateurs, opérateurs, gestionnaires, courtiers et agents maritimes).

Selon ses auteurs, seule la Turquie est susceptible de recycler un grand nombre de navires de taille panamax et plus dans des conditions compétitives pour l’armateur. Le rapport est publié alors que deux chantiers turcs viennent d’être retirés de la liste en raison de défaillances (Işıksan et Simsekler), le premier parce qu’un certain nombre de navires battant pavillon d'un État membre de l'UE destinés à y être recyclés ont finalement été démantelés dans des installations voisines ne figurant pas dans la liste européenne, le second parce que deux accidents mortels y sont survenus pour lesquels la gestion des risques est en cause. « Ceci semble illustrer que le système d'audit fonctionne comme prévu, capable d'identifier les défaillances, de réagir, d'identifier et de planifier des améliorations, puis de prendre des mesures punitives lorsqu'elles ne sont pas correctement mises en œuvre », salue à ce propos l’organisation des armateurs.

46 installations agréées

Dans sa dernière version, en date du 28 avril 2022 et publiée au Journal officiel de l'UE le 2 mai, la liste européenne comprenait 46 installations agréées. Depuis le précédent rapport, cinq chantiers ont été retirés alors que d'autres ont été vendus et renommés. L’UE vient en outre de renouveler la licence à un site en Lituanie (UAB Armar) et d’en agréer un en Bulgarie (Ship and Industrial Service). Dans cette liste, une douzaine de sites sont situés dans un pays tiers à l’UE.

« Aujourd'hui, il n'y a toujours pas d'installations des principaux États de recyclage tels que l'Inde, le Bangladesh ou le Pakistan inscrites sur la liste de l'UE alors que de nombreux chantiers navals ont fait des efforts considérables pour moderniser leurs installations », déplore David Loosley, secrétaire général du Bimco, qui réitère sa demande : « les ajouter à la liste si elles répondent aux normes de la convention de Hong Kong, qui, selon nous, devrait être ratifiée dès que possible ».

En effet, parmi les demandes déposées – Bahreïn (1), Chine (4) sachant que Pékin a interdit l'importation de navires battant pavillon étranger à des fins de recyclage, ce qui a suspendu les inspections, Inde (27), Turquie (16), États-Unis (2) et Royaume-Uni (3) –, seules huit entreprises en Turquie, une sur le continent américain et deux au Royaume-Uni ont été acceptées.

Montée en puissance de la région d’Aliaga

Depuis le Brexit, le Royaume-Uni tient « sa propre liste » et elle comprend notamment trois noms qui ne figurent pas sur celle de l'UE : Able UK et Swansea Drydocks (qui ont été autorisés un temps par Bruxelles) et Inchgreen Dry Dock.

« Le fait que 16 installations turques aient présenté une demande est un bon indicateur des améliorations en cours à Aliaga », reconnaissent par ailleurs les armateurs. Toutefois, parmi les effets collatéraux de la guerre en Ukraine, le prix de l'acier local est actuellement problématique. Alors qu'il y a seulement quatre mois, le chantier recevait environ 600 $ par tonne d'acier, il est tombé à environ 330 $, voire moins. Bien qu'il s'agisse de tarifs historiquement élevés, il est presque impossible de vendre de l'acier au prix prévu, car les aciéries locales ne fonctionnent qu'à 10 % de leur capacité en raison du coût de l'électricité alors que le marché est inondé d'acier russes bon marché.

L’étude met en exergue un autre point : « les autorités locales ont décidé de vendre aux enchères publiques les parcelles à la fin de l'année. Mais seules les installations de recyclage de navires autorisées pourront faire une offre. Le gouvernement a publié un prix indicatif de 5 000 livres turques par m2 (270 $/m2). Si une parcelle moyenne fait 50 m de large sur 500 m de profondeur, cela équivaut à 6,75 M$ », ont calculé les auteurs du rapport, qui craignent que la concurrence avec d’autres usages industriels ne soit pas à l’avantage du recyclage. « La baie abrite plusieurs industries lourdes qui ont toutes un pouvoir économique bien plus important ».

Vers un nouveau règlement ?

Le rapport est publié alors que l'évaluation du règlement de l'UE sur le recyclage des navires tout comme la proposition d'un nouveau règlement sur les transferts de déchets sont à l’agenda européen.

Suite à son appel à contribution clôturée en juin, qui a suscité 16 soumissions, parmi lesquelles celles de l'ICS/ECSA (chambre internationale de la marine marchande/armateur européens), de l'ISRA (The International Ship Recycling Association), de Shipbreaking Platform, de l'IACS (Association internationale des sociétés de classification), une période de consultation publique doit se dérouler au cours de ce troisième trimestre en vue de de l'adoption des ajustements par la Commission au troisième trimestre 2023.

Adeline Descamps

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