INTERVIEW. Jean-François Arvis, Banque Mondiale : "D’autres pays améliorent leur logistique plus rapidement que la France"

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Jean-François Arvis, co-auteur du rapport de la Banque Mondiale sur les performances logisitiques mondiales.

Crédit photo © International Transport Forum
Tous les deux ans depuis 2007, la Banque Mondiale classe 160 pays en fonction de leur performance logistique. Dans sa dernière édition, publiée le 28 juin 2016, la France apparaît au 16e rang, en constant recul depuis 2012. Jean-François Arvis, économiste à la Banque Mondiale et co-auteur du rapport, nous aide à comprendre cette évolution et à trouver quelques pistes de réflexion.

Logistiques Magazine : La Banque Mondiale vient de publier son étude bisannuelle "Connecting to Compete : Trade Logistics in the Global Economy". Qu'appelle-t-on "performance logistique" ? 

Jean-François Arvis : La logistique est un intrant des entreprises industrielles et du commerce. Elle englobe une série d'activités effectuées par des services privés ou en interne des entreprises. L'efficacité de la logistique, et partant, les coûts associés comme le transport ou le niveau de stocks, sont pour partie spécifiques à l'activité principale de l'entreprise.

Ils dépendent aussi pour beaucoup des conditions locales, et largement nationales, qui impactent la logistique et qui, pour partie, dépendent des interventions publiques. Il s'agit de la disponibilité et de la qualité des infrastructures qui supportent le commerce (comme par exemple les ports ou les principaux corridors routiers), les procédures publiques s'appliquant au commerce (par exemple, les facilités du dédouanement) et aux services et le niveau de développement des services (qualité et diversité de l'offre, concurrence, profondeur du marché, etc.). C'est cet ensemble, largement déterminé au niveau national et impactant la chaîne logistique des firmes individuelles, qui fait la performance logistique.


L. M. : Comment est établi ce classement ? 

J.-F. A. : Le score de l'indice de performance logistique (IPL) est fondé sur une enquête mondiale auprès de professionnels de la logistique, principalement des transitaires employés de prestataires membres de FIATA (Fédération internationale des associations de transitaires et assimilés). Ces transitaires répondent à une enquête en ligne qui comprend deux volets : 

  • un questionnaire assez court portant sur la facilité des opérations logistiques non dans leur pays de résidence, mais avec lesquels ils organisent des opérations logistiques à l'importation ou l'exportation ; 
  • un questionnaire plus détaillé sur la logistique dans le pays de résidence, y compris cette année des questions comme la formation.

L'indice principal (IPL) est fondé sur le premier volet et donc pour la France sur des scores donnés par des professionnels dans des pays étrangers ayant des liens commerciaux forts avec la France.

L'indice est une moyenne de scores pour six dimensions : infrastructure, facilitation du commerce, qualité de service, ponctualité des livraisons, accessibilité (facilité d'organisation d'expédition), vélocité. Chaque score se situe sur une échelle de 1 à 5.


L. M. : Dans ce classement, la France occupe la 16ème place. Selon vous, pourquoi sa position se dégrade-t-elle depuis 2012 ?

J.-F. A. : Ces changements ne sont pas très significatifs, dans la mesure où le score est stable ou même s'améliore. Cela veut plutôt dire que d'autres pays, principalement européens, améliorent leur logistique un peu plus vite que la France.

Toutefois, le fait que la France ne soit pas dans les dix premiers du classement n'est pas satisfaisant, considérant la taille de l'économie, la position géographique centrale en Europe, les infrastructures et la participation historique de la France dans les opérations globales de fret avec des entreprises majeures (CMA CGM, Bolloré, Geodis,...).


L. M. : Qu'est-ce qui doit être mis en place pour redresser la situation ? 

J.-F. A. : La grande difficulté est que la logistique relève du public et du privé, et pour le public relève de nombreuses administrations qui n'ont pas nécessairement travaillé ensemble sur cette question : économie, transport, équipement, services fiscaux, agriculture, aménagement du territoire, environnement.

La première démarche suivie par les principaux pays intéressés par la logistique consiste en un dialogue privé-public pour briser les silos entre administrations et opérateurs et informer ce débat par des analyses de qualité.

Le modèle le plus achevé est celui du Dinalog aux Pays-Bas qui implique le secteur privé, le secteur public et des contributions des établissements de recherche et de formations, ce que le Dinalog appelle la triple hélice. La France a des atouts dans les trois domaines : administrations techniques compétentes, secteur privé dynamique fédéré en associations logistiques et une recherche de premier plan (Grandes Écoles, IFSTTAR).

Malheureusement, le dialogue logistique est beaucoup plus récent en France que dans les pays comparables. La première commission logistique, présidée par le professeur Savy de l'Ecole des Ponts, n'a travaillé qu'à partir de 2014. Ses recommandations n'ont été avalisées que dans la dernière année.


L. M. : Quels chapitres pourraient être les plus faciles à faire avancer et ceux pour lesquels ce sera plus difficile ? 

J.-F. A. : Il y a beaucoup de sujets bien traités en France, comme la facilitation du commerce - la DGDDI (Direction des douanes et droits indirects) est très sensible à ces questions – ou encore la formation.

Le point le plus difficile est l'organisation de la multimodalité et notamment la connectivité (ports plateforme d'éclatement) et la performance du fret ferroviaire en France qui est un des points noirs de la logistique européenne, et nuit à la compétitivité française en général.

Un autre point concerne les données, pour la prise de décision. En France, il y a très peu d'indicateurs de performance produits par les opérateurs et consolidés par les autorités publiques. L'indicateur le plus simple comme le temps de séjours des conteneurs au Havre ou Marseille n'est produit que depuis peu de temps et par le guichet informatique portuaire.

Certes, il existe par ailleurs des enquêtes de qualité sur les coûts logistiques, mais dans tous les cas, ces informations sont trop agrégées pour la prise de décision. Il devrait être assez facilement possible de faire un exercice d'intégration et d'analyse des données très nombreuses, mais dispersées, pour mieux comprendre les goulots d'étranglement dans les chaînes notamment multimodales et estimer l'impact sur la compétitivité française.

Le Canada s'est lancé avec un certain succès dans un exercice de cette nature, et les Pays-Bas intègrent des mesures Big Data pour comprendre leur performance logistique.

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