Trois à quatre camions sur les routes pendant les quinze premiers jours du confinement, une dizaine au quotidien les semaines suivantes, le plus souvent en demi-journées. Comme nombre de confrères, les Transports Berrier-Barbier ont subi de plein fouet la crise du Covid-19. L’intégralité de la flotte a seulement réussi à reprendre la route le mardi 19 mai, une semaine après la levée des premières restrictions, et dans le brouillard le plus total, estime Sébastien Berrier, dirigeant de l’entreprise, depuis son bureau des Attaques, avec vue sur la campagne calaisienne. « Dans notre secteur d’activité, le vrac, nous fonctionnions déjà en flux tendus avec des visibilités souvent uniquement à la semaine, commente le transporteur. Désormais, la tension est encore plus forte, avec des volumes en dents de scie et d’importantes variations selon les jours. Excepté pour un ou deux clients, je ne sais absolument pas ce que je vais transporter la semaine prochaine. » Tous les chargeurs n’ont pas repris leur rythme de croisière. Notamment les plus grandes entreprises. « Dans le secteur des centrales d’enrobage, nous sommes très loin de la reprise, indique Sébastien Berrier. Il n’y a pas de volumes. Nous n’avons aucune visibilité… Alors de là à se projeter dans six mois ! »
L’entrepreneur tire au moins un motif de satisfaction. Son modèle de développement devrait lui permettre de passer cette crise sanitaire et économique sans trop de dégâts. Un modèle choisi il y a vingt ans. Commercial en produits d’hygiène dans les grandes surfaces à la fin du siècle dernier, le jeune homme saute le pas en créant sa propre entreprise, les Transports Berrier. Il s’installe au volant de son premier camion, un Volvo F12 d’un million de kilomètres et une remorque de vingt-cinq ans avec des rehausses en bois. Deux moteurs et deux années plus tard, son beau-père, à la tête des Transports Barbier, prend sa retraite. Son fils ne souhaite pas lui succéder. Sébastien Berrier reprend les cinq chauffeurs et autant de véhicules. Née dans les années 1970, l’entreprise d’abord cantonnée aux machines agricoles s’était tournée vers le transport de produits agricoles, ferrailles, cailloux, etc., profitant du contexte porteur du littoral nordiste avec nombre de chantiers : autoroutes A25, A16 et A26, ligne TGV, centrale nucléaire de Gravelines, et bien sûr le tunnel sous la Manche.
Dès sa reprise, Sébastien Berrier décide d’élargir les activités vrac, tout en tentant de gommer les questions de saisonnalité, comme celles inhérentes au transport de betteraves. Aujourd’hui, les Transports Berrier-Barbier opèrent dans l’industrie, le terrassement, le déchet, le recyclage, la dépollution, la démolition, et toujours les produits agricoles (chicorée, engrais, etc.), à l’aide de bennes acier, alu, enrochement, plateaux, citernes pulvées, etc. L’entreprise compte 13 moteurs pour 25 remorques en propre, qui naviguent principalement entre Le Havre et la région parisienne au sud et Anvers au nord, sans s’interdire des escapades lyonnaises ou vendéennes à la demande des clients. Aucun d’entre eux ne dépasse les 20 % du chiffre d’affaires.
Parallèlement, le transporteur calaisien développe une activité de commissionnaire, un choix pour asseoir le développement de l’entreprise : « Au départ, j’étais tout seul, explique Sébastien Berrier. Des chargeurs me proposaient du travail que je ne voulais pas refuser. Il fallait trouver une solution pour traiter ces chargements. D’où ma volonté de développer une partie de l’activité en tant que commissionnaire. » Une marge de sécurité en cas de coup dur, même si Sébastien Berrier insiste : « Ce n’est pas ma flotte, mais nous sommes vraiment liés, nous travaillons tous les jours ensemble. Dans mon esprit, les deux activités ont autant d’importance et doivent fonctionner en parfaite corrélation. Si j’ai dix bennes à transporter, il est important que les deux facettes de l’entreprise en profitent. » Quand une baisse d’activité se fait sentir, comme au plus fort de la crise sanitaire, le dirigeant s’efforce de conserver la proportion initiale entre ses propres véhicules et ceux des sous-traitants (soit une quarantaine de moteurs).
À 20 ans et 20 salariés, dont 13 chauffeurs et un mécanicien, les Transports Berrier-Barbier demeurent une PME en forme, malgré des marges très faibles. Le dirigeant n’hésite pas à sortir parfois de son couloir. Il s’est ainsi offert une incursion dans la logistique, avec Tioxide à Calais durant trois ans. Stockage, concassage, criblage, l’activité représentait 400 000 à 500 000 euros de chiffre d’affaires, mais malheureusement le fabricant de dioxyde de titane a fermé ses portes en 2017. Qu’importe, c’est désormais un savoir-faire acquis et potentiellement réutilisable pour d’autres clients.
Le plan de développement, raisonné, est au diapason de l’ambition du dirigeant. « Nous avons progressé à notre rythme pendant vingt ans : d’un chiffre d’affaires global de 887 000 euros en 2004, nous sommes passés à 6 millions d’euros l’an dernier. J’espère en faire autant dans les prochaines années ! » À terme, Sébastien Berrier souhaiterait posséder 15 à 18 véhicules en propre, mais l’important n’est pas tant d’acheter le camion « que de trouver la bonne personne qui va avec ». Ce patron quelque peu paternaliste aimerait d’ailleurs changer les tracteurs plus souvent afin que ses salariés bénéficient des dernières options de confort. Les nouvelles énergies comme le gaz ? Il y est attentif, sans être avant-gardiste. « Nous regardons les expériences des uns et des autres, confie le dirigeant. Ce sont des investissements moins essentiels dans notre secteur d’activité. Et il n’y a pas suffisamment de stations d’approvisionnement dans notre rayon géographique. » Forcément, la crise sanitaire et économique impacte les projets de développement. « Pause sur les investissements et les perspectives », résume Sébastien Berrier. Les trois à quatre remorques prévues pour ce premier semestre 2020 attendront au moins six mois de plus. Idem pour les travaux de modernisation du siège social, dans l’ancienne maison de Bernard Barbier, son beau-père. Pour le transporteur, « ce n’est pas essentiel pour le moment. Même si la communication reste importante. L’an dernier, nous avons dessiné un nouveau logo et refait notre site internet. » Deux tracteurs, déjà commandés, sont arrivés. Le marché de l’occasion étant au point mort, le quadragénaire a décidé de conserver les deux anciens moteurs, qui permettront de monter rapidement en volume en cas de surplus d’activité. Le dirigeant se dit d’un naturel optimiste : « Je préfère voir le verre à moitié plein. Tout semble fragile après la crise que nous avons vécue. Il faut absorber ce qui s’est passé et être fin prêt pour le véritable redémarrage. Nous ne pouvons pas rester constamment dans cette léthargie. J’ai envie de me développer et d’y croire ! »
• CA 2019 : 6 millions d’euros
• Effectif : 20 salariés
• Parc : 13
• Secteur d’activité : vrac, industrie, terrassement, déchet, recyclage, dépollution, démolition, produits agricoles, etc.