Le 1er février, c’est dans le cadre du prestigieux Pré Catelan, en plein cœur du bois de Boulogne en périphérie de Paris, que le constructeur MAN a organisé un événement dédié à la décarbonation. À l’occasion des 40 ans de sa filiale française, le groupe a réuni transporteurs, chargeurs, fournisseurs et acteurs institutionnels pour échanger et partager sa vision sur la mobilité lourde décarbonée. « Lorsque nous avons présenté notre premier camion électrique eTGX au dernier Salon Solutrans, ce n’est pas simplement un nouveau véhicule. C’est un total changement de paradigme pour l’ensemble de l’écosystème relatif au transport : chargeurs, transporteurs, énergéticiens et pouvoirs publics », souligne Jean-Yves Kerbrat, directeur général de MAN Trucks & Bus France.
Au cours de cet événement, il a été souligné que les pouvoirs publics se sont engagés depuis plusieurs années pour soutenir le mouvement. « L’État a contribué à la création d’un cercle vertueux au travers de la formation d’une task force sur la décarbonation dès 2019 et la définition d’une feuille de route », rappelle Xavier-Yves Valère, chef de mission fret et logistique à la direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités (DGITM). Ce qui s’est traduit par l’augmentation des aides publiques provenant de l’Ademe pour soutenir cette transition écologique dans le transport. Ainsi, l’Agence a débloqué 20 M€ en 2022, 60 M€ en 2023 et 130 M€ en 2024. « Pour ces appels à projets, plusieurs critères sont étudiés. D’une part, le gain environnemental, qui constitue 70 % de la note, correspond au ratio euro investi/tonne de CO2 évitée. L’autre partie de la note étant relative à l’impact socio-économique et technique du projet », indique Marie Defrance, adjointe déléguée à la présidence de la Chambre syndicale des importateurs d’automobiles et de motocycles (CSIAM). Concernant le financement, le dispositif de suramortissement, valable jusqu’au 31 décembre 2030, peut également aider : cet avantage fiscal, qui se présente sous la forme d’une déduction, varie selon le poids du véhicule.
Toutefois, ce mouvement en faveur de la décarbonation doit s’accompagner d’un changement au niveau sociétal, comme l’indique Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D) : « Il faut revoir le modèle d’économie linéaire pour basculer dans du circulaire, en privilégiant davantage le réemploi pour ne pas dépasser les limites planétaires. Pour le transport lourd, l’idéal serait d’allonger la durée de vie actuelle des camions de trois à quatre fois. Dans ce cadre, se focaliser sur le service lié au produit serait pertinent, en particulier avec un modèle locatif de véhicule. »
Chez MAN, la réflexion sur la décarbonation a commencé dès 2015, notamment pour le choix de privilégier l’électrique au départ vis-à-vis des autres énergies. « Nous avons évalué la transformation de l’énergie primaire à la vélocité. Dans le cas de l’électrique, il y a 75 % de l’énergie qui est transmise à la roue, tandis que ce ratio n’est que de 25 % pour l’hydrogène et de 15 % pour les moteurs à combustion », explique Frederik Zohm, Chief technology officer chez MAN Truck &Bus. Avant d’ajouter : « Notre camion électrique n’est que la première pierre de notre portefeuille. D’autres véhicules zéro émission vont suivre, notamment avec des véhicules hydrogène si le prix de cette énergie est compétitif. »
Lors de l’événement, une table ronde a été organisée, donnant la parole aux énergéticiens. Et tous s’accordent à dire que l’important est de bien anticiper et dimensionner les infrastructures de recharge selon les besoins. « Selon les usages du camion, il y a différents points de recharge à prendre en compte : la borne au dépôt, le hub public et la borne à destination (chez le chargeur ou l’entrepôt de destination). Le dimensionnement de la station de recharge doit être pensé en détail, car c’est le point où les camions se raccorderont le plus souvent », explique Christelle Vives, directrice générale d’Izivia, filiale du groupe EDF spécialisée dans l’ingénierie de bornes électriques. Selon les prévisions de l’entreprise, ce seraient environ 50 000 camions électriques qui circuleraient sur le territoire français à l’horizon 2030. De son côté, Enedis souligne la nécessité d’estimer la demande pour le transport pour prévoir et effectuer les raccordements au réseau. « Dans un scénario à 2035 avec 30 % du trafic électrifié, le besoin pour la mobilité lourde routière s’élèverait à 11 TWh, sachant que celle pour la consommation d’électricité en France est évaluée à 615 TWh », indique Pierre de Firmas, le directeur mobilité électrique du groupe. À titre de comparaison, la demande pour les véhicules légers, dans un scénario de 40 % du parc électrifié, est évaluée à 35 TWh. Chez TotalEnergies, on est conscient que la recharge des poids lourds électriques va constituer un point important dans les projets. « Sur le budget 2024, le groupe va investir près de 100 millions d’euros pour les infrastructures destinées aux poids lourds », précise Mathieu Soulas, directeur nouvelles mobilités & marketing de TotalEnergies.