Il convient, tout d’abord, de préciser que le privilège du transporteur et le droit de rétention de ce dernier sont deux notions juridiquement distinctes.
« Le voiturier a privilège sur la valeur des marchandises faisant l’objet de son obligation et sur les documents qui s’y rapportent pour toutes créances de transport, même nées à l’occasion d’opérations antérieures, dont son donneur d’ordre, l’expéditeur ou le destinataire restent débiteurs envers lui, dans la mesure où le propriétaire des marchandises sur lesquelles s’exerce le privilège est impliqué dans lesdites opérations.
Les créances de transport couvertes par le privilège sont les prix de transport proprement dits, les compléments de rémunération dus au titre de prestations annexes et d’immobilisation du véhicule au chargement ou au déchargement, les frais engagés dans l’intérêt de la marchandise, les droits, taxes, frais et amendes de douane liés à une opération de transport et les intérêts. »
Cet article confère au transporteur un privilège légal sur les marchandises et documents détenus en cas de non-paiement de ses factures. Ce privilège lui permet d’être réglé prioritairement en cas de vente forcée des marchandises.
À côté de ce privilège, le transporteur dispose d’un droit de rétention qui découle des dispositions générales prévues par le Code civil.
Selon l’article 2286 du Code civil, peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :
1° celui à qui la chose a été remise jusqu’au paiement de sa créance ;
2° celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer ;
3° celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose ;
4° celui qui bénéficie d’un gage sans dépossession.
Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire.
Par le droit de rétention susvisé, le voiturier peut refuser de livrer la marchandise tant qu’il n’a pas été payé du prix du transport.
En définitive, l’exercice du droit de rétention précède l’exercice du privilège.
Ce n’est que lorsque le droit de rétention n’est pas suivi d’effet, c’est-à-dire qu’aucun règlement amiable des factures n’intervient, qu’entre en jeu le privilège du transporteur. Ce privilège permet en bout de course, au transporteur, de faire vendre les marchandises retenues et d’être payé de façon privilégiée.
Bien souvent, ces deux mécanismes se conjuguent, mais doivent être bien distingués.
Le transporteur doit informer son donneur d’ordre de l’exercice de son droit de rétention et donc de l’arrêt de l’opération de transport.
Le droit de rétention ne peut effectivement se déduire du seul fait que le transporteur dispose de factures impayées par son donneur d’ordre et qu’il ne donne plus aucune nouvelle sur l’opération de transport exécutée.
Dans l’hypothèse où le donneur d’ordre ne serait pas informé de l’exercice de ce droit, il pourrait engager la responsabilité du transporteur pour tous les dommages occasionnés (péremption des marchandises, dépréciation de la valeur des marchandises, etc.), voire déposer plainte pour vol ou abus de confiance.
Pour rappel, la responsabilité du transporteur sur les marchandises démarre au moment de la prise en charge de ces dernières jusqu’à leur livraison. Lorsque les marchandises sont retenues, le contrat de transport est toujours en cours, avec la responsabilité du transporteur qui y est attachée.
Dans ces conditions, le transporteur doit s’assurer que l’exercice de son droit de rétention n’aura aucune répercussion sur l’état des marchandises et doit donc apporter tous les soins nécessaires à la bonne conservation de ces dernières, notamment pour les marchandises sensibles et à dépréciation courte.
Le privilège et le droit de rétention, ne permettent pas au transporteur de disposer immédiatement et librement de la marchandise. Elle ne peut être vendue ou donnée, sans autorisation du juge.
En effet, le droit de rétention constitue un droit de gage sur les marchandises, mais n’emporte pas automatiquement transfert de propriété.
Ainsi, si votre donneur d’ordre s’obstine à ne pas payer, vous devez solliciter en justice l’attribution judiciaire des marchandises gagées.
Cette procédure vise à se faire attribuer la marchandise retenue en vue de sa revente pour opérer une compensation à concurrence du montant des factures impayées.
À cet effet, le transporteur doit demander au juge de constater le montant de la créance qu’il détient à l’égard de son débiteur, de désigner un expert qui aura pour mission d’estimer la valeur de la marchandise gagée, et demander qu’il soit ordonné la compensation entre sa créance et le montant de la valeur des marchandises ou documents gagés.
Pour se prévaloir d’un privilège sur les marchandises retenues, et ainsi obtenir le règlement par le biais de la vente de ces dernières, encore faut-il que les créances à l’origine de la rétention obéissent aux conditions posées par l’article L. 133-7 du Code de commerce.
Ainsi, il est de jurisprudence constante que le transporteur doive, préalablement à l’exercice de son droit de rétention, vérifier que les marchandises sur lesquelles il veut exercer son droit de rétention sont bien la propriété du même expéditeur que celui des opérations antérieures.
Or, le transporteur risque de se heurter à l’impossibilité de pouvoir justifier qui est le propriétaire des marchandises au moment où il retient ces dernières, car il ne dispose généralement pas de la copie du contrat de vente attaché aux marchandises qu’il transporte.
En pratique, il est courant que les contrats de vente prévoient une clause de réserve de propriété. Ainsi, le transporteur sera bien à peine de savoir si les marchandises qu’il retient sont bien la propriété du même propriétaire que les marchandises liées aux prestations de transport impayées… En effet, en présence d’une clause de réserve de propriété, le paiement du contrat de vente opère le transfert de propriété de la marchandise.
Si le propriétaire des marchandises retenues n’est pas concerné par les opérations antérieures impayées, le transporteur qui mettrait en œuvre son droit de rétention et arguerait de son privilège engagerait sa responsabilité délictuelle, et le droit de rétention pourrait être considéré comme illégitime.
En effet, et comme évoqué, le propriétaire des marchandises doit avoir été impliqué dans les opérations antérieures impayées.
Les difficultés pratiques de mise en œuvre du droit de rétention et du privilège découlent principalement de cette condition.
S’agissant de la nature de la créance à l’origine de la rétention, elle doit naturellement être exigible, certaine et non prescrite.
À défaut, le transporteur pourrait, là encore, voir sa responsabilité engagée.
En outre, il peut être précisé que l’article L. 133-7 du Code de commerce précité prévoit que la créance peut être relative tant au prix du transport stricto sensu qu’aux compléments de rémunération au titre des prestations annexes à l’opération de transport.
Les prestations qui dépassent le cadre de la mission transport sont cependant exclues du privilège. Tel est par exemple le cas des frais de prestations logistiques ou encore des frais de stockage.
En définitive, avant l’exercice de son droit de rétention, il est nécessaire de bien vérifier la nature des prestations impayées, les parties concernées par les opérations en attente de règlement et d’opérer les mêmes vérifications sur l’opération au cours de laquelle les marchandises vont être retenues.
Au vu de la responsabilité du transporteur qui pourrait découler tant de la garde des marchandises retenues que sur l’exercice erroné d’un droit de rétention, il convient d’agir avec prudence et de bien être accompagné.