Depuis l’arrêt « Chronopost », la « faute lourde », de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation, ne peut résulter du seul retard de livraison (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n° 03-14.112). En effet, cette faute lourde était définie comme « une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle ».
Avec la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009, le régime de la « faute lourde » a été remplacé par celui de la « faute inexcusable » pour les entreprises de transport terrestre de marchandises.
Cette réforme a été particulièrement favorable aux transporteurs puisque la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport comporte désormais un degré de gravité plus élevé que la faute lourde. Il s’agit d’une « faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable » (art. L. 133-8, code de commerce). À la différence de la faute lourde, la faute inexcusable comporte un élément subjectif, comme la conscience du risque que le transporteur fait courir à la marchandise, une exposition délibérée et consciente de la marchandise à un danger sans prendre les mesures nécessaires pour la préserver (pour une approche analogique, voir Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535).
Dans sa décision, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, estimant que les motifs retenus étaient impropres à caractériser la faute inexcusable du transporteur. Les faits, d’un grand classicisme, étaient les suivants : une société du sud-est de la France avait confié à un transporteur l’acheminement d’un dossier de soumission à un appel d’offres à destination de Paris. Malheureusement, le dossier a été remis… après la clôture de l’appel d’offres.
L’expéditeur a alors assigné le transporteur en paiement de dommages-intérêts, au titre de la perte de chance de remporter l’appel d’offres ; étant rappelé que la perte de chance s’analyse comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (voir Cass. 1ere civ., 21 novembre 2006, n° 05-15.674). En défense, le transporteur a opposé la limitation de l’indemnisation prévue par l’article 22.3 du contrat type « général » relatif à l’indemnisation pour retard à la livraison. Les juges du fond ont écarté cette limitation de responsabilité en constatant d’une part, que la société de transport s’engageait, selon ses documents publicitaires, à livrer à Paris le vendredi après-midi les plis qui lui étaient remis la veille, comme en l’espèce et d’autre part, que l’enveloppe mentionnait clairement qu’elle contenait une soumission à un marché à exécuter et comportait l’adresse exacte du destinataire.
Cette interprétation a été sanctionnée par la Cour de cassation, car les premiers juges n’avaient pas ainsi caractérisé la faute inexcusable du transporteur.
En conclusion, cet arrêt rappelle que le transporteur bénéficie d’un régime singulièrement confortable. Il jouit des plafonds contractuels d’indemnité et ne peut en être privé que par la commission d’une faute d’une particulière gravité.
Dès lors, le client du transporteur, victime d’un retard de livraison, aura bien des difficultés à obtenir une indemnisation intégrale, en raison des conditions draconiennes posées par le législateur et la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de faute inexcusable. Aussi, le recours à l’assurance pourra être privilégié afin de pallier cette difficulté.