« Tout le monde s’est mis en mode survie »

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La filiale française du constructeur de poids lourds et d’utilitaires avait démarré l’année 2020 sur des chapeaux de roues, avec des progressions significatives. Puis la crise sanitaire est passée par là. Iveco a vu ses ventes baisser sensiblement même si les immatriculations de camions ont mieux résisté. Thierry Kilidjean, son directeur général, s’attend à un retour d’activité plus conforme à l’avant-crise pour les quatre derniers mois.
L’Officiel des transporteurs : quelle lecture faites-vous de l’évolution du nombre d’immatriculations de véhicules industriels depuis le début de l’année ?

Thierry Kilidjean : Les prévisions de début d’année tablaient sur un recul des ventes de 10 à 15 % sur le marché du + 16 t. Les observateurs du secteur [l’Observatoire du véhicule industriel, Ndlr] qualifiaient cette tendance de « non dramatique » car on évoluait jusque-là sur des marchés très élevés, plus que confortables. À fin février, ces prévisions se sont effectivement vérifiées. En revanche, le mois d’avril a donné lieu à un véritable plongeon (-40 %). La tendance est identique sur le mois de mai.

Ces résultats ont fait passer les prévisions annuelles de 50 000 (à partir du + 7 t) à 38 000 unités. Le marché du + 16 t était annoncé à environ 45 000 immatriculations, il est à présent estimé à quelque 35 000 unités. Quant à la gamme moyenne (de 7 t à 16 t), elle devrait avoisiner les 3 000-3 200 unités contre 4 500 estimées à l’origine.

Les constructeurs avaient anticipé une baisse des ventes mais pas dans ces proportions, on imagine ? Quand on est un acteur comme Iveco et que l’on doit affronter une crise inédite, sans repères dans l’Histoire, comment oriente-t-on la stratégie ?

T. K. : On avait anticipé ce -10 % ou -15 %, à 45 000 immatriculations. À 35 000, on est vraiment sur des niveaux bas. Réagir ? Oui, par l’agilité. L’une des leçons à tirer de cette crise est que nous devons, demain, transformer nos entreprises afin qu’elles soient les plus agiles possible. Autant la crise de 2008 était, on peut presque le dire, prévisible, autant une crise sanitaire qui survient du jour au lendemain et impacte de l’artisan boucher au transporteur, en passant par le maçon, l’enseignant ou le fonctionnaire, et qui affecte l’ensemble des activités au point de les mettre en arrêt total en Europe et dans le monde, relève de l’imprévisible. Et tout agile que vous puissiez être, difficile de l’appréhender à sa juste mesure. Tout le monde s’est mis en mode survie, globalement soutenu par les gouvernements.

Quel a été le mode opératoire chez Iveco ?

T. K. : Au cours des quinze derniers jours de mars, il y a eu un vent de panique dans les bureaux et les usines en France et à l’étranger dès l’annonce du confinement. Puis nous avons mis sur pied notre organisation de crise en plaçant en télétravail nos activités tertiaires, en ayant recours au dispositif d’activité partielle. À partir du début du mois d’avril, nous nous sommes mis en mode (dégradé) de fonctionnement. Dans notre réseau de concessionnaires, 100 % des services après-vente étaient opérationnels malgré des contraintes abyssales de fonctionnement en réduisant le nombre d’équipes. Les services commerciaux étaient totalement à l’arrêt. Au fil des jours en avril, notre niveau d’activité est remonté grâce à l’arrivée des articles de protection sanitaire.

Quel a été l’impact du confinement sur vos ventes ?

T. K. : L’activité après-vente a reculé d’environ 45 % et l’activité commerciale a connu une chute de près de 80-90 %.

Du 1er au 13 mars, nous étions sur une trajectoire de prise de commandes en progression de 5 % pour l’utilitaire par rapport à la même période l’an dernier et de 21 % pour le poids lourd. Un mois plus tard, à mi-avril, le + 5 % en utilitaire est devenu un -30 % et le + 21 % en VI est devenu un -17 %. Les premiers jours de mai s’inscrivent dans une tendance similaire. Quant aux activités d’après-vente, elles ont moins souffert mais ont tout de même enregistré une baisse de 45 %. Dans ce domaine, nous avons assuré une sorte de service minimum au bénéfice des véhicules destinés à la logistique alimentaire ou médicale. Depuis le 11 mai, nous avons remis les services commerciaux en route et la tendance commence d’ores et déjà à s’inverser.

Le poids lourd a moins souffert que l’utilitaire. Nous n’avons pas pu livrer un certain nombre de camions mais nous avons eu très peu à subir des annulations de commandes ou de reports de livraison. En revanche, en utilitaire, nous avons perdu 20 % de nos prévisions d’achats chez les clients grands comptes (loueurs courte durée en B2B et B2C) en grandes difficultés.

Nos filiales européennes sont restées actives jusque fin mars (nos PL sont produits à Madrid et nos utilitaires à Valladolid et en Italie) avant de fermer en avril. Le redémarrage des usines a été effectif entre les 4 et 11 mai. L’usine d’Annonay a rouvert à la même période.

Et comment se redéployer dans un contexte où les transporteurs eux-mêmes sortent groggy et se remettent péniblement debout ? Quid de la visibilité nécessaire ?

T. K. : Nous tentons de faire tourner nos algorithmes pour décrocher des prévisions à l’appui de nos outils à Turin ou en France. Pour l’heure, nous tablons sur une baisse assez significative du marché transport. L’ensemble de nos clients qui roulent – y compris pour l’alimentaire – ont connu un repli d’activité. Ceux qui opèrent dans l’automobile ont été totalement à l’arrêt…

Comment dès lors prévoir l’avenir ? Je pense que le business perdu au cours des deux derniers mois ne se rattrapera pas sur l’année. Peut-être pouvons-nous tabler sur un redémarrage en juin. Nous n’avons pas eu à affronter une crise économique par manque d’activité, c’est la raison pour laquelle je pense que nous pouvons nous rapprocher des niveaux d’avant le Covid-19, dès lors que tout le monde aura retrouvé un mode de fonctionnement normal. Il n’y a pas de raison que tout ce qui était dans les tuyaux ne ressorte pas.

Le gros point d’interrogation, ce sont les difficultés de trésorerie des entreprises. Les prêts accordés par l’État ont été bénéfiques mais il va bien falloir les rembourser. Je pense que nous pourrons nous rapprocher des 35 000-40 000 immatriculations (la période qui courra de septembre à décembre sera sans doute assez dynamique). L’activité dépendra également des mesures d’aide qui pourraient – si elles sont adoptées – venir au soutien du transport comme cela a été décidé pour l’automobile.

Je pense que nous allons devoir composer durablement avec l’intégration de ces nouveaux coûts liés à l’achat des produits pour le respect des règles sanitaires dans nos usines et nos concessions.

2020, c’est l’année du déploiement du S-Way…

T. K. : Le S-Way avait de très bons indices de vente avant la crise, avec une part prépondérante sur la progression de 21 % que j’évoquais précédemment. J’ai bon espoir que les ventes repartent significativement.

Nous avons analysé notre portefeuille de commandes, fait le point client par client, mesuré les éventuels risques d’annulation. Nous avons priorisé les productions eu égard à d’éventuels reports. Nous avons beaucoup appris de la crise de 2009 avec tous ces camions immobilisés sur les parkings pendant près d’une année. Qu’apprendrons-nous de cette crise ? Je vous le dirai dans quelques mois !

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