Très prisé dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le secteur du transfert industriel est passé de mode. Les entreprises de taille importante se sont progressivement retirées, les immobilisations en matériel et compétences étant jugées disproportionnées par rapport à la taille d'un marché qui se réduisait d'année en année, en raison de la désindustrialisation de l'économie française. Quant aux PME, elles ont été nombreuses à renoncer à ce créneau aléatoire, où chaque opération est spécifique, avec des clients qui demandent systématiquement la lune.
« Dans les cas les plus complexes, le client nous donne les clefs de son entreprise et nous dit que dans quelques jours, quand il entrera dans son usine déménagée, tout doit être en place. Nous savons intervenir pour cela ». A Villeurbanne (69), Franck Félix, fait partie de ceux qui restent cependant persuadés que ce marché du transfert industriel en vaut la peine. L'entreprise familiale, Félix Transports, créée en 1984 avec son père, Max, compte aujourd'hui 19 salariés, pour un chiffre d'affaires de 2,3 millions d'euros.
Spécialisée à l'origine dans le transport de machines pour l'industrie mécanique et la tôlerie, l'entreprise a élargi petit à petit ses compétences pour décliner toute une palette de prestations connexes, qui vont du transport traditionnel et de la manutention de marchandises au levage d'installations, en passant par les transferts d'usine « clé en main ». Franck Félix a encore en mémoire un joli cas d'école. Celui d'une opération pour Installux, une société spécialisée dans le négoce de profilés en aluminium. Le site déménageait au sein de la même zone industrielle, la rue d'en face. Son directeur disposait de l'été pour transférer l'activité, lorsqu'il s'est adressé à Félix Transports. « Concrètement, nous devions déplacer plusieurs centaines de tonnes de profilés longs de 6,5 mètres, regroupés dans des racks en position verticale, et les réinstaller dans les mêmes conditions dans le nouveau bâtiment, explique Franck Félix. Pour réduire les manutentions, donc les risques et les délais, nous avons choisi de maintenir les profilés debout, sans les sortir de leurs chariots d'origine ». Pas question dans ce cas de figure, d'externaliser la manutention : « Le jour J, il faut être sûr des professionnels qui interviendront ; j'ai donc constitué ma propre équipe, plutôt que de faire appel à des prestataires extérieurs ». Des professionnels du type « moutons à cinq pattes », capables notamment de fabriquer des châssis sur mesure, en prévision de l'opération.
Pas question non plus de compter sur un modèle standard de remorque : « Nous avons adapté un châssis sur l'un de nos véhicules, avec un système de fermeture rapide pour sécuriser le transport. En amont, il nous a fallu quelques semaines pour élaborer la bonne solution. Mais sur place, nous avons rempli notre contrat en 10 jours », au lieu des trois semaines imparties. L'occasion s'est aussi présentée, pour d'autres clients, d'acheminer, jusque dans l'atelier de fabrication, des machines numériques de très haute précision ou des centres d'usinage. Là encore, le choix du matériel et des équipiers mis à contribution est allé plus loin que l'activité traditionnelle de transport. Le chauffeur Félix passe le relais au manutentionnaire Félix, pour le déchargement et la mise en place. Celui-ci est effectué, selon les cas, à l'aide d'un chariot élévateur, d'une grue auxiliaire ou électrique, silencieuse et non polluante, pour intervenir sans perturber le personnel de l'usine en situation de travail.
Dans un registre différent, Franck Félix se souvient d'avoir été mobilisé pour le compte du groupe Partouche, lors de la construction de son nouveau casino de l'hôtel Hilton à Lyon, en 1999. Il s'agissait de prendre livraison, en région parisienne, de plusieurs statues égyptiennes réalisées par un sculpteur, de les transférer jusqu'au site puis de les intégrer dans leur nouveau décor. Comme souvent, les maîtres d'ouvrage ont mésestimé le rôle du transport dans un tel chantier : « La commande définitive m'est parvenue quelques jours avant notre intervention », précise Franck Félix. « Nous avons dû installer les éléments sans heurter le marbre neuf, déjà posé, et travailler avec de lourdes charges. Pour cela, nous avons élaboré un système de luge pour manoeuvrer les pièces en douceur. Nous avons également réagi à une demande de dernière minute, qui consistait à réhausser les statues sur leur emplacement prévu ».
Comment en vient-on à opter pour une telle diversité d'interventions ? « Nous n'avons pas bâti de stratégie particulière, ni de business plan, explique Franck Félix. Dans notre métier, on travaille le plus souvent sur des commandes à 48 heures, toutes différentes les unes des autres. C'est surtout l'écoute des besoins de nos clients qui nous a guidés ». Encore faut-il être en mesure d'y répondre. « Je me suis bien sûr constitué une équipe de professionnels dans le domaine du transport et de la manutention, ainsi qu'une filière sous-traitante : carrossier, serrurier, électricien, entreprises diverses... partout en France ». Et puis d'admettre aussi que « l'activité traditionnelle du transport ne dégage pas, à elle seule, assez de valeur ajoutée ». Aujourd'hui, l'activité de l'entreprise suit un rythme constant. Une « période haute » se concentre lors des salons professionnels comme Transfométal, organisé en région lyonnaise. Transports Félix y réalise alors l'installation de 30 à 40 stands industriels.
- 4 véhicules légers, porteurs de 3,5 tonnes, bâchés
- 3 véhicules gros porteurs, pour le transport régional
- 2 camions-remorque grand-routiers, surbaissés avec caisse mobile
- 2 semi-remorque surbaissée et porte-engins
- 3 camions-remorque avec grue auxiliaire
- 5 remorques porte-caisse/porte-engins
- 1 grue mobile électrique (type Valla)
- 10 chariots élévateurs (1-15 tonnes)
La clé de voûte de l'organisation de Félix Transports consiste dans une gestion simplifiée des dossiers. La manière de traiter un appel est la même pour tous. Franck Felix et les deux exploitants utilisent des fiches de prise de commande spécifique, pour aborder en un appel toutes les questions importantes. « Avant d'obtenir un formulaire satisfaisant, j'en ai testé une quinzaine ». L'entreprise élimine ainsi d'emblée le risque d'une mauvaise interprétation de la situation de son client.
Les moindres détails de la commande sont aussitôt consignés dans une application informatique "à tiroirs", faisant aussi office de base de données. « Nous avons trouvé le moyen de nous épargner une foule d'écrits. Avant, pour un même dossier, il fallait à chaque fois préparer séparément tous les documents administratifs ». A présent, les exploitants n'ont besoin que d'une à deux minutes pour réaliser simultanément toutes ces opérations. Mieux : la mise à jour de l'état des commandes, des devis sans suite et des dossiers à traiter est instantanée.
L'enjeu, c'est de ne rien laisser échapper d'essentiel des besoins des clients. « En quelques clics, nous vérifions toutes les caractéristiques de la machine à transférer mises en mémoire dans l'ordinateur, alors qu'auparavant, nous devions consulter, dans notre « bibliothèque » de catalogues, les produits de nos clients ». Cet accès à l'information permet de repérer en amont les contraintes du service, que le client n'a pas nécessairement à l'esprit, pour identifier le camion et le plan d'organisation les plus appropriés.
